La question du genre dans les hautes fonctions de direction

Les qualités et les forces de caractère sont-elles universelles ? Une étude récente montre qu’il existe des différences subtiles mais constantes entre les hommes et les femmes dans l’importance accordée aux traits de caractère chez les dirigeants, ainsi que des stéréotypes de genre dans l’évaluation de ces aspects de la personnalité. Si la diversité est de plus en plus recherchée dans les entreprises, notamment au niveau de la direction, ce constat soulève des questions importantes sur la manière de parvenir à la parité et d’aborder des sujets plus vastes autour de la diversité.

Date

20/06/2023

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4 min

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À partir d’un entretien avec Gouri MOHAN, professeure, au sujet de son article « Does Leader Character have a Gender? », co-écrit avec Gerard Seijts, professeur, et Ryan Miller de la Richard Ivey Business School de l’Université Western Ontario, publié dans la revue Journal of Business Ethics en décembre 2022.

Malgré un certain progrès ces dernières années, les femmes sont encore nettement sous-représentées dans les fonctions de direction des entreprises. Selon le rapport McKinsey 2022 sur les femmes et le travail, aux États-Unis, seul un quart des cadres dirigeants (PDG, DG, DAF, CIO) sont des femmes. Et avec seulement 87 femmes cadres pour 100 hommes, l’égalité des sexes est loin d’être une réalité.

Alors pourquoi ? Quels sont les préjugés et barrières qui freinent la progression des femmes ? Et en quoi ont-ils une incidence sur les autres questions liées à la diversité ? Ces observations pourraient s’expliquer en partie par les qualités et les traits de caractère associés au leadership et comment ceux-ci sont perçus.

Gouri MOHAN, professeure à l’IÉSEG, et ses collègues de l’Université Western Ontario ont étudié l’influence du genre sur la perception des traits de caractère des dirigeants et ont relevé des différences notables entre les hommes et les femmes.

Les qualités d’un leader, différentes selon les hommes et les femmes

Leurs travaux ont montré que les hommes et les femmes n’accordent pas la même importance au caractère en matière de leadership. Pour les femmes, il faut davantage de tempérament pour réussir à diriger une entreprise que pour les hommes, et elles s’attendent davantage à ce que les dirigeants fassent preuve de caractère dans leur nouveau rôle de leader.

Selon leur sexe, les participants n’ont pas non plus la même perception de la personnalité d’un chef d’entreprise. Les hommes interrogés valorisent moins les femmes qui adoptent un comportement agentique, c’est-à-dire qui font preuve d’assurance, de compétitivité, d’indépendance ou de courage, dans des situations professionnelles délicates, que les hommes qui affichent le même type de comportement.

Gouri MOHAN s’étonne de ces écarts entre les sexes, d’autant plus qu’ils sont constants d’une étude à l’autre.

« Nous nous attendions à ce que l’appréciation des différentes dimensions de la personnalité varie, mais pas à ce que les femmes accordent plus d’importance que les hommes au caractère en général, ni à ce que les femmes qui adoptent un comportement directif soient jugées plus sévèrement », explique-t-elle.

Elles ont tort, quoi qu’elles fassent

Le Pr MOHAN en tire plusieurs conclusions concernant les entreprises et le monde du travail. D’abord, malgré le fait que les entreprises visent de plus en plus un leadership éthique, notamment en termes de transparence, de justice et d’équité, l’étude montre que les participants, et surtout les hommes, n’apprécient pas particulièrement qu’un dirigeant ait du caractère.

Un constat qui interpelle G. MOHAN : « Pourquoi le rôle que joue le tempérament n’est-il pas davantage mis en avant dans les formations en leadership ou, plus généralement, dans les débats sur le leadership dans les médias populaires ? »

Ensuite, il semble que le genre d’un dirigeant détermine ses priorités, sa façon de réagir à une situation donnée et, surtout, la manière dont ses actes sont jugés par autrui. En d’autres termes, il apparaît que le genre joue un rôle essentiel dans le comportement et les décisions des dirigeants.

Enfin, l’étude montre que les femmes dirigeantes risquent davantage d’être critiquées, en particulier par leurs collègues masculins, si elles adoptent des comportements plus affirmés, considérés comme typiquement masculins alors que, paradoxalement, ils sont le signe d’un leadership efficace ! Les travaux de Gouri MOHAN démontrent une fois de plus que les femmes occupant des postes de direction « ont tort quoi qu’elles fassent » aux yeux de leurs homologues masculins (majoritaires).

Que faut-il changer ?

D’après Gouri MOHAN, si les femmes sont plus nombreuses aux postes de direction, de nombreux stéréotypes sexistes tomberont au sein des entreprises, mais cela ne suffira pas. Le caractère et les comportements masculins restent fortement ancrés dans les formations en leadership, basées sur des concepts idéalisés.

« Il est grand temps que ces préjugés soient (ré)évalués en profondeur et que des mesures soient prises pour y remédier et commencer à offrir aux femmes un terrain de jeu un semblant équitable », plaide G. Mohan.

Une approche holistique est donc essentielle pour promouvoir et instaurer des comportements de leadership plus inclusifs et pluralistes dans le monde de l’entreprise d’aujourd’hui. Or il ne suffit pas d’embaucher plus de femmes pour y parvenir.

Le Pr MOHAN prévoit d’approfondir ses recherches afin de répondre à d’autres interrogations, par exemple l’influence de la race et de la culture sur la perception du caractère d’un dirigeant, ou encore l’impact de l’origine sociale et du contexte professionnel des dirigeants sur leur jugement du comportement de chacun.

Applications pratiques

Cette étude montre qu’outre les compétences, les entreprises devraient accorder plus d’importance au caractère dans la pratique du leadership. En parallèle, les programmes de formation professionnelle en leadership devraient être examinés afin d’en éliminer tout préjugé sexiste.

Méthodologie

Quatre études (deux enquêtes et deux expériences de vignettes) ont été menées entre juillet 2020 et avril 2021 à l’aide de l’application Amazon Mechanical Turk, en vue de comprendre si le genre d’une personne a un impact sur l’importance qu’elle accorde au caractère d’un dirigeant et sur ses préjugés concernant son efficacité.


Catégorie(s)

Management & SociétéRSE, Durabilité & Diversité


Contributeurs

Gouri MOHAN

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Personnes, Organisations et Négociations

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