Les impôts sur la fortune individuelle favorisent la distribution de dividendes

Date

22/03/2023

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À l’ère de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), l’objectif d’accroître la rentabilité pour les actionnaires demeure primordial pour la direction des entreprises, en particulier lorsque les dirigeants sont également les actionnaires majoritaires. Mais en France, le débat sur la définition d’une répartition équitable de la valeur créée par les entreprises reste vif.

Dans ce contexte, certaines des plus grandes entreprises distribuent à leurs actionnaires des « superdividendes », tels que définis par le chef de file des députés Modem, Jean-Paul Mattei, fin 2022. Ce dernier avait proposé de relever de 5 points, à 35 %, le prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes supérieurs de 20 % à la moyenne de ceux versés les années précédentes. L’article n’a finalement pas été retenu dans le projet de loi de Finances après un recours à l’article 49.3.

Le débat porte sur les conséquences d’un relèvement de la taxation sur l’ensemble de l’économie. Le gouvernement ne veut pas pénaliser les entreprises, mais il doit aussi trouver des fonds pour financer le système social ou rembourser les dettes publiques. Certaines conséquences apparaissent même involontaires au regard de l’objectif recherché. Par exemple, de fortes augmentations de l’impôt sur la fortune entraînent une hausse des versements de dividendes, en particulier dans les entreprises familiales étroitement détenues.

C’est ce que mes collègues Donald N’Gatta de MDE Business School, Gaizka Ormazabal de IESE Business School et moi-même avons découvert dans une étude qui sera publiée dans le numéro de septembre de The Accounting Review. Notre recherche, basée sur des données publiques provenant de 4 381 entreprises cotées en bourse dans 26 pays européens entre 2000 et 2017, a révélé des implications involontaires pour certaines décisions réelles et financières motivées par des impôts spécifiques visant les riches.

Alternatives coûteuses

Les impôts sur la fortune, tel que l’ISF en France, sont des impôts annuels récurrents sur la « richesse nette » d’une famille ou d’un individu. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) définit cette richesse nette comme la valeur totale des actifs de l’individu, y compris l’immobilier, les comptes bancaires, les obligations, les actions, les fonds d’investissement, les assurances-vie et autres biens de luxe, moins leurs dettes en cours telles que les hypothèques ou les prêts.

Dans le cas des entreprises que nous avons examinées dans notre étude, la majorité de la richesse des propriétaires est liée à la valeur de leurs actions dans les entreprises qu’ils possèdent. Par conséquent, des augmentations significatives des cours des actions ont un impact direct sur leur facture d’impôt sur la fortune.

Cependant, une augmentation de la richesse liée à leurs actions n’implique pas nécessairement une augmentation de leurs liquidités. Pour payer leurs impôts, les individus concernés par l’impôt ont différentes alternatives : adapter leur mode de vie – ce qui inclut le changement de résidence fiscale pour payer moins d’impôts à l’avenir –, obtenir un prêt auprès d’une institution financière ou vendre une partie de leurs actifs, y compris certaines de leurs actions.

Toutes ces alternatives sont coûteuses et, en particulier, la vente de leurs actions peut entraîner une perte de contrôle sur leur entreprise. Nos résultats montrent qu’en moyenne, ces actionnaires distribuent environ 3,5 % de dividendes supplémentaires les années où ils doivent payer des impôts sur la fortune supplémentaires.

L’argument norvégien

Étant donné que toutes les entreprises de notre étude sont cotées en bourse, le résultat le plus pertinent est que l’implication de cette augmentation des versements de dividendes est un échec de la gouvernance de l’entreprise. Nous avons constaté que la croissance du cours des actions était d’environ 50 points de base inférieure à ce qui pourrait être anticipé à la suite d’une annonce importante de dividendes. Notre recherche indique que ces versements plus élevés sont non seulement associés à des rendements boursiers plus faibles, mais nous avons également constaté que ces entreprises affichent des baisses d’investissements ultérieurs.

Bien que les augmentations de dividendes motivées par les impôts puissent aider à satisfaire l’obligation fiscale des actionnaires majoritaires et offrir une satisfaction à court terme aux actionnaires minoritaires recevant également des dividendes, cela ne peut pas être dans le meilleur intérêt de l’entreprise, car elle aurait pu utiliser ces fonds pour financer des projets rentables. Cet argument a été utilisé pour abolir l’impôt en Norvège.

Nos résultats soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Une perspective de responsabilité sociale des entreprises nous pousse à examiner les implications sociales des actionnaires privilégiant leurs intérêts par rapport à ceux des autres parties prenantes, à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise.

Imposition asymétrique

D’un point de vue de gouvernance d’entreprise, nous pouvons nous interroger sur l’efficacité des conseils d’administration avec un actionnaire majoritaire et leur capacité à assurer une surveillance efficace. Cela souligne également l’importance d’avoir un contrôle excessif sur l’entreprise. Les actionnaires majoritaires peuvent préférer verser des dividendes, malgré les conséquences néfastes sur le cours des actions et la croissance future de l’entreprise, plutôt que de vendre d’autres actifs personnels pour maintenir le contrôle.

De plus, les implications fiscales d’une imposition asymétrique entre les différents actionnaires soulèvent des préoccupations quant à l’équité de la concurrence et l’impact sur la liquidité des investisseurs. En d’autres termes, il existe un lien direct entre la manière dont les actionnaires sont imposés et la prise de décision des entreprises.

Raul Barroso Casado, Assistant Professor in Accounting, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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