Le commerce de détail : un secteur en crise ?
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Centres-villes désertés, faillites d’entreprises en hausse, réduction des dépenses des consommateurs, les signes d’essoufflement du commerce de détail se multiplient. Le renouveau du secteur passe par un équilibre fin entre enchantement de l’expérience en magasin et audace de l’innovation numérique, ainsi que de nouvelles sources de revenus comme l’occasion. Si l’avenir est incertain, il est également plein de promesses.
Plans sociaux et fermetures de magasins chez Auchan, Casa, IKKS et d’autres grandes enseignes ont marqué l’année 2024. Ils mettent en lumière une révolution silencieuse qui redéfinit les fondements du commerce de détail en France.
Le commerce de détail, pilier historique de l’économie française, vacille sous le poids des transformations économiques et sociétales. Loin d’être une simple adaptation à la montée du commerce en ligne, cette crise révèle des fractures profondes dans un modèle traditionnel, désormais mis à mal. En 2023, les ventes du commerce de détail ont enregistré une baisse de 2,9 %. En 2024, le chiffre d’affaires s’est stabilisé avec une progression prévue de 1,5 %.
Une situation qui dépasse les enjeux conjoncturels. Ce marché reflète un pouvoir d’achat affaibli, une consommation prudente et une inflation toujours présente. C’est tout un secteur qui doit repenser ses stratégies pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs et aux défis environnementaux.
Baisse du pouvoir d’achat, concurrence du numérique
Le commerce de détail en France traverse une période difficile, marquée par une diminution du pouvoir d’achat des ménages. En 2024, la croissance économique est restée faible avec une progression de 1,1 %, entraînant une prudence accrue chez les consommateurs. Ces derniers réduisent leurs dépenses discrétionnaires, notamment dans des secteurs comme l’habillement ou les biens d’équipement pour la maison, qui enregistrent des baisses marquées de leurs ventes.
Ces évolutions sont accentuées par l’essor du numérique, ayant transformé les attentes des consommateurs. Au niveau mondial, la part du e-commerce dans les ventes du commerce de détail sera multipliée par plus de deux entre 2017 et 2027. En 2024, elle dépassera la barre des 10 % des ventes du commerce de détail en France, un chiffre en constante progression. Comme le montre le schéma, dans certaines catégories de produits comme l’électronique, cette part pourra même dépasser les 40 %.
Investir dans le drive, le « click & collect » et les marketplaces
Les enseignes investissent continuellement dans le commerce numérique et l’intégration de leurs canaux. Elles misent sur le drive, le « click & collect », le référencement sur une marketplace, ou encore la livraison à domicile (via des drones par exemple). La croissance est également portée par des sites de e-commerce comme Amazon. Ces derniers offrent une disponibilité immédiate, des prix compétitifs et des expériences d’achat fluides.
Parallèlement, les consommateurs attachent de plus en plus d’importance à des critères comme la durabilité et la personnalisation. Face à ces mutations, les commerces de proximité se trouvent en difficulté. Les centres-villes, autrefois des moteurs économiques, sont particulièrement touchés par la baisse de fréquentation et l’augmentation de la vacance commerciale.
Stratégie omnicanale
Pour s’adapter à la baisse de fréquentation des magasins physiques et à la concurrence croissante du commerce en ligne, les enseignes de détail n’ont d’autre choix que de repenser leurs modèles commerciaux. Un équilibre entre investissement dans les nouvelles technologies et préservation de l’expérience en magasin.
Une stratégie omnicanale, combinant le physique et le numérique, devient essentielle pour offrir un parcours d’achat sans couture. L’objectif ? Proposer une offre similaire, quels que soient le canal et une progression aisée d’un canal à une autre. Parmi les expériences d’achat sans couture, citons par exemple la mise en place de Drive, le click & collect chez Carrefour, ou encore la consultation des stocks en magasin sur le site Internet de l’enseigne. Ils combinent proximité de leurs magasins avec rapidité du e-commerce.
D’autres enseignes, par exemple Fnac Darty, ont également réussi à tirer parti de l’omnicanal. Ils enrichissent leur expérience en ligne en conseillant leurs clients sur le web grâce aux chats/visio et aux livestreams. Par ailleurs, Sephora propose à ses clients en magasin de commander en ligne des produits qui ne seraient pas disponibles en rayon. Cette stratégie diminue la frustration du client, lui donne l’impression de vivre une expérience plus commode et lui permet de disposer d’un assortiment plus large.
Le Court Circuit : une marketplace locale
Face à la crise, certains acteurs du secteur ont vu, dans l’émergence de modèles commerciaux alternatifs, une opportunité de se réinventer. Les marketplaces locales, qui permettent aux fermiers et commerçants locaux de vendre leurs produits via une plate-forme commune, connaissent un essor particulier. C’est le cas du Court Circuit. Cette plate-forme française rassemble une communauté de producteurs engagés pour le bon et locaux. Ils garantissent aux consommateurs de découvrir des produits locaux, les commander en ligne tout en se faisant livrer dans un point de retrait. Ainsi, les commerçants tirent parti du numérique pour accéder à une clientèle plus large tout en préservant l’ancrage local.
L’opportunité du marché de l’occasion
Le marché de l’occasion connaît une véritable explosion ces dernières années. Il incite les détaillants traditionnels à repenser leur stratégie pour ne pas se laisser distancer.
Des acteurs comme Vinted ou Leboncoin ont déjà capté une part importante du marché de l’occasion, en particulier dans les secteurs de l’habillement et de l’électronique. Face à cette tendance, certaines enseignes traditionnelles tentent de se repositionner. Decathlon, par exemple, a lancé son propre marché de l’occasion pour permettre à ses clients de louer du matériel sportif ou encore de revendre et acheter des équipements sportifs d’occasion. Fnac Darty a développé une offre d’occasion pour les produits électroniques et culturels, avec une section dédiée à la vente de produits reconditionnés. Ces initiatives visent à capter une clientèle soucieuse de son pouvoir d’achat et de la planète.
En intégrant ces modèles économiques circulaires dans leurs offres, les détaillants traditionnels cherchent à se positionner comme des acteurs responsables tout en explorant de nouvelles sources de revenus. Ces réponses variées à la crise montrent que le secteur du commerce de détail est loin d’un simple déclin. Il se réinvente sans cesse : entre l’enchantement de l’expérience en magasin et l’audace de l’innovation numérique, il façonne aujourd’hui le commerce de demain.
Nathalie Demoulin, Marketing professor, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.