IA et finance : état des lieux, tendances et enjeux

Date

03/07/2025

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L’intelligence artificielle (IA) est déjà en train d’impacter de nombreux métiers en finance d’entreprise (Directeur Financier, comptable, contrôleur de gestion…) mais souvent avec des divergences notables entre métiers et selon la taille de l’entreprise. Cependant, comme le rappellent Marie REDON et Patrick DAGUET, ce n’est pas la première fois que le monde de la finance est confronté à une révolution technologique. Dans la première partie de cette interview, les deux experts dressent un état des lieux de l’utilisation actuelle de l’IA et reviennent sur les leçons à tirer du passé, et la sélection des outils de l’IA.

Marie, vous menez des recherches sur l’utilisation et l’influence des technologies de l’information par les professionnels de la finance d’entreprise. En quoi l’IA constitue-t-elle une révolution à venir inéluctable pour les Directions Financières et quels sont vos conseils pour les aider à s’y préparer ?

Marie REDON (Professeur de comptabilité) : Effectivement, je réalise des recherches sur ce sujet avec ma co-autrice Thuy Seran de l’Université de Montpellier. D’abord, il est important de noter que l’IA n’est pas la première « révolution » technologique qu’ont rencontré les financiers. A partir des années 80, et plus particulièrement au début des années 90, ils ont vécu une première révolution technologique avec l’arrivée des progiciels de gestion intégrée ou ERP (Enterprise Resource Planning en anglais).

Cette révolution a constitué une opportunité pour les professionnels de la finance qui avaient développé des compétences informatiques, mais également pour les entreprises qui se sont retrouvées pionnières dans l’utilisation de cette technologie.

IA et finance : les enseignements du passé

Cette technologie s’est généralisée dans les années 90 et certaines grandes entreprises n’ont pas eu d’autre choix que de développer un ERP notamment pour faciliter la communication avec leurs parties prenantes. Bien souvent, elles ont déployé une solution standardisée, comme celles proposées par SAP, Oracle etc. Les professionnels détenant des compétences technologiques liées aux ERP se sont alors retrouvés extrêmement recherchés sur le marché du travail. Cette technologie a donc eu des impacts importants pour la profession. Aujourd’hui, il faut tenir compte des enseignements du passé pour préparer l’avenir parce que la révolution technologique, elle n’attend pas. Donc, mon conseil c’est d’être proactif et de se former dès à présent puisque de la même manière que les ERP sont aujourd’hui incontournables, dans 5, 10, 15 ans, ce sera certainement le cas de l’IA.

Pouvez-vous résumer quelques résultats de votre étude sur l’IA qui dresse un ‘état des lieux’ ?

Marie REDON (Professeur de comptabilité): Nous avons mené un questionnaire auprès de 375 professionnels de la finance d’entreprise, qui incluent des comptables, des contrôleurs de gestion et des directeurs financiers. Il ressort que l’IA est utilisée par environ 50% des répondants, mais l’étude remonte à la période 2023/2024 et les choses évoluent rapidement.

En revanche, les résultats montrent que l’IA est utilisée pour des opérations de maintenance, ou des tâches administratives (la rédaction de mails, ou de compte-rendu etc.), mais très peu utilisée pour la réalisation de tâches purement financières, c’est à dire la prévision ; la budgétisation, le calcul des coûts, etc.

Ainsi on peut dire que l’IA était déjà une réalité pour les professionnels de la finance en 2023/2024 mais reste un mythe quant à son utilisation pour les tâches purement financières.

Patrick DAGUET (Directeur Académique de l’Executive Mastère Spécialisé® Direction Financière): Cet état des lieux est en phase avec ce que j’ai pu constater auprès des participants de notre programme Executive*, qui sont majoritairement des personnes travaillant et gravitant autour des PME/ETI.

Et certains professionnels évidemment se posent la question de l’impact de l’IA sur leur métier, et se demandent même s’il faut considérer l’IA comme une opportunité ou une menace. Comme l’a expliqué Marie ce n’est pas la première révolution et ça ne sera certainement pas la dernière. Donc la capacité de se renouveler, de se transformer et d’accepter le changement de la fonction finance en entreprise, va être l’élément déterminant de l’évolution de l’IA.

IA et finance : différentes utilisations selon la taille de l’entreprise

Aujourd’hui, le constat qui est fait est que l’IA est principalement utilisée dans la rationalisation des tâches, ou dans l’augmentation de la productivité de certaines tâches répétitives. C’est principalement comme ça aujourd’hui qu’elle est vue et pratiquée dans les entreprises de taille moyenne ou petite. En revanche, dans les entreprises de plus grande taille, l’IA a une fonction beaucoup plus analytique et prospective pour tout ce qui est fait en termes de Financial planning & analysis.

Ici, l’IA est considérée non pas comme un facilitateur, ou un outil d’amélioration de la productivité, elle a pris une dimension différente, celle d’optimisation ou d’aide à la décision.

Marie REDON : Et nous voyons clairement dans notre étude qu’en fonction du profil du professionnel, il y a différentes perceptions des effets de cette technologie. Même si la majorité des professionnels perçoivent l’IA comme une opportunité pour l’évolution de leur fonction, certaines se sentent plus robustes que d’autres. Les fonctions qui impliquent beaucoup de tâches répétitives comme la comptabilité, se sentent plus vulnérables face à l’automatisation qui va être permise par l’IA. Et cela suscite parfois même des inquiétudes.

Mais à l’inverse, des positions impliquant une vision stratégique comme les Directeurs Financiers perçoivent l’IA comme un outil pour enrichir leur réflexion stratégique et remettre en question leur analyse, parfois même pour favoriser la création et l’innovation. Ils voient l’IA comme un vrai levier d’évolution.

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de cette utilisation de l’aide à la décision ?

Patrick DAGUET : De mon point de vue, ce n’est pas un hasard si l’utilisation de l’IA pour l’aide à la décision est plus répandue chez les entreprises de grande taille. L’organisation de leur Direction Financière est souvent beaucoup plus structurée. La plupart ont créé des départements finance regroupant le Financial planning & analysis (FP & A). C’est une entité qui réunit le contrôle de gestion, l’analyse des projets d’investissement, l’analyse de la création de valeur et l’analyse des coûts… Leurs reportings sont censés éclairer une décision créatrice de valeur.

Pour donner un exemple concret de comment l’intelligence artificielle peut être utilisée par un service FP& A : imaginez qu’une entreprise doive analyser le développement d’un nouveau service ou produit, tant du point de vue de la création de valeur client que de la création de valeur financière et environnementale. Elle va s’appuyer sur des outils d’analyse traditionnels. Mais souvent, ce qu’elle va chercher, c’est à aller un peu plus loin, c’est à dire rentrer dans l’analyse de sensibilité, explorer les scénarios allant du pire au meilleur.

IA et finance : un outil d’aide à la décision

L’IA peut apporter un plus dans cette réflexion pour construire différents types de simulations. Elle peut aider à élargir le champ de vision des décideurs en mettant à disposition des milliers de cas, au lieu de deux ou trois. Et parmi ces milliers de cas on peut voir dans la distribution dans quelles proportions nous serions au-dessus ou au-dessous du rendement minimum. Dans ce type de contexte l’IA peut jouer un rôle extrêmement concret dans l’aide à la décision et finalement l’arbitrage.

Cette technologie est également capable de pouvoir produire des inputs pour aider la réflexion à des questions stratégiques comme celles liées à la production/ et au prix de produits. Faut-il mieux être en avance sur le marché ou avoir un petit peu de retard ? En fonction des éléments qui peuvent être fournis, le service FP& A va pouvoir fournir une réponse qui sera de qualité et enrichira la réflexion.

Et j’insiste beaucoup sur le fait que la décision est prise par des êtres humains. Elle n’est pas prise par l’intelligence artificielle, donc le jugement humain et l’expérience de l’entreprise dans son secteur joueront un rôle déterminant. Cependant, ce que l’humain et l’expérience ne peuvent pas nécessairement répliquer et dupliquer assez rapidement compte tenu des masses d’information à traiter, l’IA peut le faire de façon pertinente.


La deuxième partie de cet entretien est disponible ici.


Ces thématiques font l’objet de recherches menées par la Chaire CFO & Sustainable Transformation (en partena­riat avec la DFCG et Axys). Si vous souhaitez témoigner ou contribuer n’hésitez pas à contacter : m.redon@ieseg.fr

Patrick DAGUET est Directeur de Académique du Programme:  Executive Mastère Spécialisé® Direction Financière


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