Finance Quantitative : Des modèles mathématiques au service du secteur financier – Interview avec Yann Braouezec
L’IESEG vient de lancer un nouveau centre de recherche dédié aux questions de finance quantitative, une discipline qui fournit les connaissances et techniques essentielles pour les marchés financiers. Le Directeur du centre (iℚuant), Yann BRAOUEZEC, nous explique l’importance et les éléments clés de cette discipline, les objectifs et les activités de iℚuant.
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Pourriez-vous définir exactement ce que nous entendons par finance quantitative ?
La finance quantitative concerne l’utilisation de modèles mathématiques, simples ou complexes, dont le but est d’évaluer, selon une démarche scientifique, des instruments financiers comme des actions, des obligations ou des produits dérivés. Pour comprendre le rôle et l’intérêt d’un modèle mathématique, je vais considérer deux exemples de paramètres importants, la probabilité de défaut et la volatilité.
Considérerons l’exemple d’une obligation à zéro coupon. Une telle obligation promet un remboursement d’un euro dans un an, la date de maturité, et est vendue aujourd’hui à un prix inférieur à un euro. Un investisseur qui achète aujourd’hui cette obligation recevra ainsi un euro dans un an si le vendeur n’est pas en situation de défaut de paiement. En revanche, en cas de défaut de paiement, l’investisseur recevra en général un montant inférieur à un euro, c’est-à-dire qu’il recevra un montant R qui est un nombre entre zéro et un mais qui n’est pas connu aujourd’hui.
Du point de vue de l’investisseur (disons une banque traditionnelle) qui souhaite évaluer sa perte espérée à l’horizon d’un an, il lui faut donc quantifier les chances –un nombre p entre zéro et un–que le vendeur soit en défaut de paiement. En finance, ce nombre p est appelé une probabilité de défaut (à un an) et sa quantification requiert l’utilisation d’un modèle mathématique. Lorsque l’on y réfléchit, la quantification du risque de défaut est en réalité le métier originel des banques puisque celles-ci ont pour cœur de métier la collecte des dépôts (ainsi que les services de paiements associés) et l’accord de prêts aux ménages et aux (petites et moyennes) entreprises. Pour des grandes banques comme BNP Paribas ou Société Générale, la valeur des prêts à la clientèle est de plusieurs centaines de milliards d’euros. Pour obtenir une évaluation des différentes probabilités de défaut concernant sa clientèle, les banques utilisent souvent différents types de modèles mathématiques (modèles statistique, scores….).
En finance de marché, le paramètre le plus connu est ce que l’on appelle une volatilité, qui représente l’écart type des taux de rendements annuels. Un taux de rendement n’est qu’un simple pourcentage. Ainsi, un taux de rendement annuel de 3% signifie qu’un produit financier tel qu’une action achetée 100 euros vaudra 103 euros dans un an. Il est toutefois hasardeux d’affirmer que le taux de rendement de telle ou telle action sera surement de 3% dans un an. Il est plus réaliste d’affirmer que, sur la base des observations des cours (de l’action) passées, ce taux de rendement dans un an sera de 3% en moyenne. Cela signifie donc qu’il peut y avoir des écarts par rapport à cette moyenne de 3% et la volatilité est précisément une mesure de ces écarts à la moyenne. Le problème de fond en finance de marché est que cette volatilité n’est pas constante dans le temps. Si elle l’était, comme un certain nombre de paramètres en physique, les choses seraient bien plus simples ! En général, en période de « crise », (financière, sanitaire, guerre etc…), cette volatilité a tendance à fortement augmenter. Or, certains produits financiers vendus par les banques tels que les produits dérivés dépendent fortement de cette volatilité. Une mauvaise estimation de cette volatilité lors de la vente d’un produit dérivé pourrait conduire à des pertes importantes.
L’un des objectifs de la finance quantitative est donc l’analyse de modèles mathématiques (et statistiques) destinés à la mesure et à la gestion des risques financiers.
Pourquoi avez-vous décidé de lancer le Centre maintenant et quels seront ses principaux objectifs ?
La finance est une discipline vaste rassemblant au sein du Département finance de l’IESEG des enseignants-chercheurs aux compétences et aux domaines d’expertise très différents. En termes de recherche, il était donc très naturel de « segmenter » le département en plus petites équipes homogènes afin de faciliter les collaborations. Le centre iℚuant portera plus spécifiquement sur la finance quantitative. Il existe beaucoup de sujets très importants à analyser tels que l’évaluation des conséquences économiques et financières du réchauffement climatique, les monnaies digitales banques centrales, le risque systémique et la régulation bancaire etc…
Le lancement du centre iℚuant a lieu le mercredi 22 mars 2023 et l’orateur, Olivier De Bandt, directeur de la recherche à la Banque de France, fait un exposé sur les conséquences macroéconomiques du réchauffement climatique.
Les missions de iℚuant sont doubles – soutenir les activités de recherche dans le domaine de la finance quantitative, mais aussi soutenir la diffusion de cette recherche. D’une part nous organiserons des séminaires et workshop destinés à un public d’enseignant-chercheurs spécialisés et d’autre part l’organisation de soirées iℚuant destinées à un public plus large du monde socioéconomique comme des professionnels du secteur financier ou des décideurs politiques.
Y a-t-il des tendances dans le domaine de la finance quantitative que nous devrions observer au cours des 12 prochains mois ?
Effectivement, iℚuant a pour vocation d’organiser des événements sur les sujets importants de la finance quantitative. Les sujets peuvent bien entendu être choisis en fonction de l’actualité la plus récente. Par exemple, le thème des monnaies digitales banques centrales (CBDC) est un sujet important et la Banque Centrale n’a pas encore complètement décidé ce que serait sa monnaie digitale banque centrale. Un autre sujet important couvert en 2023 sera lié à l’actualité récente du possible retour du risque systémique avec la faillite de la banque Américaine SVB et du rachat de Crédit Suisse par UBS.
Comment allez-vous partager les résultats de vos recherches avec les décideurs politiques et les personnes travaillant dans le secteur financier ?
Cette question est importante et touche à la dissémination de la recherche. Les articles sont de manière générale présentés dans les conférences internationales ou les « académiques » provenant des universités ou des écoles présentent le résultat de leur recherche. Aujourd’hui, dans beaucoup de conférences académiques, de nombreux « praticiens » exposent aussi leurs recherches et celles-ci sont parfois plus « académiques » que celle des académiques ! Il existe également de nombreuses conférences et séminaires organisés par les organisations internationales telles que les Banques Centrales (BCE, FeD), la Banques des Règlements Internationaux le FMI ou les régulateurs (Comité de Bâle) qui permettent aux « académiques » et aux « praticiens » de partager leurs travaux et leurs réflexions. Enfin, nos travaux de recherches seront tous référencés sur notre site web et des membres de l’équipe vont continuer à décrypter et expliquer leurs travaux dans des revues professionnelles et médias.
Découvrez le site web iℚuant: https://iquant.ieseg.fr/