Pourquoi certains pays ferment-ils leurs écoles en temps de crise et d’autres non ?
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Les fermetures prolongées d’écoles ont des effets importants sur le développement des enfants et leurs apprentissages. Revenir sur les expériences de crises passées, notamment la gestion de la pandémie de Covid-19, est important pour renforcer la résilience éducative.
Lors de périodes de crise, des pays peuvent se retrouver contraints de bouleverser le fonctionnement habituel des écoles, en fermant des établissements ou en organisant un passage à un enseignement à distance, avec des conséquences significatives sur l’éducation des enfants.
En 2003, Singapour, la Corée et Hongkong ont mis en place des fermetures d’un mois dans toutes les institutions éducatives en raison de l’épidémie de SRAS, laissant 1,2 million d’élèves sans cours entre avril et mai. Entre 2014 et 2016, l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest a entraîné des fermetures prolongées allant jusqu’à neuf mois, interrompant la scolarité d’environ cinq millions d’enfants.
Ces situations ne sont pas rares. Au-delà des crises sanitaires, les catastrophes climatiques et les enjeux de sécurité ont également provoqué des fermetures prolongées. Selon l’Unesco, environ 222 millions d’enfants dans le monde sont actuellement privés d’école en raison de ces catastrophes.
Comprendre les décisions de fermeture d’écoles
Malgré l’ampleur de ces crises, nous ne comprenons pas encore pleinement pourquoi certains pays ferment leurs écoles tandis que d’autres choisissent de les garder ouvertes. Selon le Covid-19 Government Response Tracker d’Oxford, pendant la crise du Covid, des pays comme l’Azerbaïdjan, la Chine, le Guatemala, la Bolivie et le Pérou ont connu des fermetures prolongées ou des restrictions opérationnelles sévères. En revanche, le Japon, l’Islande, la Biélorussie et le Burundi ont eu des fermetures nettement plus courtes.
La France, par exemple, se classe dans le quintile le plus bas pour les fermetures d’écoles, avec des fermetures représentant seulement 26 % du temps, au même niveau que des pays similaires comme la Finlande (24 %), le Ghana (27 %) et le Portugal (29 %).
À première vue, on pourrait supposer que ces décisions sont directement liées à la gravité des crises ou à la capacité économique d’un État. Cependant, notre étude publiée dans Governance révèle des dynamiques plus complexes et parfois contre-intuitives.
Notre recherche montre que les fermetures d’écoles sont influencées par des facteurs systémiques, bureaucratiques et politiques. Par exemple, les pays disposant de ressources limitées mais d’une gouvernance politique responsable et de bureaucraties professionnalisées maintiennent plus souvent les écoles ouvertes que ceux où le leadership est irresponsable.
La capacité des systèmes éducatifs à résister aux crises futures – qu’elles soient sanitaires, climatiques ou économiques – est cruciale. Les fermetures d’écoles ont des conséquences graves : chaque année d’éducation perdue entraîne une diminution d’environ 10 % des revenus futurs et a des implications plus larges sur l’apprentissage, la socialisation et la résilience des enfants. Maintenir les écoles ouvertes est donc essentiel.
Notre analyse met en lumière plusieurs facteurs influençant ces décisions, qui dépassent les urgences immédiates. Entre décembre 2019 et mars 2023, notre étude a révélé que les pays avec des institutions centralisées évitaient souvent les fermetures prolongées. Des nations comme Israël et la Corée du Sud, dotées de bureaucraties professionnelles et d’infrastructures numériques avancées, ont réussi à minimiser les perturbations dans les services éducatifs.
Le modèle des « capacités politiques imbriquées »
Pour comprendre pourquoi certains pays gardent leurs écoles fermées plus longtemps, nous proposons un modèle de « capabilités politiques imbriquées ». Ce modèle examine comment les capacités systémiques, organisationnelles et individuelles d’un pays interagissent pour influencer la gestion des crises et les décisions de fermeture des écoles.
Les pays dotés de fortes capacités systémiques, affichant une confiance accrue dans les institutions et les experts, ont tendance à mettre en œuvre des fermetures ciblées plutôt que généralisées. La Corée du Sud en est un exemple, avec une réponse pandémique efficace dirigée par l’Agence coréenne de contrôle et de prévention des maladies (KDCA), qui s’est appuyée sur des stratégies telles que le traçage précoce des contacts, une communication transparente et une utilisation intensive de la technologie, renforçant la confiance des citoyens et des décideurs.
Certains pays manquent d’agences comme la KDCA mais possèdent des bureaucraties « ouvertes » – agiles et adaptables. Ces pays s’appuient sur de fortes capacités organisationnelles, telles que des bureaucraties professionnelles ouvertes à l’innovation et capables d’attirer des experts qualifiés du secteur privé. Par exemple, les normes israéliennes Health Level 7, mises en œuvre depuis 2018, ont centralisé et numérisé les dossiers médicaux pour 98 % de la population, permettant un déploiement rapide des vaccins pendant la pandémie de Covid-19.
Même avec de solides capacités systémiques et organisationnelles, la gestion des crises peut échouer si les dirigeants polarisent la population par des discours populistes ou complotistes, créant des divisions contre-productives dans la société et semant le doute sur les experts et la science en général.
La réponse des États-Unis sous l’administration Trump illustre ce problème : la gestion de la pandémie a été marquée par le renvoi de nombreux responsables de santé publique formés sous l’administration Obama dans le cadre du « plan national de pandémie » du Conseil de sécurité nationale (seuls 8 sur 30 sont restés en poste) et par des restrictions budgétaires sévères imposées à des organisations scientifiques clés comme le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Les scientifiques ont même été invités à éviter des termes tels que « politique fondée sur des preuves », ce qui a affaibli la réponse à la pandémie et prolongé la fermeture des écoles.
Leçons pour un avenir résilient
Renforcer la résilience des systèmes éducatifs doit devenir une priorité mondiale. Les fermetures prolongées d’écoles ont des effets graves sur les enfants, entraînant des retards dans l’acquisition du langage, dans les apprentissages et des limitations dans la socialisation. Les familles, en particulier celles ayant des responsabilités de soin, subissent également des pressions accrues lorsque les écoles sont fermées.
Pour renforcer la résilience éducative, il est essentiel d’apprendre des expériences passées, d’intégrer les technologies numériques, de renforcer les capacités organisationnelles et d’élire des dirigeants compétents en gestion de crise. Face aux défis tels que les pandémies, les catastrophes naturelles et les crises économiques, notre capacité à anticiper et à répondre façonnera l’avenir des systèmes éducatifs.
Lucas Amaral, Associate Professor, IÉSEG School of Management; Diego Salazar-Morales, Assistant Professor in International Governance, Leiden University et Pedro Pineda Rodriguez, Senior Lecturer, Department of Education, University of Bath
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.