Automatisation du travail : pourquoi certains employés n’ont pas plus peur que ça de perdre leur emploi…

Dans leur article* intitulé “Anxiety buffers and the threat of extreme automation: a terror management theory perspective”, les professeurs Frank Goethals et Jennifer Ziegelmayer ont étudié la manière dont les employés réagissent face à une menace potentielle ou perçue de perdre leur travail à cause des nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle ou les robots.

Date

02/02/2023

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Des entretiens ont été menés auprès d’employés de diverses entreprises, secteurs et fonctions, qui percevaient une menace potentielle due à l’automatisation du travail. « Il était intéressant de constater que les employés, peu importe leur rôle, semblaient généralement penser que les autres rôles étaient plus à risque, ou qu’ils étaient eux-mêmes moins à risque que d’autres personnes ayant le même rôle qu’eux », explique Frank Goethals .

Les employés semblent faire appel à des mécanismes psychologiques rassurants pour se protéger eux-mêmes et minimiser l’anxiété créée par la perte potentielle de leur emploi.

La théorie de la gestion de la peur comme explication de ce paradoxe ?

“ Nous avons identifié la théorie de gestion de la peur comme une explication possible de ce paradoxe dans lequel les personnes n’ont apparemment pas peur de l’automatisation du travail alors que leur emploi est extrêmement important à leurs yeux », explique Frank Goethals. Cette théorie, développée dans les années 80, suggère que la conscience de la mort crée un potentiel énorme de peur et explique comment les gens continuent à vivre normalement malgré la menace de la mort grâce à trois « amortisseurs » d’anxiété : l’estime de soi, une vision du monde stable, et des relations interpersonnelles (attachement).

Tout comme les gens utilisent ces « amortisseurs » pour minimiser leur angoisse vis-à-vis de la mort, ils peuvent les utiliser aussi pour réduire la peur induite par la perte potentielle de leur travail. Frank Goethals et Jennifer Ziegelmayer ont constaté, au cours des entretiens, que le travail contribue à l’estime de soi, et qu’il fait partie de notre vision du monde car il est difficile d’imaginer un monde sans travail, et que le travail permet de développer des liens sociaux sur lesquels nous comptons.

Les chercheurs utilisent donc cette théorie pour étudier avec plus de précision les mécanismes de compensation ou les « amortisseurs » que les employés utilisent pour contrôler leur peur de l’automatisation. « Nous avons conduit une expérimentation qui démontre que le fait d’exposer les personnes à la menace de l’automatisation du travail à court terme réduit leur estime d’eux-mêmes (puisqu’un ordinateur est capable de faire ce pour quoi vous pensiez être doué), fait baisser leur conviction au regard de leur vision du monde, et diminue la confiance qu’ils accordent aux autres. Cela augmente le niveau d’anxiété », explique Frank Goethals. Cependant, ils ont aussi découvert que les effets à court terme disparaissent rapidement car les gens renforcent ces amortisseurs d’anxiété en se convainquant que leur travail ne peut pas être automatisé.

Applications pratiques

Les chercheurs insistent sur le fait que cette étude n’a pas pour objectif d’alimenter le débat sur l’automatisation possible ou non de certains emplois spécifiques, ou sur la valeur que cette automatisation peut apporter. Elle s’accorde plutôt à nous éclairer sur la façon dont les employés réagissent aux messages qui rendent pertinent le potentiel de perte d’emploi dû à l’automatisation.

“Alors que l’automatisation n’a pas encore atteint des niveaux extrêmes dans le milieu du travail, il sera tout de même important pour les entreprises et la société de se préparer dans les mois et années à venir », explique Jennifer Ziegelmayer. En renforçant leurs “amortisseurs” d’anxiété, les employés pourraient créer un sentiment de sécurité erroné et pourraient prendre moins d’initiatives pour apprendre des compétences qui sont moins sujettes à l’automatisation. D’autre part, à plus long terme, la société devra peut-être développer des piliers de l’estime de soi et de la vision du monde différents, qui seront moins en lien avec le travail.

*Plus d’informations disponibles dans l’article.: “Anxiety buffers and the threat of extreme automation: a terror management theory perspective”, Information Technology & People (January 2022).


Catégorie(s)

Management & SociétéSystèmes d’information, Technologie & Industrie


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