Les consommateurs deviennent de plus en plus sensibles aux prix : comment les gérer ?
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Un effet de la crise inflationniste qui s’éloigne ? Toujours est-il que les consommateurs sont de plus en plus nombreux à faire attention aux prix. Cela ne veut pas dire qu’ils veulent le moins cher à tout prix. De nombreuses recherches montrent que le lien entre la demande est le prix est plus complexe que ce que laisse entendre la basique loi de l’offre et de la demande.
Selon une étude menée par le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG), 70 % à 90 % des consommateurs à travers le monde, tant dans les pays riches que pauvres, se décrivent comme étant « sensibles au prix ». Cependant, le même rapport met en garde contre l’idée selon laquelle les consommateurs préféreraient toujours le prix le plus bas.
Certes, le prix constitue une information clé sur le marché, car il est présent dans toutes les situations d’achat. Mais être sensible au prix ne signifie pas nécessairement rechercher l’option la moins chère. Cela invite plutôt à une réflexion sur la valeur, le contexte et les circonstances personnelles. L’interaction entre ces trois éléments façonne la manière dont les consommateurs perçoivent le coût d’un même produit. Cela a d’importantes implications pour les entreprises : l’élaboration de stratégies de tarification efficaces doit dépasser des hypothèses simplistes, en intégrant toutes les dimensions de la sensibilité au prix…
L’importance des circonstances
Le contexte, le type de produit, l’urgence de l’achat, les cadres sociaux et les outils de marketing utilisés, comme les promotions, peuvent avoir un impact significatif sur les perceptions des prix et sur la sensibilité. À commencer par le contexte dans lequel un prix est présenté. Un même montant n’est pas perçu de la même façon selon les circonstances. Wakefield et Inman ont ainsi montré que les consommateurs sont moins sensibles au prix dans certaines situations sociales, où les achats sont motivés par l’approbation sociale ou par la recherche d’expériences émotionnelles. Par exemple, une bouteille d’eau coûte plus cher dans un restaurant ou à un festival que dans un supermarché, car le contexte – commodité, rareté et ambiance – ajoute une valeur perçue.
La sensibilité des consommateurs au prix est également influencée par le type de produit. Des études menées par des professeurs des universités américaines montrent que les consommateurs choisissent souvent des alternatives à bas prix dans des catégories comme les courses quotidiennes ou les articles ménagers. Toutefois, les mêmes personnes peuvent être prêtes à investir davantage dans des produits où la qualité ou la satisfaction émotionnelle est essentielle, telle que la technologie ou les soins personnels. Cette tendance est particulièrement marquée pour les biens « hédoniques » ou des expériences comme aller au cinéma. Dans ces situations, la valeur émotionnelle peut l’emporter sur les préoccupations de prix. À l’inverse, pour les produits fonctionnels comme les courses ou les fournitures ménagères, les consommateurs ont tendance à être plus attentifs aux prix en raison de contraintes budgétaires plus strictes.
La nature du produit joue un rôle essentiel dans la façon dont la sensibilité au prix est façonnée : les articles fonctionnels incitent à un comportement plus attentif aux prix, en particulier parmi les consommateurs à faible revenu qui recherchent activement les bonnes affaires et comparent les prix. En revanche, les produits hédoniques produisent moins de sensibilité au prix, en particulier parmi les segments à revenu plus élevé. Ces conclusions ont des implications importantes pour les entreprises. Si une tarification « premium » peut fonctionner pour les produits hédoniques, des prix concurrentiels ou des remises seront plus attrayants pour les articles fonctionnels.
Rareté et limites cognitives
Mais ce ne sont pas les seuls éléments importants. D’autres facteurs interviennent comme la rareté et la charge cognitive. Ainsi, nous avons une capacité mentale limitée pour traiter toutes les informations qui nous entourent – c’est ce qu’on appelle la charge cognitive, un concept bien étudié en psychologie sociale. Cette charge, combinée à la rareté, influence directement la manière dont nous, en tant que consommateurs, prenons des décisions, notamment en matière de sensibilité au prix.
Les ressources financières limitées, qu’il s’agisse de liquidités ou d’accès à celles-ci, poussent les consommateurs à faire des compromis réfléchis, évaluant chaque euro à dépenser avec soin. Par exemple, sans accès immédiat à leur portefeuille, ils deviennent plus attentifs à leurs dépenses.
Une étude de l’Université de Princeton montre que la rareté d’un produit incite les individus à se concentrer sur les compromis, faisant du prix un facteur central dans leurs décisions d’achat. Lorsque les ressources sont limitées, le coût prend plus d’importance, augmentant ainsi la sensibilité au prix. Lorsque des consommateurs ont des ressources financières limitées, ils deviennent plus cohérents dans leur évaluation des produits, pesant soigneusement les compromis entre leurs différents besoins. Ce comportement est particulièrement marqué chez les consommateurs à faible revenu, qui subissent une pression émotionnelle et cognitive supérieure lors de la prise de décisions d’achat. En conséquence, les recherches montrent qu’ils sont plus enclins à réfléchir longuement, augmentant ainsi leur sensibilité au prix alors qu’ils cherchent à maximiser la valeur de chaque dépense. Pour les entreprises, cela signifie que s’adresser aux consommateurs à faible revenu nécessite de mettre l’accent sur la valeur plutôt que de simplement proposer des prix bas.
Le prix de la flexibilité
À l’inverse, d’autres recherches confirment que les consommateurs à revenu élevé sont plus disposés à payer un supplément pour la flexibilité lors des achats, comme pour des billets d’avion, où la commodité et les économies potentielles des options flexibles l’emportent sur les préoccupations de prix. C’est un bon exemple de consommateurs qui, bien que sensibles au prix, ne cherchent pas le prix moins élevé… quoi qu’il en coûte.
En général, les consommateurs plus riches sont moins réactifs aux petites fluctuations de prix, en particulier dans des catégories où la commodité ou la satisfaction émotionnelle jouent un rôle important. Par exemple, les consommateurs à revenu élevé peuvent être prêts à payer un prix plus élevé pour la commodité et la flexibilité – tels que des billets d’avion avec des avantages supplémentaires, des produits plus chers mais prêts à manger, ou des achats dans des marchés bien situés avec des produits à des prix plus élevés – car le coût de la recherche d’un prix plus bas, en termes de temps et d’effort, dépasse les économies potentielles. Ils préfèrent donc la commodité à une économie financière qui peut ne pas en valoir la peine.
Cependant, ils évaluent si les avantages justifient le prix plus élevé. Cela indique que les entreprises visant les consommateurs aisés peuvent adopter des stratégies de tarification premium en offrant une valeur ajoutée sans nuire à la demande.
Le rôle des remises et des promotions
Étonnamment, les perceptions des prix et la sensibilité sont également façonnées par les perceptions des consommateurs de l’environnement macroéconomique, et non par leur seule situation financière personnelle. Des recherches menées dans différents pays ont montré que dans un environnement macroéconomique défavorable, les consommateurs deviennent encore plus sensibles aux prix, surtout pour les biens essentiels. Ainsi, de nombreux consommateurs sont devenus plus attentifs aux prix pendant et après la crise du Covid.
En plus de ces facteurs contextuels, les remises ou offres à durée limitée influencent la sensibilité au prix. Ces actions marketing, telles que des collections exclusives à durée limitée, créent un sentiment d’urgence, permettant aux entreprises de justifier des prix plus élevés, sans réduire les coûts. Les consommateurs à revenu plus faible, soumis à des contraintes budgétaires, sont particulièrement réactifs à ces offres. En revanche, ceux à revenu plus élevé, dont le coût d’opportunité du temps est moins important, comparent moins les prix, privilégiant la commodité et la flexibilité.
De plus, des études montrent que les familles nombreuses et celles avec des budgets serrés passent plus de temps à rechercher de bonnes affaires et sont plus sensibles aux prix des biens essentiels. Ces facteurs soulignent la nécessité pour les entreprises d’adopter des stratégies de tarification nuancées qui tiennent compte du contexte, du revenu des consommateurs et des circonstances spécifiques d’achat.
Avoir des stratégies flexibles
Les consommateurs sensibles aux prix sont diversifiés, représentant différents niveaux de revenus. Bien qu’ils partagent une conscience accrue des prix, cela ne conduit pas toujours à des choix les moins chers ; ils évaluent la valeur globale, y compris la qualité, la réputation de la marque et les avantages à long terme.
Pour répondre à ces différences, les entreprises devraient adopter des stratégies de tarification flexibles. Dans les marchés sensibles aux prix, des alternatives à prix abordable et des programmes de fidélité s’avèrent efficaces, tandis que les marchés aisés réagissent mieux à des propositions axées sur la valeur. Avec l’évolution économique, les entreprises équilibrant accessibilité et valeur perçue attireront divers clients, d’où l’importance d’adapter leurs stratégies de tarification.
Jorge Jacob, Professor of Behavioral Sciences, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.