Le métavers : état des lieux, questions et regard virtuel sur l’avenir…
Une centaine de personnes, parmi lesquelles des chercheurs internationaux de premier plan et des experts de l'industrie, se sont récemment réunies sur le campus de Paris-La Défense pour une conférence sur le métavers et les mondes virtuels. Dans le contexte de l'engouement et de l'attention médiatique qui entourent ce sujet, cette conférence a été l'occasion de faire le point sur la situation actuelle, d'en savoir plus sur les derniers développements de l'industrie et d'approfondir certaines des questions clés et des tendances étudiées par les chercheurs. De la complexité de la propriété aux nouvelles technologies qui façonnent les mondes virtuels, en passant par la manière dont les entreprises peuvent créer de la valeur grâce aux interactions sociales. Ce ne sont là que quelques-uns des sujets qui ont été abordés lors de la session du matin, avant que des experts du secteur ne prennent la parole pour partager leurs expériences et leurs points de vue.
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(Photo: Designed by Freepik)
Le métavers comme lieu de rencontre – les interactions sociales comme médiateur du succès
Thorsten HENNIG-THURAU (Université de Münster) a décrit le métavers comme un environnement virtuel dans lequel les gens, sous forme d’avatars, agissent et communiquent les uns avec les autres en temps réel. La réalité virtuelle (RV) est un moyen d’entrer dans le métavers, a-t-il déclaré, mais ce n’est pas le seul. La réalité virtuelle de pointe permet « des niveaux de présence sociale sans précédent », en particulier par rapport aux solutions 2D sur des outils non liés à la réalité virtuelle.
Pour cet expert, la présence sociale sera donc l’un des facteurs critiques du succès du métavers. Elle a le potentiel de transporter les utilisateurs dans un monde tridimensionnel partagé, indépendamment de notre emplacement physique – ce qui, selon lui, contraste avec la « solitude » que certains utilisateurs peuvent ressentir dans les mondes traditionnels en 2D.
Il a également présenté une série de contextes commerciaux dans lesquels le métavers peut devenir un « lieu de rencontre » : les employés se connectent avec d’autres employés (y compris les cas d’intégration à distance, de renforcement d’équipes, de formation virtuelle) ; les entreprises interagissent avec leurs clients (exemples : présentation de services, vente de biens réels ou virtuels, initiatives de promotion de la marque) et les clients se rencontrent avec d’autres clients.
Il a terminé en soulignant certains domaines de recherche futurs liés au métavers, notamment la création de valeur, le comportement des consommateurs et la transition des entreprises vers le métavers.
Propriété et possession dans les mondes virtuels : décentralisation, démocratisation et nouvelles formes de propriété
Russell W. BELK (Schulich School of Business, York University) a été invité à aborder la question complexe de la propriété et de la possession (virtuelles) dans le métavers. Le développement du métavers et de la numérisation a conduit à de nouvelles formes de propriété démocratisées et décentralisées. Par exemple, lorsqu’une personne achète un NFT (jeton non fongible – un enregistrement dans la blockchain pour certifier la propriété et l’authenticité), elle peut, par exemple, posséder une version numérique d’une œuvre d’art ou d’un bien immobilier virtuel, mais elle ne possède pas l’original et n’en bénéficie pas si celui-ci (l’original) prend de la valeur.
Il a évoqué les effets du fractionnement des NFT – lorsque la propriété numérique d’un NFT est divisée entre plusieurs personnes. Il a noté que ce type de propriété pouvait réduire l’attachement d’une personne à l’objet, ses droits de propriété légaux et même son sentiment de propriété psychologique. Cependant, cette division de la propriété peut ne pas avoir d’impact sur leur « possession psychologique », car celle-ci ne réside pas dans l’objet en soi, mais dans ce que les consommateurs ont à l’esprit.
Le développement du métavers remet donc en question nos perceptions de la propriété, en dépassant les concepts traditionnels de la propriété juridique tangible.
Déverrouiller le métavers 4.0 : les nouvelles technologies qui peuvent façonner les mondes virtuels
Carlos FLAVIAN (Université de Saragosse) a commencé sa présentation sur les nouvelles technologies susceptibles de façonner notre avenir en soulignant que le métavers en était encore à ses débuts (le « métavers 1.0 ») et qu’il y avait plus de questions que de réponses sur ce que serait le métavers. Il estime que nous ne connaissons que des fragments de ce qu’il pourrait devenir et qu’il est temps de se concentrer sur le développement du « métavers 4.0 ».
Il a souligné plusieurs points qui, selon lui, seront nécessaires pour parvenir à cette version mature du métavers : des concepts et un vocabulaire communs, l’amélioration de la capacité informatique, l’interopérabilité entre différentes plateformes (par exemple, entre Roblox et Sandbox), le développement d’organisations autonomes décentralisées pour gérer le métavers, et l’amélioration de la capacité du réseau (par exemple, en développant la 5/6G).
Le développement des technologies/appareils immersifs actuels sera également essentiel pour l’avenir du métavers, par exemple en termes d’amélioration de la résolution graphique et du réalisme des images ou encore du confort de ces appareils pour les utilisateurs. Il a également noté qu’il sera essentiel d’améliorer la richesse sensorielle de la technologie (à savoir les composantes visuelles, sonores et tactiles).
« Le métavers est peut-être virtuel… mais l’impact sera réel », a-t-il noté.
La réalité augmentée et un « avenir hybride »
Philipp RAUSCHNABEL (Universität der Bundeswehr München) a commencé sa présentation en soulignant que, selon lui, l’avenir sera hybride, combinant les meilleurs éléments des mondes physique (hors ligne) et numérique (en ligne).
La réalité étendue (XR) sera utilisée pour entrer dans le métavers, mais il a souligné la nécessité de faire la distinction entre la réalité augmentée et la réalité virtuelle du point de vue de l’utilisateur. Il a fait part de certaines de ses réflexions sur la réalité augmentée, en soulignant que les quatre « C » (contenu, contexte, consommateur, computing device [dispositif informatique]) constituaient la base d’une application réussie de la réalité augmentée.
Il a également évoqué le potentiel de la réalité augmentée pour rapprocher le consommateur de la marque et les possibilités de combiner les technologies de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle (à travers le prisme du film Kingsman, qui contient une scène où les deux technologies sont utilisées). Il a également réfléchi à certains des défis que cela peut poser.
Il a fait remarquer qu’au fur et à mesure que la technologie évolue, les organisations devront envisager le contenu virtuel différemment.
EXPÉRIENCE ET TENDANCES DE L’INDUSTRIE
Quatre experts de différents secteurs ont été invités à partager les développements et les expériences de leur entreprise ou de leur industrie au cours d’une session de l’après-midi axée sur les pratiques commerciales et professionnelles.
Morgan BOUCHET (responsable des produits immersifs, Orange, et maître de conférences, SciencesPo) a expliqué comment Orange avait déjà « plongé » dans le métavers avec plusieurs actions concrètes, notamment l’initiative Orange safe zone, qui vise à fournir des espaces de confiance pour protéger les jeunes contre la cyberharcèlement sur certaines des principales plateformes de jeux en ligne telles que Fortnite et Roblox. En termes de réalité immersive, il a souligné l’initiative Eternelle Notre Dame, qui propose une expédition en RV de la cathédrale historique de Paris (qui est en cours de reconstruction suite à l’incendie qui a ravagé le monument emblématique en 2019).
Ellen VAN DE WOESTIJNE (vice-présidente du développement stratégique, ARHT) a emmené le public dans le monde de la technologie des hologrammes, un marché qui devrait connaître une croissance rapide dans les années à venir. En ce qui concerne les tendances de cette technologie, elle a noté l’intérêt pour les événements hybrides, les réunions et la formation, où elle a le potentiel d’ « épater » le public ou d’éviter le « zoom fatigue ». Elle a également présenté trois catégories de cas où les hologrammes peuvent être ou sont utilisés : le partage d’informations (réunions, événements, discours, etc.), le partage d’expériences (par exemple, lancements de produits, apparitions de célébrités, service client virtuel) ou le partage de connaissances (recherche, enseignement, formation, culture). De nombreux secteurs, dont l’éducation (comme dans le cas de l’IMD en Suisse), la vente au détail, la finance et le divertissement, explorent cette technologie.
Jae MALONEY (consultant en innovation et chercheur, Air France/KLM) a donné un aperçu des différentes solutions développées par la compagnie, notamment dans les domaines de la formation et de la sécurité. Son éventail de solutions XR comprend déjà par exemple la formation en repoussage et la formation des pilotes et des membres d’équipage… Il a souligné les nombreux avantages que la RV apporte à la formation, notamment l’amélioration des résultats, les possibilités de répétition ou de commettre des erreurs sans conséquences, ou encore la réduction de l’empreinte carbone de l’organisation. Il a également fait part de certains projets en cours de l’entreprise et de certains défis auxquels les entreprises qui développent ces technologies peuvent être confrontées, notamment l’adoption par les utilisateurs, la rapidité du changement et l’intégration de nombreuses technologies.
Emanuela PRANDELLI (Université Bocconi) a montré comment les marques de luxe peuvent montrer la voie et rester pertinentes pour les nouvelles générations en offrant des expériences uniques et originales grâce au métavers. Elle a parlé de l’environnement omnicanal et de l’importance de la cohérence et de l’intégration entre les plateformes et les dispositifs. Elle a souligné le nouveau besoin de personnalisation et, à l’ère de la communication en temps réel, elle a insisté sur le fait qu’être authentique pourrait être plus important pour les marques de luxe que d’être « parfait ». Elle a également souligné que les marques de luxe devaient être des ‘content curators’ (créateurs/organisateurs de contenus) et a expliqué comment la gamification, les produits numériques et les NFT pouvaient favoriser l’engagement des clients. Elle a conclu en expliquant que les environnements « phygitaux » apportent beaucoup plus de données sur les clients, ce qui peut avoir un impact considérable sur le marketing.
Quelques idées et questions clés issues des quatre ateliers et de la conférence – Gwarlann DE KERVILER, Bernadett KOLES, et Lana MULIER.
– La conférence a fourni un aperçu complet des développements actuels, des questions essentielles et des tendances émergentes dans le métavers, en mettant l’accent sur les interactions sociales en tant qu’élément vital pour réussir dans le métavers.
– Le métavers remet en question notre vision des possessions, de la présence sociale et des différences entre la réalité et la virtualité.
– Les marques devront adapter leur approche du métavers en prenant davantage en compte le point de vue de l’utilisateur et en investissant dans les bonnes technologies.
– Le concept de propriété dans les mondes virtuels est en pleine mutation, l’essor des NFT et d’autres technologies remettant en cause les notions traditionnelles de possession et d’attachement.
– Un avenir hybride, combinant des éléments physiques et numériques, est attendu, la réalité augmentée jouant un rôle crucial pour combler le fossé entre les expériences hors ligne et en ligne.
– Des experts de différents secteurs ont mis en lumière des applications pratiques de la technologie immersive, allant de la création d’espaces de confiance dans les plateformes de jeux en ligne à l’exploitation de la technologie des hologrammes pour améliorer les événements, les réunions et les expériences de formation.
– Les marques de luxe ont également été conseillées sur la manière de rester pertinentes dans le métavers grâce à des expériences uniques et des stratégies d’engagement authentiques.
Marketing d’influence
– De nouvelles versions d’influenceurs (par exemple, virtuels et générés par l’IA) deviennent de plus en plus répandues aux côtés de leurs homologues humains, certaines marques créant leurs propres porte-parole virtuels, comme Livi de Louis Vuitton. Les influenceurs virtuels ont un grand potentiel d’avenir pour ouvrir la voie au métavers et aider les marques à offrir à leurs clients des expériences transparentes sur de multiples canaux.
– Il est nécessaire de réglementer ce domaine, en accordant une attention particulière aux questions d’authenticité et de transparence afin de protéger les consommateurs.
Possessions virtuelles et propriété
– La façon dont les gens possèdent – ou perçoivent la propriété – est susceptible de changer dans le métavers. Les possessions numériques ont déjà élargi la vision traditionnelle de la propriété des biens matériels, mais avec la prolifération des espaces virtuels, ces tendances sont susceptibles d’évoluer encore davantage. Les gens se sentent propriétaires de choses qu’ils ne possèdent pas nécessairement sur le plan juridique.
– Les plateformes vont-elles devenir propriétaires ?
Avatars et identités numériques
– L’identité personnelle est très importante – dans quelle mesure les avatars doivent-ils être liés à une personne ?
– Des recherches sont nécessaires pour étudier comment le comportement des personnes s’adapte lorsqu’elles se présentent dans un espace virtuel.
Vie privée et réglementation
– Les participants ont réfléchi à la protection des données et de la vie privée et ont discuté du « côté obscur » du métavers, y compris des sujets tels que la vie privée dans les médias sociaux (partage d’informations entre plateformes) et les menaces pour la vie privée d’autrui, ainsi que les conséquences des PNJ (personnages non joueurs) et des avatars dotés de fonctions d’intelligence artificielle.
Vous pouvez également trouver plus d’informations sur le site web de la conférence.
Cette conférence bénéficie du soutien de la Commission Recherche de l’Université Catholique de Lille et sa Fondation.
Septembre 2024: Veuillez noter que Bernadett Koles ne travaille plus à l’IESEG. Cet article a été publié lorsque ce professeur était à l’IESEG.