« Engager pour transformer : managers et DRH, coproducteurs d’une nouvelle fonction humaine ». Interview avec Bernard Coulaty

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23/04/2024

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Dans un monde du travail en perpétuelle mutation, où les défis technologiques, sociétaux et intergénérationnels sont omniprésents, Bernard COULATY propose dans son dernier ouvrage, « Engager pour Transformer « , une exploration des paradoxes actuels et des clés pour repenser une fonction humaine mieux partagée entre managers et responsables des ressources humaines (DRH). Dans cette interview, il revient sur la sortie de son nouveau livre, l’influence de son parcours professionnel, et les modèles et outils qu’il propose aux managers et DRH.

Bernard COULATY, ancien DRH pour de grands groupes français à dimension mondiale, est aujourd’hui professeur et directeur de l’Executive Mastère Spécialisé® Direction Transformation et Développement Humain à l’IÉSEG.

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre et qu’est-ce qui le distingue de vos précédents ouvrages ?

Quand je suis rentré d’Asie, il y a maintenant 5 ans avant de rejoindre l’IÉSEG, j’avais écrit un premier livre qui s’appelait « Engagement 4.0 ». L’ouvrage était une sorte de définition d’un modèle d’engagement, se focalisant sur les fondamentaux de l’engagement et définissant des profils de collaborateurs, des plus désengagés au plus surengagés. C’était un livre plutôt opérationnel à l’usage des managers d’équipes.

Entre-temps, le COVID est passé par là et nous avons vécu différentes années de transition, avec de nombreuses mutations dans le monde du travail : le télétravail évidemment, mais également le rapport entre les différentes générations, le rapport et le sens au travail …. Ainsi j’ai voulu écrire un livre plus global, qui soit moins un outil de travail pour les managers, mais plutôt un cadre de réflexion stratégique, à la fois pour les DRH et les managers.

Et même si on parle beaucoup de transformations, le cœur du livre est le binôme manager-DRH dans leur capacité de créer de l’engagement individuel et collectif. Aussi, j’ai voulu modéliser, à l’usage de ces 2 acteurs très importants, ce qu’était l’humain dans l’entreprise. Voilà la genèse de ce livre.

Pouvez-vous nous parler des paradoxes des transformations à mener dans les organisations, notamment en ce qui concerne le rôle des managers et des DRH ?

Effectivement, il y a beaucoup des paradoxes mais j’en ai retenu 4.

D’abord en fond d’écran, il y a tous les enjeux actuels : humains, sociétaux, RSE, et digitaux. On le voit bien avec l’intelligence artificielle qui apparaît sur le devant de la scène, ou avec les enjeux générationnels en entreprise. Nous parlons souvent d’un monde VUCA (acronyme anglais de volatility, uncertainty, complexity & ambiguity), et sa déclinaison récente BANI (Brisable, Anxieux, Non linéaire et incompréhensible). Donc, ces paradoxes sont normaux, ils font partie de la vie.

© Editions EMS

Le premier paradoxe que je veux citer concerne l’individu. Nous sommes dans une société qui s’individualise beaucoup, donc le collectif est plus difficile aujourd’hui. De plus en plus, les collaborateurs veulent ‘tout’ : être « soi-même » au travail, pouvoir s’exprimer de manière plus authentique, et en même temps, se protéger du travail qui est vécu comme parfois fatiguant ou toxique…Donc on veut pouvoir souffler, se déconnecter.

Ensuite, il y a un deuxième paradoxe, concernant les managers. C’est la recherche permanente de la  ligne de crête pour les managers, qui les invite à naviguer entre bienveillance et exigence. Il faut ainsi être protecteur, bienveillant, empathique. Mais il faut aussi, à d’autres moments, être dans l’exigence, la performance, et l’engagement. Comment se situer entre ces 2 rives extrêmes ?

Un troisième paradoxe concerne l’organisation, au niveau de l’entreprise. Aujourd’hui, la question de la diversité est devenue incontournable. Mais en même temps les entreprises cherchent à aligner leurs collaborateurs autour de valeurs communes et finalement d’un modèle culturel commun. Pas simple !

Le dernier paradoxe concerne la fonction RH, qui est au cœur de mon livre. Nous avons mis en avant ces dernières années que le DRH devait être un véritable business partner, et on constate beaucoup de progrès à ce sujet. Sauf qu’en même temps il faut être aussi un ‘gardien du temple’, c’est à dire des valeurs, de la culture, du leadership model de l’entreprise, et pas être seulement un ‘serviteur servile’ du business. Il faut aussi avoir du recul et pouvoir challenger le business et l’organisation.

Il y a évidemment d’autres paradoxes mais ce sont les 4 que j’ai identifiés comme les plus prégnants aujourd’hui, car ils impactent durablement les fonctions managériales et RH au cœur du livre.

Dans le livre, vous évoquez votre propre parcours professionnel. Comment ces expériences ont influencé votre vision de l’engagement et du management en entreprise ?

Cela a plus qu’influencé ma vision, cela a fabriqué progressivement mes convictions d’aujourd’hui sur ces thématiques. Si je prends un peu de recul, il y a eu 3 grandes périodes dans ma vie professionnelle.

La première période est assez longue, une dizaine d’années, et se situe à l’époque où j’étais chez Danone dans des usines de production. J’y ai appris plutôt l’engagement par les différences sociales. Nous étions dans des problématiques de restructuration, avec des employés très engagés pour sauver leur outil de travail et leur avenir…Cet engagement du monde ouvrier a forgé beaucoup de choses dans ma manière d’aborder les problématiques humaines dans l’entreprise.

La deuxième période se situe quand j’ai rejoint Pernod Ricard. De cette période, je retiens les problématiques des différences culturelles. J’étais d’abord DRH pour Pernod en France puis pour le groupe au niveau de l’Europe puis expatrié en Asie pour coordonner les politiques RH de la Chine à l’Inde en passant par le Japon ou le Vietnam. Ces expériences m’ont fait réaliser que, au-delà des différences culturelles, il y a des moteurs d’engagement universels. Ce qui change, ce sont les comportements observables dans les différents pays, mais ce ne sont que des postures qui s’expriment différemment.

Et puis la troisième période est celle que je vis depuis que je suis revenu en France, avec mon entrée dans l’univers académique, lorsque j’ai rejoint l’IÉSEG.

De cette période qui démarre, je retiens les différences générationnelles. Je suis un propagateur de la notion de l’intergénérationnel. D’ailleurs, c’est ce que nous faisons dans mon programme (Executive Mastère Spécialisé®) . On s’assure de créer des relations de mentorat inversé entre des jeunes et des professionnels confirmés, qui travaillent ensemble à produire de l’intergénérationnel pour les entreprises.

Donc finalement dans ma vie professionnelle, j’ai fini par me dire que toutes ces différences sociales, culturelles, générationnelle, elles existent mais ne sont pas l’essentiel. Ce qui compte vraiment, c’est de trouver le dénominateur commun pour pouvoir créer du sens et de l’action collective.

Dans votre livre vous proposez un modèle de fonction humaine mieux partagée entre manager et DRH : Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste ce modèle et comment il peut contribuer à transformer les organisations ?

Aujourd’hui, il faut s’interroger sur qui a le plus d’influence et d’impact dans l’entreprise ? Est-ce que c’est plutôt la ligne managériale (CEO, chef d’équipe etc.) ou est-ce que c’est la fonction RH ? Dans mon expérience, selon les entreprises ou les secteurs, cela peut varier. Parfois ce sont plutôt les RH qui pilotent et qui vont influencer et guider les managers ce qu’il faut faire en termes de politique humaine. Et puis dans d’autres cas, ce sont plutôt les managers qui ont l’influence, et qui sont au centre du jeu, qui incarnent l’humain. Dans ce cas, les RH sont plutôt en périphérie en fonction support.

Dans mon livre, j’ai voulu ‘modéliser’ le partage de la fonction humaine mais en partant du fait que des réalités différentes existaient dans les entreprises, et montrer comment rééquilibrer les choses, pour avoir une fonction humaine qui soit mieux partagée et plus équilibrée entre ce que font les managers d’un côté et ce que font les RH de l’autre, au service de l’entreprise mais aussi des collaborateurs au sein des équipes.

Partant de cette réflexion, j’ai identifié un certain nombre de missions partagées entre les RH et les managers. Par exemple, il y a des missions de type ‘transaction’ (liées à la qualité de vie au travail, aux relation sociales, à l’acquisition et la gestion des talents, aux outils et processus…). Il faut évidemment réaliser ces actions pour avoir un premier niveau de satisfaction, mais cela ne créée pas véritablement d’engagement durable.

Et puis il y a des actions dites de ‘transformation’ qui concernent plutôt le développement, l’engagement, et la transformation des individus, des équipes, des managers, de l’organisation, et ces actions créent de l’engagement à long terme. J’ai donc essayé de clarifier l’interaction entre toutes ces missions.

Ensuite, je propose un second modèle concernant les postures, celles des managers et celles des DRH. Comme évoqué auparavant, les managers doivent être à la fois dans l’empathie et l’exigence, tandis que les RH doivent être à la fois dans l’écoute, l’action et l’engagement. L’écoute c’est l’outil numéro un des RH. Mais une fois qu’on a écouté, il faut aussi agir pour pouvoir entraîner les gens avec soi et donc faire preuve de leadership.

En croisant missions et postures, j’ai proposé un référentiel de compétences unique et commun au manager et au DRH, pour qu’ils travaillent mieux ensemble au service de l’humain dans les organisations.

Vous proposez des exercices d’autodiagnostics. En quoi ces exercices peuvent-ils aider les lecteurs à appliquer les concepts que vous présentez dans leur propre contexte professionnel ?

C’est un livre qui est à la fois un essai, car il y a des moments où je dis ce que je pense avec des convictions fortes qui viennent du terrain, mais il y a également un côté ‘manuel de référence’ car je détaille de manière pédagogique un certain nombre de choses. Mais c’est aussi effectivement une boîte à outils, avec une soixantaine d’exercices d’autodiagnostics répartis dans les différents chapitres.

On peut faire ces exercices directement dans le livre. Certains concernent tout le monde car ils sont axés vers le développement personnel ou l’organisation, tandis que d’autres sont plutôt adressés à des managers qui analysent leur fonctionnement avec leur équipe, ou des DRH qui vont analyser leur politique RH et leur posture.

Ainsi, on trouve plusieurs tiroirs : des diagnostics individuels, collectifs, d’équipes et puis d’organisation. Ces exercices reflètent finalement l’ensemble des transformations que je décris dans le livre et il y en a vraiment pour tout le monde.

Quel sont les principaux éléments distinctifs de votre ouvrage par rapport à d’autres livres ?

Je pense que 30 années d’expérience professionnelle constituent la base de ce que je formalise et de ce que je propose comme nouveau modèle de pensée RH. C’était déjà le cas pour mon premier livre, mais c’est encore plus le cas avec mon nouvel ouvrage.  Je me base beaucoup sur ce que j’ai vécu et c’est vrai qu’il y a des modélisations, des outils, des modèles mais ce n’est pas un livre « techno » car il y a également beaucoup de vécu personnel et d’anecdotes du terrain. Personnellement, je trouve ce mélange intéressant de l’outil, du modèle et de l’expérience.

Le livre est un peu comme un couteau suisse, c’est à dire qu’on peut prendre ce livre par plein de tiroirs différents. Ce n’est pas un livre qu’on lit forcément de manière linéaire, on peut aller directement sur un sujet, faire un autodiagnostic, ensuite repartir sur un modèle, puis revenir sur une description d’anecdotes. Le livre s’adresse aux DRH et aux managers bien sûr, mais également aux professionnels de la transformation, aux consultants ou même aux chefs d’entreprises qui ont envie de voir la fonction humaine d’un autre œil. Il s’adresse aussi bien sûr à tout étudiant, futur professionnel en entreprise et cela deviendra naturellement leur manuel de référence.

Bernard Coulaty est directeur de l’Executive Mastère Spécialisé® Direction Transformation et Développement Humain.

 

Les prochaines réunions d’information pour ce Mastère auront lieu le 13 mai et le 17 juin 2024. Contact: diplomants@ieseg.fr


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