Comment le consommateur peut-il se prémunir contre le placement de produit ?
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Basé sur un entretien avec Tina Tessitore de l’IÉSEG School of Management, à propos de l’article coécrit avec Maggie Geuens de l’Université de Gand « Arming consumers against product placement: A comparison of factual and evaluative educational interventions » (Journal of Business Research 95, 2019, 38–48).
Le placement de produit est un phénomène récent sur le continent européen. Encore méconnu d’un grand nombre de personnes, il parait urgent d’éduquer les consommateurs en la matière. Tina Tessitore de l’IÉSEG et Maggie Geuens de l’Université de Gand ont étudié comment le faire le plus efficacement possible.
Dans le film Skyfall, sorti en 2012, James Bond a troqué son célèbre cocktail « secoué, mais pas remué » par une bière Heineken. Non, ce n’était pas un stratagème pour séduire les Millenials, mais d’un contrat de plusieurs millions de dollars conclu avec le brasseur néerlandais afin d’assurer la promotion de ses produits. Avant 2011, le placement de produit à la télévision était interdit dans toute l’Union européenne. Selon The Economist, le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), autorité suprême de l’audiovisuel en France, employait chaque année, à Paris, pas moins de 60 personnes à plein temps pour passer en revue 50 000 heures de programmes et « faire la chasse » au placement de produit. L’émission de télé-réalité « Loft Story » en a fait les frais, puisque la chaîne chargée de sa diffusion a dû s’acquitter de 150 000 euros d’amende pour avoir fait la publicité des centres de vacances du Club Med. Bien que de telles pénalités soient rarement appliquées, elles ont considérablement freiné le développement du placement de produits en Europe, contrairement aux États-Unis où ce procédé publicitaire génère des revenus importants qui permettent d’alimenter les budgets des productions hollywoodiennes.
L’avènement du placement de produit dans l’Union européenne
Le monopole hollywoodien sur le placement de produit s’est évaporé à la suite de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels, qui a légalisé le placement de produit au sein de l’Union européenne en 2011. Une condition avait toutefois été définie : il était convenu qu’un avertissement sous forme de logo devait être affiché (par exemple, au Royaume-Uni, un logo « P » doit apparaître avant la diffusion d’un programme contenant des produits placés).
Les avertissements existants sont-ils efficaces ? La réponse à cette question est un « non » retentissant pour ce qui concerne toutes les personnes qui n’ont jamais été informées et qui ne savent pas à quoi correspondent les avertissements relatifs au placement de produit. Une étude (en Belgique) datant de 2013, conduite par Tina Tessitore et Maggie Geuens à l’Université de Gand, montre que la plupart des consommateurs ne remarquent pas l’avertissement ou ne comprennent pas le symbole affiché.
Les deux chercheuses ont étudié la meilleure manière d’armer le consommateur pour lui permettre de lutter contre cette forme de marketing. L’étude permet de comparer deux approches : l’approche factuelle et l’approche évaluative (comme par exemple, une approche uniquement constituée par une opinion sur la pertinence du placement de produit en tant que tactique marketing). Ceci découle de la recherche sur les initiatives éducatives quant à l’impact de la violence à la télévision sur les enfants. « J’ai pensé que nous pourrions appliquer ces initiatives éducatives aux adultes », explique Tina Tessitore. Des recherches plus anciennes avaient déjà démontré l’efficacité des approches évaluatives sur les enfants (plus particulièrement sur les jeunes enfants). Mais ces résultats sont-ils toujours valides quand il s’agit d’adultes et de placement de produit ?
Or savoir ce que les consommateurs pensent de l’information en matière de placement de produit a été plutôt ignoré par les recherches antérieures. Par ailleurs, les recherches dans le domaine de la psychologie ont montré que des individus ont beaucoup plus confiance en leurs propres déductions. Mais cela s’applique-t-il aux avertissements sur le placement de produit ?
Quand les avertissements engendrent l’effet contraire à celui escompté
Dans le cas d’adultes exposés aux avertissements sur le placement de produits, les derniers travaux en date de Tina Tessitore et de Maggie Geuens établissent que l’approche évaluative engendre davantage de « réactance » que l’approche factuelle. Pour ce qui concerne l’approche évaluative, Tina Tessitore explique que « les individus ont l’impression que leur capacité à se forger leurs propres opinions est restreinte ». Le fait de communiquer des informations convaincantes, sans donner d’éléments factuels, peut en effet être mal perçu par le public.
Les deux chercheuses se sont ensuite attachées à vérifier si ces deux approches pouvaient donner au public le sentiment d’être manipulé par le placement de produit. C’est ce qu’on appelle, en termes scientifiques, l’activation de la connaissance de la persuasion. Pour Tina Tessitore, « Il s’agit des connaissances utilisées pour faire face aux tentatives de persuasion. Pour prendre un exemple concret, imaginez que vous êtes dans la cabine d’essayage d’un magasin et que le vendeur vous dise « superbe ! Ce vêtement vous va à ravir », vous penserez certainement qu’il cherche à vous influencer pour vous convaincre d’acheter. Le fait que vous vous fassiez cette réflexion signifie que vous avez activé vos connaissances de persuasion ».
Les deux approches (évaluative et factuelle), lorsqu’elles sont utilisées, activent davantage les connaissances de persuasion des individus. L’approche contenant des éléments factuels semble activer davantage les connaissances de persuasion que celle qui présente des opinions subjectives. L’intervention factuelle a sans doute permis aux personnes concernées d’établir leurs propres conclusions sur la pertinence du placement de produit. Ces conclusions auront donc été formulées avec plus de conviction, d’où une activation accrue des connaissances de persuasion.
Connaître votre public
Tina Tessitore et Maggie Geuens ont également étudié un phénomène dénommé « self-monitoring ». Celui-ci correspond au principe selon lequel l’individu se fie à ses propres convictions (« self-monitoring » bas) plutôt qu’à celles des autres et au contexte social (« self-monitoring » élevé). D’après cette étude, l’approche évaluative fonctionne mieux pour les individus qui ont recours à un « self-monitoring » élevé. Pour les autres, l’approche factuelle semble, à l’inverse, plus efficace. En d’autres termes, les individus qui se fient davantage à leurs propres opinions sont plus facilement convaincus par des faits.
Tina Tessitore et Maggie Geuens pensent que l’approche évaluative (faisant intervenir des opinions) pourrait être plus efficace auprès des jeunes consommateurs car le « self-monitoring » est lié à l’âge de l’individu. Inversement, l’approche factuelle serait donc plus favorable aux consommateurs plus âgés.
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Applications
Les études conduites par Tina Tessitore et Maggie Geuens montrent aux décideurs à quel point une approche unique en matière de placement de produit est inefficace. De la même manière qu’un réalisateur ou qu’un publicitaire doit connaître son public, les décideurs doivent également prendre en considération leur public cible.
Méthodologie
Les deux chercheuses ont diffusé auprès d’un panel d’étudiants des informations factuelles ou évaluatives. Parmi les informations factuelles présentées, figurent de fausses coupures de magazines contenant des faits. On peut, par exemple, établir une corrélation directe entre la progression des ventes d’une marque de bonbons (65 % d’augmentation) et la sortie d’un film dans lequel des produits de cette même marque apparaissent. Ces deux événements étant espacés d’un laps de temps d’à peine 3 mois. Dans le cadre de l’approche évaluative, des étudiants ont diffusé un message pour exhorter leurs camarades de classe à ne pas se laisser induire en erreur par le placement de produit. L’efficacité du placement de produit a été étudiée en montrant aux étudiants des clips faisant apparaître des produits promus selon ce procédé.
Références
Nathanson, A. I. (2004). Factual and evaluative approaches to modifying children’s responses to violent television. Journal of Communication, 54(2), 321–336.
Tessitore, T., & Geuens, M. (2013). PP for ‘product placement’ or ‘puzzled public’? The effectiveness of symbols as warnings of product placement and the moderating role of brand recall. International Journal of Advertising, 32(3), 419–442.
Tessitore, T., & Geuens, M. (2019). Arming consumers against product placement: A comparison of factual and evaluative educational interventions. Journal of Business Research, 95, 38–48. https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2018.09.016
Tormala, Z. L., Clarkson, J. J., & Petty, R. E. (2006). Resisting persuasion by the skin of one’s teeth: The hidden success of resisted persuasive messages. Journal of Personality and Social Psychology, 91(3), 423-435.