Réfugiés : favoriser l’intégration sur le marché du travail par la reconnaissance des compétences
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La question de l’intégration des réfugiés, définis comme des personnes qui ont fui leur pays d’origine en quête de protection et de sécurité dans un autre pays et sans possibilité de retour, a pris de l’importance en Europe au cours de la dernière décennie. Ces personnes ont souvent vécu l’expérience traumatisante de tout perdre et se retrouvent dans un pays qu’elles n’ont pas choisi. Contrairement aux migrants volontaires, les réfugiés sont donc confrontés à des défis uniques en termes d’intégration sociale et économique.
Dans le même temps, les élections nationales en Europe continuent de refléter une forte opposition à la migration en général et aux migrants réfugiés en particulier. Les gouvernements nationaux ont tendance à adopter des mesures politiques très conservatrices, souvent fondées sur l’hypothèse qu’un afflux de réfugiés constitue une menace pour la société d’accueil.
L’adoption récente de la loi sur l’immigration par le parlement français illustre cette évolution vers un paysage plus restrictif pour les réfugiés et les organisations qui les soutiennent. Les tentatives des gouvernements italien et britannique d’établir des centres d’accueil de réfugiés en Albanie et au Rwanda, respectivement, témoignent d’un changement de politique similaire.
Pourtant, une importante étude publiée en juin 2023 par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) suggère qu’il existe une demande émergente de talents réfugiés dans le secteur privé. Réalisée à partir d’une enquête en ligne menée auprès d’entreprises françaises, l’étude a sollicité 225 entreprises et a révélé une volonté et un intérêt notables de la part de ces entreprises pour le recrutement des réfugiés. L’enquête englobe un large éventail d’industries, avec dix-sept secteurs représentés, dont le secteur des services, le commerce, l’industrie manufacturière et la construction.
Un contexte de pénurie de main-d’œuvre
La figure ci-dessous résume les principales conclusions de l’enquête : 44 % des entreprises interrogées se déclarent mobilisées en faveur des réfugiés. Quant aux 49 % des entreprises qui répondent le contraire, elles l’expliquent principalement par un manque d’information sur le sujet ou l’absence d’opportunité et/ou de partenariat.
En outre, 71 % des entreprises indiquent qu’elles embaucheraient des travailleurs réfugiés si certains obstacles étaient levés. Surmonter les obstacles linguistiques, permettre aux réfugiés d’accéder au marché du travail et combler les lacunes en matière d’information auprès des employeurs potentiels faciliterait donc l’intégration économique et sociale des réfugiés dans le pays d’accueil.
Dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, ces réfugiés pourraient de surcroît combler des emplois laissés vacants par les autochtones. Mieux, ils pourraient contribuer positivement au marché du travail en renforçant la diversité des compétences productives dans l’économie de destination.
Des opportunités limitées
Les gains pour l’économie d’accueil apparaissent potentiellement importants, mais ils restent actuellement théoriques car les réfugiés ont environ 12 % de chances de moins d’avoir un emploi que les migrants volontaires aux caractéristiques similaires, et cet écart persiste jusqu’à 10 ans après l’immigration.
En effet, outre le profond traumatisme lié au déplacement forcé, les réfugiés sont souvent confrontés à la difficulté de faire connaître leurs compétences, leurs qualifications et leur expérience lorsqu’ils cherchent un emploi dans les pays d’accueil. Cet obstacle limite inévitablement leur accès aux opportunités d’emploi souhaitées et correspondantes à leurs parcours.
Comment commencer à remédier à cette inadéquation ? Il existe actuellement deux approches complémentaires. La première consiste à améliorer les compétences linguistiques en les associant à une formation professionnelle ou à un enseignement complémentaire. Parler la langue du pays d’accueil permet aux réfugiés de s’inscrire dans le système éducatif et facilite la transférabilité de leurs compétences.
La Délégation interministérielle à l’accueil et à l’intégration des réfugiés (Diair) fournit ainsi des informations détaillées sur l’accès des réfugiés et des autres migrants à l’enseignement des langues et à la formation professionnelle. Récemment, divers programmes ont également vu le jour dans les établissements d’enseignement, offrant aux réfugiés la possibilité de poursuivre leurs études et d’améliorer leur employabilité.
La deuxième approche consiste à aider les réfugiés à mettre en valeur leurs compétences et aptitudes existantes. Le Passeport européen des qualifications pour les réfugiés, lancé en 2018, constitue par exemple aujourd’hui un moyen de faire valoir leurs qualifications auprès d’employeurs potentiels. Bien que le document ne serve pas de reconnaissance des compétences professionnelles effectives des réfugiés, il décrit efficacement le parcours éducatif, l’expérience professionnelle antérieure et les compétences linguistiques du demandeur sur la base des informations dont il dispose.
La diversité des systèmes d’éducation et de qualification d’un pays à l’autre nécessite des méthodes d’évaluation des compétences plus ciblées et plus ambitieuses. Ces méthodes permettraient d’aligner les compétences et les qualifications des réfugiés sur les exigences spécifiques du pays d’accueil et les besoins des entreprises, favorisant ainsi un processus d’appariement plus efficace.
Une solution gagnant-gagnant
Une évaluation et une reconnaissance efficaces des compétences des réfugiés peuvent présenter de nombreux avantages. Pour les réfugiés, cela signifie éviter la dévaluation de leurs compétences et permettre une intégration rapide sur le marché du travail souhaité sans avoir besoin de poursuivre des études. Les entreprises peuvent quant à elles bénéficier d’un accès plus efficace aux qualifications dont elles ont besoin et obtenir des informations plus fiables.
En outre, mobiliser le potentiel inexploité de la main-d’œuvre réfugiée peut contribuer à atténuer les pénuries observées aujourd’hui dans divers secteurs. Enfin, d’un point de vue sociétal et économique, faciliter l’accès rapide à l’emploi peut non seulement alléger le fardeau des systèmes de protection sociale, mais aussi favoriser la cohésion sociale. Cela contribuerait par la suite à modifier le discours et les perceptions négatives que les autochtones ont généralement à l’égard des réfugiés.
Cette contribution est publiée en partenariat avec le Printemps de l’Économie, cycle de conférences-débats qui se tiendront du mardi 2 au vendredi 5 avril au Conseil économique social et environnemental (Cese) à Paris. Retrouvez ici le programme complet de l’édition 2024, intitulée « Quelle Europe dans un monde fragmenté ? ».
Simone Moriconi, Full professor, IÉSEG School of Management; Farah Kodeih, Associate professor of strategy, IÉSEG School of Management et Juan Munoz Morales, Assistant Professor of Economics, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.