Rédiger un communiqué de presse : la forme est aussi importante que le fond
Les communiqués de presse des grandes entreprises internationales sont souvent rédigés en anglais, la lingua franca du monde des affaires. Mais le choix des mots et de la formulation, qui dépend largement de la culture du pays d’origine de l’entreprise, joue un rôle important dans la manière dont le message est perçu par les parties prenantes telles que les investisseurs potentiels.
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Tiré d’un entretien avec Chavi Chi-Yun FLETCHER-CHEN concernant son article What’s in a word ? Adopting a linguistic-style analysis of western MNCs’ global press releases (Journal of World Business, 2023), coécrit avec Kristof COUSSEMENT (IÉSEG School of Management), Michael ANTIOCO (EDHEC Business School), et Christiane PRANGE (Tongji University).
Le professeur Chavi Chi-Yun FLETCHER-CHEN et ses coauteurs ont étudié tout particulièrement l’anglais des affaires « universel » utilisé dans les communiqués de presse — un outil essentiel pour les multinationales. Un bon communiqué de presse peut séduire, convaincre et faciliter les échanges avec les partenaires afin de témoigner du succès de l’entreprise et d’attirer les investissements.
Savoir lire entre les lignes
L’anglais des affaires est utilisé par les grandes entreprises à la place de leur langue maternelle. « Mais fondamentalement, nos origines influencent la façon dont nous nous exprimons dans une langue qui n’est pas la nôtre », explique Prof. FLETCHER-CHEN. « Dans quelle mesure les personnes qui utilisent l’anglais des affaires arrivent-elles vraiment à communiquer ? »
Le style dans lequel un communiqué de presse est rédigé (les mots et les phrases, la complexité, la longueur et le ton) reflète les valeurs culturelles du pays d’origine de l’entreprise. L’équipe de recherche a donc cherché à savoir comment ce pays joue sur la manière dont une entreprise communique des informations à ses investisseurs.
Les auteurs ont caractérisé le style d’écriture observé en anglais des affaires sur la base de quatre critères :
- Traitement cognitif : quelle est l’influence du choix des mots sur la complexité et la difficulté de lecture du communiqué de presse ?
- Sensibilité : dans quelle mesure l’auteur utilise-t-il des mots et des phrases qui traduisent des émotions, la loyauté ou l’intensité de la relation, et dans quelle mesure ces émotions sont-elles négatives ou positives ?
- Orientation sociale : comment l’auteur parle-t-il de ses alliances et de ses réseaux d’affaires ? Évoque-t-il des « clients », des « partenaires », des « équipes » ou des « participants » ?
- Distanciation psychologique : l’auteur utilise-t-il « nous » ou « je » ? Le ton est-il amical, accessible et familier ou bien plutôt formel et rationnel ?
Les auteurs ont également étudié la manière dont la culture du pays influence le ton et le style des communiqués de presse, en classant chaque pays étudié (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne) selon ces critères :
- Contexte élevé ou faible : dans les cultures à contexte élevé, comme celles des pays d’Asie, d’Amérique latine et du monde arabe, les messages sont transmis principalement par le langage corporel et des éléments de contexte plutôt que par les mots eux-mêmes. Dans les cultures à faible contexte, la plupart des informations sont transmises par des mots ; la communication est plus directe et concise, mais nécessite des détails factuels pour éviter les malentendus.
- Distance hiérarchique élevée ou faible : dans les cultures à distance hiérarchique élevée, les gens ont tendance à tisser des liens plus étroits avec les personnes situées au même niveau qu’eux et à garder avec les autres une distance respectueuse. Les cultures à faible distance hiérarchique accordent moins d’importance au statut et établissent des liens plus ouverts et informels.
- Individualiste ou collectiviste : les cultures collectivistes considèrent les individus comme faisant partie d’une société ou d’un groupe, et utilisent « nous » plutôt que « je » pour générer un sentiment d’appartenance. Les cultures individualistes sont davantage guidées par l’intérêt personnel et la volonté de réussir, et mettent davantage l’accent sur les réalisations et les performances personnelles.
Les auteurs confirment que le style des communiqués de presse est à l’image de la culture d’origine.
Avec une observation surprenante : si les communiqués de presse allemands, britanniques et américains affichent certaines similitudes, les documents français se distinguent par des caractéristiques linguistiques spécifiques — ce qui est finalement assez logique. La France est généralement vue comme assez hostile envers le monde anglophone et cherche à préserver son identité.
Investir ou ne pas investir ?
Les auteurs ont montré aux investisseurs différentes versions du même communiqué de presse, avec des variations en matière de traitement cognitif, de sensibilité, d’orientation sociale et de distanciation psychologique.
Ils confirment que le style du communiqué de presse, le pays d’origine de l’investisseur et l’interaction entre les deux influencent l’attitude des investisseurs. Les facteurs qui semblent avoir le plus d’influence sont le traitement cognitif et la sensibilité.
Si les grandes entreprises adaptaient leur style de rédaction au pays du lecteur, cela pourrait être « un moyen puissant… de partager un sentiment de proximité et d’appartenance, qui pourrait à son tour susciter chez les potentiels investisseurs une plus grande confiance envers le message ». Le communiqué de presse serait alors parfaitement adapté au public cible. À titre d’exemple, une entreprise britannique souhaitant attirer un investisseur américain opterait pour un style davantage tourné vers le traitement cognitif, alors que cette même entreprise miserait sur l’orientation sociale plutôt que la sensibilité lorsqu’elle s’adresse à des investisseurs britanniques.
Mais il n’est pas toujours possible de personnaliser chaque communiqué de presse. Dans ce cas, la meilleure option pour les pays anglo-saxons est de miser sur un haut niveau d’orientation sociale — en évoquant les alliances, les partenariats, les réseaux et les interdépendances.
« Nos résultats montrent que même entre des pays où la barrière de la langue est relativement faible, il existe de nombreuses différences en matière de style », conclut Mme FLETCHER-CHEN.
Méthodologie
Les auteurs ont analysé 2 223 communiqués de presse de 86 multinationales américaines, britanniques, allemandes et françaises (dont Sanofi, Vodafone Group et Microsoft) afin de déterminer les différences de style rédactionnel entre les pays. Ils ont également créé quatre versions différentes d’un communiqué de presse qu’ils ont soumis à 1 173 investisseurs américains, britanniques, allemands et français en leur demandant lequel ils préféraient et quelle était la probabilité qu’ils investissent dans l’entreprise.
Applications
Cette étude aide les multinationales à comprendre comment elles pourraient adapter leurs communiqués de presse pour mieux attirer les investisseurs potentiels. L’étude précise que la méthodologie utilisée dans ce travail fournit « des recommandations permettant d’évaluer et de comparer les styles linguistiques des communiqués de presse à travers le monde ».