Que peuvent faire les entreprises pour améliorer l’éthique au sein de leur organisation ?

Date

05/12/2023

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La recherche montre que de nombreuses entreprises ont mis en place des programmes, des lignes directrices ou des codes écrits pour promouvoir un comportement conforme à l’éthique et prévenir les écarts de conduite. Mais cela n’a pas nécessairement empêché les comportements non éthiques ou certains scandales en entreprise qui ont fait la une des journaux au cours des dernières décennies, note Simone DE COLLE, professeur d’éthique des affaires et de stratégie à l’IÉSEG. Dans cette interview, l’expert en matière de théorie des parties prenantes parle du développement et de la conception des programmes d’éthique d’entreprise et de la manière dont ils peuvent être mis en œuvre efficacement pour améliorer l’éthique au sein des organisations.

Quelles sont les principales fonctions d’un programme d’éthique d’entreprise ?

Au sein d’une entreprise ou d’une organisation, un programme d’éthique d’entreprise est essentiellement le principal moyen d’aider les managers à intégrer l’éthique dans leur processus de prise de décision. Ces programmes aident également les organisations à prendre des décisions et à entretenir des relations avec les différentes parties prenantes à l’extérieur. Ils créent de la transparence pour les clients potentiels, les fournisseurs ou les investisseurs qui peuvent voir les engagements pris par les entreprises.

Pouvez-vous décrire les différents éléments d’un programme d’éthique d’entreprise ?

Un code d’éthique écrit est probablement l’élément central de tout programme d’éthique, mais il ne suffit pas à lui seul. Plusieurs éléments différents doivent être mis en place pour fournir une orientation plus complète à la prise de décision.

L’une des principales références dans notre domaine est l’Institute of Business Ethics (IBE), basé à Londres, qui effectue des recherches et des sondages sur les programmes d’éthique des entreprises. Si l’on s’en tient à sa définition, le programme d’éthique comporte quatre éléments constitutifs : le premier est un code écrit de conduite éthique des affaires ; le deuxième est la mise en place de moyens internes de signalement permettant aux employés de signaler les manquements à la déontologie de manière confidentielle. Le troisième bloc concerne la formation interne pour la communication et la sensibilisation aux normes de conduite éthique. Le dernier bloc est un service d’assistance téléphonique ou un mécanisme similaire permettant aux employés d’obtenir des conseils en cas de doute ou de question.

Une deuxième référence internationale importante provient des lignes directrices organisationnelles de la Federal Sentencing Commission des États-Unis. Celles-ci existent depuis près de 30 ans et ajoutent trois éléments supplémentaires à ceux déjà mis en évidence par le IBE. Elles soulignent l’importance d’une identification claire des responsabilités au sein de l’organisation, par exemple par le biais d’un comité d’éthique ou d’un responsable de l’éthique/de la conformité. Un autre élément est l’existence de mesures efficaces de suivi et d’audit internes ; à cet égard, nous constatons parfois une extension naturelle de la fonction d’audit interne, tandis que d’autres entreprises créent un poste dédié à cette fonction. Le dernier élément concerne l’application. Si une organisation dispose d’un code ou de règles et d’un comité d’éthique, il est probable qu’une enquête interne sera menée si une violation est signalée. Si un acte répréhensible a été prouvé, il doit y avoir une sanction, mais aussi un mécanisme d’examen et de correction de l’ensemble du programme d’éthique, dans la perspective d’une amélioration continue.

Quel est l’état d’avancement de la mise en œuvre des programmes d’éthique en Europe et ailleurs ?

En effet, le IBE publie tous les deux ans une recherche sur ce sujet via une enquête intitulée Ethics at Work, dans laquelle ils interrogent environ 10 000 employés non seulement en Europe mais aussi aux États-Unis et en Australie sur l’éthique au travail. La dernière enquête (2021) montre que, dans l’ensemble, plus de deux tiers (67 %) des répondants ont déclaré que leur organisation disposait d’un code d’éthique écrit, tandis que ce chiffre était légèrement inférieur pour les autres éléments du programme d’éthique de l’entreprise, à savoir un moyen de signaler les écarts de conduite de manière confidentielle (57 %), une formation (52 %) et des conseils ou une ligne d’assistance téléphonique (46 %).

Il existe toutefois des différences intéressantes entre les pays, par exemple entre les États-Unis et la France. Aux États-Unis, 82 % des personnes interrogées ont déclaré que leur entreprise disposait d’un code d’éthique écrit, contre 55 % en France.

Il est important de noter que cette enquête évalue les perceptions des employés plutôt que le nombre réel d’entreprises disposant de tels programmes, mais elle constitue une source d’information très intéressante. L’IÉSEG a participé à la partie française de l’enquête (en tant que partenaire national) et nous avons constaté que des progrès intéressants ont été réalisés en France en termes de programmes d’éthique.

Vous soulignez que de nombreux employés sont conscients des différentes activités liées à l’éthique. Mais que peuvent faire les entreprises pour s’assurer que leurs programmes ou activités en matière d’éthique sont efficaces ?

C’est une question cruciale. Nous savons tous que le fait de disposer d’un code d’éthique et de tous les éléments d’un programme d’éthique complet ne garantit pas qu’il n’y aura pas de problèmes en termes de comportements contraires à l’éthique ou de mauvais comportements.

Il est bien connu que des entreprises comme Enron et Arthur Andersen disposaient d’un code d’éthique, mais les scandales impliquant ces entreprises ont conduit à la création de la loi Sarbanes Oxley aux États-Unis en 2002 (qui a incorporé un certain nombre de changements visant à améliorer l’information financière et à prévenir les fautes éventuelles).

Ce que je peux dire à partir de mes recherches et de mon expérience de travail avec les entreprises, c’est que je pense que nous pouvons nous concentrer sur deux aspects des programmes d’éthique : la conception et la mise en œuvre.

En ce qui concerne la conception, il est important d’éviter de réduire ces activités à une simple approche basée sur la conformité. S’il est vrai que nous devons avoir des règles et des procédures, les entreprises doivent fournir à leurs employés et à leurs dirigeants autant de conseils que possible sur la manière de se comporter dans différentes situations. Nous ne pouvons pas réduire l’éthique à un problème de conformité ou à la simple prévention des comportements illégaux ou contraires à l’éthique. Les programmes d’éthique doivent aider les managers à être proactifs et à trouver de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes.

Il y a une citation de Wittgenstein que j’aime beaucoup utiliser lorsque je discute du problème de l’éthique basée sur la conformité. Il a dit : « Lorsque j’obéis à une règle, je ne réfléchis pas. J’obéis aveuglément ». C’est le problème de la conformité.

Ainsi, si je pense que nous avons besoin de règles, nous avons également besoin d’une approche fondée sur les valeurs lorsque nous concevons un programme d’éthique. Cela signifie que les activités liées à l’éthique sont basées sur un ensemble de valeurs ou de principes pour la prise de décision. Ceux-ci doivent être interprétés, appliqués et acceptés par un groupe de personnes, non seulement au sein de l’équipe de direction, mais aussi plus largement au sein de l’organisation. Elles doivent donc servir de mécanisme pour résoudre les problèmes et travailler ensemble.

Comme le souligne la théorie des parties prenantes, nous pouvons considérer les entreprises comme un système de coopération entre les différentes parties prenantes. Dans cette perspective, l’éthique peut être une ressource pour une meilleure prise de décision et non une contrainte qui limite la prise de décision des dirigeants.

Dans le cadre d’une approche fondée sur les valeurs, le rôle de la formation et la mise en œuvre des programmes sont tous deux extrêmement importants. Je pense qu’il est important de ne pas s’appuyer sur une approche descendante.

Il ne s’agit pas seulement de communiquer et de partager les valeurs, les politiques ou les règles auxquelles les employés doivent adhérer. Nous voulons aussi que les managers et les employés se mettent d’accord sur les problèmes qu’ils rencontrent ou sur les nouvelles façons de faire. L’idée est donc d’avoir une conversation sur les valeurs pendant la formation à l’éthique plutôt que de se concentrer simplement sur la communication concernant le respect des règles. La formation à l’éthique est l’occasion de discuter et de poser des questions telles que : que défendons-nous ? Quel type d’entreprise voulons-nous être ?

Et lorsque les entreprises sont confrontées à des questions plus stratégiques ou nouvelles, je pense que ce type d’approche aide davantage les dirigeants à trouver des solutions qui rendent leur programme d’éthique plus efficace qu’une simple approche basée sur le respect des règles.  Ils peuvent discuter de la meilleure façon d’agir tout en adhérant à leurs valeurs. Il ne s’agit pas simplement de trouver la règle que nous devons suivre.

Des questions telles que l’IA et le Big Data créent de nombreux défis en termes d’éthique. Y a-t-il des enseignements de la théorie des parties prenantes dont nous pouvons nous inspirer ?

L’une des idées clés de la théorie des parties prenantes est que nous devons nous engager avec nos parties prenantes. Il est évident que les managers, en tant que décideurs, doivent faire face à de nouvelles questions et à de nouveaux défis qui émergent dans la société, tels que l’intelligence artificielle, le changement climatique, etc. Tous ces nouveaux défis requièrent ce type de travail. Ils exigent des managers qu’ils s’engagent auprès de leurs différentes parties prenantes et qu’ils maintiennent cette conversation interne basée sur les valeurs.

L’idée de la théorie des parties prenantes est vraiment de trouver un équilibre entre une approche basée sur la conformité et un leadership basé sur les valeurs, un équilibre entre le profit et l’objectif, et un équilibre entre l’activité et l’éthique. Il faut voir les deux. Si nous pensons aux parties prenantes, nous pensons aux êtres humains, et nous savons que les êtres humains se soucient de l’équité et pas seulement de l’argent. Ainsi, si nous adoptons la théorie des parties prenantes, nous pouvons en fait trouver des solutions plus raisonnables à de nouveaux problèmes et c’est l’approche que nous essayons de favoriser lorsque nous développons des formations à l’éthique pour les cadres et lorsque nous enseignons l’éthique des affaires à l’École.

Le professeur De COLLE est co-auteur avec Ed Freeman de « Stakeholder Theory : The State of the Art » (Freeman et al., 2010, Cambridge University Press), une publication de référence sur la théorie des parties prenantes.

Son article « Moral Motivation Across Ethical Theories: What Can We Learn for Designing Corporate Ethics Programs? » peut également être consulté ici.


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Management & SociétéRSE, Durabilité & Diversité


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