Sur les marketplaces, l’humour peut faire baisser les prix

Date

04/09/2024

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Les plateformes en ligne – comme Etsy, eBay ou Leboncoin en France – ont connu une expansion rapide ces dernières années, sous l’effet de divers facteurs comme l’évolution technologique, la pandémie de Covid, l’inflation, le développement de l’économie circulaire et l’attrait grandissant pour les produits de seconde main. Résultat : des millions de consommateurs utilisent désormais ces plates-formes pour acheter et vendre : eBay, par exemple, a déclaré 134 millions d’acheteurs actifs en 2023.

En quoi les négociations en ligne peuvent-elles être différentes des négociations traditionnelles hors ligne ? Dans ce nouvel univers, acheteurs et vendeurs sur ces plates-formes ne se rencontrent pas physiquement par définition. Ils ont peu d’attentes en termes de collaboration future et les échanges sont généralement brefs et anonymes. L’acheteur et le vendeur n’ont normalement aucune connaissance de la situation personnelle de l’autre. Notre étude s’est intéressée à l’impact que pouvait avoir l’utilisation de l’humour au cours de ces négociations et sur la probabilité que le vendeur accepte l’offre qui lui est faite quand on y recourt.

Facilitateur ou hors sujet ?

L’une des fonctions de l’humour est de réguler certaines interactions sociales : l’introduire dans des situations problématiques peut aider les gens à se sentir mieux. Toutefois, l’humour doit être manié avec précaution : dans certaines situations, aussi tendues soient-elles, recourir à l’humour n’est pas du tout approprié. Qu’en est-il de la vente en ligne ? L’humour est-il un facilitateur ou est-il inapproprié ?

Pour le savoir, nous avons procédé à une expérience dont les résultats sont publiés dans cet article. Nous avons envisagé deux façons dont l’humour pouvait être perçu dans une vente en ligne. D’un côté, il peut être vu comme ludique : un acheteur qui utiliserait l’humour serait donc perçu comme plus amical qu’un autre qui ne le fait pas, amenant ainsi le vendeur à coopérer. D’un autre côté, compte tenu de la distance psychologique inhérente aux interactions « en ligne », l’humour pourrait être jugé inapproprié et provoquer une réaction négative chez le vendeur.

Dans notre expérience conduite en ligne, des centaines de participants ont été invités à se mettre à la place du vendeur d’une armoire sur une plate-forme en ligne. Ils ont ensuite été invités à lire l’offre d’un acheteur potentiel, qui pouvait ou non faire preuve d’humour. Dans la condition « humour », l’acheteur répondait à une contre-offre du vendeur par le trait d’humour suivant : « Pour un vendeur d’armoires, vous n’êtes pas très commode ! » Nous avons mesuré dans quelle mesure l’acheteur était perçu comme amical ou impertinent. Ensuite, le vendeur potentiel devait indiquer s’il acceptait ou non la contre-offre, qui était inférieure au prix demandé.

Vendeur qui rit…

L’expérience a montré que les acheteurs faisant preuve d’humour étaient perçus comme sympathiques, ce qui augmentait considérablement la probabilité que le vendeur accepte l’offre inférieure au prix demandé. En outre, les résultats indiquent qu’utiliser ou non l’humour n’a pas d’effet significatif sur le fait d’être perçu comme plus impertinent dans une négociation en ligne ponctuelle.

Ces résultats ont un certain nombre d’applications pour les acheteurs et les vendeurs, d’autant plus pertinentes que les tendances montrent que ce type de transaction devrait continuer à croître dans les années qui viennent.

La première leçon pratique pour les vendeurs est qu’ils doivent être conscients des conséquences des propos humoristiques tenus par des acheteurs potentiels. Si l’humour peut rendre l’interaction plus agréable et ou divertissante pour le vendeur, l’étude montre clairement qu’il y a aussi un risque d’être influencé en acceptant un prix de vente plus bas. Les vendeurs doivent donc réfléchir à la façon dont ils souhaitent réagir aux discours humoristiques d’un acheteur avant d’entamer un échange. Ils pourront ainsi décider en connaissance de cause, au cours de l’échange, s’ils souhaitent accepter l’offre faite par l’acheteur, indépendamment de l’humour de ce dernier.

Apprendre à réagir à l’humour

La deuxième implication pratique concerne les vendeurs : pour se protéger des tentatives d’influence des acheteurs, ils ont tout intérêt à avoir bien en tête le prix le plus bas auquel ils sont prêts à descendre avant d’entamer un échange avec un acheteur. De cette manière, le vendeur peut toujours vérifier s’il est toujours cohérent avec ses objectifs initiaux et ainsi réduire l’impact de l’humour de l’acheteur sur sa décision.

En somme, l’étude confirme qu’il peut être judicieux pour les acheteurs d’utiliser l’humour lorsqu’ils font une offre, et ce d’autant que le risque d’être mal compris ou de passer pour impertinent est faible. Pourtant, on aurait pu imaginer que, dans des échanges uniquement textuels et en l’absence d’expressions faciales, de ton de voix et de langage corporel, les subtilités qui accompagnent souvent l’humour deviennent insaisissables, laissant place à des malentendus et à l’impression que le plaisantin est impertinent.

Ces résultats devraient aussi inciter les entreprises qui effectuent un grand nombre de transactions sur des places de marché à former leurs vendeurs à l’humour. Plus précisément, la formation devrait inclure des conseils sur la manière de réagir à l’humour dans les interactions individuelles, de délimiter les différentes formes d’humour afin de sensibiliser les acheteurs et les vendeurs aux nuances culturelles qui régissent les expressions humoristiques, et d’identifier les contextes dans lesquels l’humour est de mise, ainsi que ses implications potentielles.


L’étude originale décrite dans cet article a été réalisée en collaboration avec Emma Garnier, diplômée de l’IESEG en 2023.

Martin Storme, Professeur associé en négociation, IÉSEG School of Management; Frieder Lempp, Professseur, IÉSEG School of Management et Melvyn R.W. Hamstra, Professor in Leadership and Organizational Behavior, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Catégorie(s)

Management & SociétéMarketing & Ventes


Contributeurs

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