Le luxe et la génération Z : repenser l’attractivité des talents

Date

17/10/2024

Temps de lecture

5 min

Partage

L’industrie du luxe, notamment les marques françaises, longtemps synonyme d’art de vivre, de prestige et d’exclusivité, doit aujourd’hui faire face à une crise d’attractivité. Les géants du luxe, autrefois prisés par les jeunes diplômés à la recherche [d’expériences qui sortent de l’ordinaire], peinent désormais à attirer les meilleurs talents, notamment ceux de la génération Z.

Ces derniers redéfinissent les attentes et imposent une véritable introspection aux marques de luxe, parfois critiquées sur la dimension éthique et responsable.

Une perte d’attractivité généralisée

Selon une étude récente, 61 % des projets d’embauche en France en 2023 sont jugés difficiles par les employeurs, en raison d’une pénurie croissante de talents qualifiés. Ce phénomène est particulièrement aigu dans le secteur du luxe, où le capital humain est essentiel : la passion pour son métier, la compréhension des produits, l’importance de la créativité et la dimension de service rendent encore plus cruciaux le recrutement, l’intégration et la fidélisation des meilleurs profils.

Pour en savoir plus, nous avons mené des entretiens, entre septembre 2023 et juin 2024, auprès de jeunes et de managers d’entreprises du luxe (10 jeunes professionnels de la génération Z travaillant dans le secteur du luxe ; 10 professionnels de la communication interne, des campus managers, des RH et des responsables en acquisition de talents chez L’Oréal, Hermès, Louis Vuitton, Chanel et Kering).

Les nouvelles aspirations de la jeunesse

Nos entretiens ont permis de mettre en lumière un décalage entre les attentes des jeunes professionnels et les pratiques dans le luxe. Si les grandes maisons reconnaissent que le rapport au travail a changé, elles peinent à répondre pleinement aux nouvelles aspirations.

Si d’autres industries éprouvent également des difficultés de recrutement, les entreprises de luxe, parfois perçues comme rigides, élitistes, avec une concurrence interne forte, souffrent d’une image éloignée des aspirations actuelles des jeunes professionnels. La génération Z semble privilégier des entreprises agiles, soucieuse de l’éthique l’éthique, la passion pour son travail et du bien-être au travail.

Luxe : la fin d’un rêve

Historiquement, les grandes entreprises de luxe symbolisaient l’accomplissement personnel et professionnel la dimension de rêve qu’elles véhiculaient et n’avaient pas besoin de publicités ou de s’interroger sur leurs pratiques managériales.

La consommation ostentatoire est moins bien perçue dans un contexte de préoccupations environnementales croissantes. Les jeunes sont très sensibles aux questions d’éthique et de responsabilité sociale et cherchent à s’associer à des marques auxquelles ils s’identifient. Ils attendent un alignement entre les valeurs de l’entreprise et leurs propres convictions en s’orientant vers des marques pionnières qui correspondent à leurs aspirations. Un professionnel des RH mentionne « _ils sont plus sensibles à tout ce qui est action du groupe en termes d’engagement… on doit se justifier, parler de nos valeurs, de nos actions, comme pour voir si c’est réel. On ne voyait pas ça avant. »

Les résultats de notre étude montrent que, bien que les entreprises soient conscientes des changements, un fossé demeure entre les stratégies actuelles dans le luxe et les ambitions des jeunes.

Quelle relation au travail ?

La quête de flexibilité, essentielle pour la génération Z, entre en conflit avec une certaine rigidité des maisons de luxe. L’envie de prendre rapidement des responsabilités se heurte à des organigrammes parfois trop hiérarchiques.

Les jeunes redéfinissent le rapport au travail. Pour eux, rejoindre une entreprise du luxe n’est pas qu’une question de prestige. Contrairement aux générations précédentes, ils ne recherchent pas simplement une marque mais souhaitent un environnement qui reflète leurs valeurs personnelles. Un professionnel RH confie :

« Ils attendent des entreprises qu’elles jouent un rôle presque communautaire. Ils recherchent une culture d’entreprise qui offre une expérience collective, inclusive, et motivante. »

Les jeunes talents recherchent un environnement de travail humain et stimulant où ils peuvent se sentir impliqués, en immersion dans une culture d’entreprise collaborative et stimulante. Pour eux, le travail doit être une expérience qui permet un développement personnel. Ils recherchent aussi un équilibre entre vie professionnelle et personnelle, un facteur essentiel dans leur choix de carrière.

Le capital humain au cœur de l’innovation

Les jeunes, bien que séduits par la technicité des métiers du luxe, cherchent aussi à s’assurer que leur mission va au-delà du développement d’une offre de qualité : ils veulent mettre l’humain au centre et participer à une aventure créative qui donne du sens à leur carrière.

Par ailleurs, pour retenir les talents, il ne suffit plus de les former : il faut utiliser les apprentissages pour donner des responsabilités dans un environnement propice à l’autonomie créative. La formation doit être envisagée comme une partie intégrante d’une expérience, où l’acquisition de compétences est valorisée à travers un véritable parcours d’évolution. Il s’agit de faire confiance en donnant des projets à mener, même si la recherche de perfection dans le luxe peut accroître le besoin de contrôle. Un jeune professionnel confie « J’ai besoin d’être passionné, de sentir que je suis utile, que j’évolue, que je grandis ».

Pourquoi les marques du luxe doivent-elles changer ?

Pour rester compétitives dans un marché en pleine mutation, les entreprises de luxe doivent s’adapter aux exigences de la génération Z.

Les marques de luxe font des efforts pour rester attrayantes et proches des jeunes, notamment en innovant constamment, par exemple avec des collaborations dans le domaine sport, mais cela ne suffit pas sans une réflexion approfondie des politiques internes.

L’un des changements clé concerne la possibilité de concilier vie professionnelle et personnelle, tout en offrant des opportunités d’évolution rapide. Cela inclut des politiques de télétravail, des horaires flexibles et une organisation plus horizontale. Un jeune professionnel souligne « Mon envie de m’engager… ça va être le management de la reconnaissance, le fait qu’on me perçoit comme une personne à part entière, qu’on me donne vraiment une vraie place. »

Par ailleurs, l’engagement éthique doit être plus d’un simple discours et se concrétiser dans des initiatives en matière de responsabilité sociale, environnementale et d’inclusivité. Les maisons qui ne répondent pas à ces attentes perdent en attractivité.

Comment attirer et fidéliser la génération Z

Aujourd’hui, les maisons de luxe doivent repenser leurs pratiques internes et externes pour rester compétitives sur le marché de l’emploi. À l’issue de notre analyse, plusieurs recommandations émergent :

  • Communiquer et agir de façon transparente et authentique sur des engagements sociaux et environnementaux, en évitant l’impression de greenwashing.
  • Offrir des parcours de développement personnalisés d’évolution professionnelle avec du mentorat et des formations continues.
  • Confier des missions motivantes à mener en autonomie avec des opportunités de mobilité interne pour monter rapidement en compétences.
  • Promouvoir la flexibilité en intégrant du télétravail et des horaires modulables, tout en assurant des moments d’interactions pour créer des relations interpersonnelles fortes.
  • Impliquer directement les jeunes dans le choix et la mise en œuvre de nouveaux projets pour qu’ils se sentent parties prenantes des décisions.

Cet article a été co-écrit avec Juliette Renaud, étudiante à l’IÉSEG.

Gwarlann De Kerviler, – IÉSEG School of Management – LEM (Lille Economie Management, UMR 9221), IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Catégorie(s)

Management & SociétéMarketing & Ventes


Contributeur