Les followers, un actif immatériel au cœur de la discorde entre Elon Musk et Twitter

Le 8 juillet 2022, l’homme d’affaires Elon Musk a annoncé mettre fin à son projet de rachat du réseau social Twitter, au prix de 54,20 dollars par action, qui valorisait l’entreprise à environ 44 milliards de dollars (43 milliards d’euros). Le 13 mai, le milliardaire avait déjà annoncé suspendre le rachat à cause de son inquiétude quant au nombre réel de faux comptes sur le réseau social, faisant plonger l’action du groupe d’environ 20 %.

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24/07/2022

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Le 8 juillet 2022, l’homme d’affaires Elon Musk a annoncé mettre fin à son projet de rachat du réseau social Twitter, au prix de 54,20 dollars par action, qui valorisait l’entreprise à environ 44 milliards de dollars (43 milliards d’euros). Le 13 mai, le milliardaire avait déjà annoncé suspendre le rachat à cause de son inquiétude quant au nombre réel de faux comptes sur le réseau social, faisant plonger l’action du groupe d’environ 20 %.

« Twitter n’a pas respecté de multiples clauses de l’accord et semble avoir donné des informations fausses et trompeuses sur lesquelles Elon Musk s’est basé pour s’engager dans l’accord d’acquisition », expliquent les avocats de l’entrepreneur à la SEC (Security and Exchange Commission), le gendarme de la bourse américaine.

Le désaccord repose principalement sur l’estimation du nombre d’utilisateurs de Twitter, les fameux followers, les faux comptes sont estimés selon les parties prenantes à plus ou moins de 5 %.

Les débats juridiques concernent donc la valorisation des utilisateurs de Twitter, c’est-à-dire ce que la finance appelle des actifs incorporels, et sur la publication d’informations financières à leur sujet. Si les marques, les brevets, le nombre de clients ou encore les technologies, savoir-faire et procédés de fabrication n’ont pas de substance physique, ces actifs incorporels contribuent néanmoins significativement à la création de valeur des sociétés qui les contrôlent. Pourtant, contrairement aux actifs corporels, les entreprises ne sont généralement pas tenues de publier des informations sur leurs actifs incorporels… sauf lors d’une acquisition.

Une information financière utile

Les actifs incorporels peuvent en effet jouer un rôle majeur lorsqu’une entreprise en rachète une autre. L’acquéreur peut par exemple réaliser l’opération dans le seul but de contrôler une marque ou une technologie détenue par une autre entreprise. Lors de ces opérations, l’acquéreur est donc obligé de reconnaître et de communiquer l’ensemble des actifs incorporels de l’entreprise acquise. Or cette obligation de publication est actuellement appliquée avec une rigueur variable d’une société à l’autre, conduisant à une information qui diffère grandement en fonction des opérations.

Pourtant, comme nous le montrons dans un article de recherche récent, la publication d’information sur les actifs incorporels constitue un outil particulièrement utile aux analystes financiers. Nous avons étudié le contenu des informations publiées sur les actifs incorporels à la suite près de 500 de regroupements d’entreprises réalisées entre 2002 et 2011 aux États-Unis.

Dans l’ensemble, nos résultats indiquent que les informations fournies et les montants relatifs aux actifs incorporels récemment acquis fournissent des informations pertinentes aux analystes financiers.

L’acquisition de Skype par eBay en 2005, par exemple, est particulièrement illustrative. Si les actionnaires d’eBay avaient su que Skype ne détenait pas de nombreux brevets liés à des programmes exploités dans son activité, cela aurait été une raison suffisante pour avoir un impact négatif sur l’intérêt de l’opération. L’information n’a pas été partagée car ce type de publication n’est, dans le contexte actuel, pas obligatoire. En outre, cette acquisition s’est terminée avec la reconnaissance d’un goodwill (une survalorisation) de 2 300 millions de dollars sur un prix d’acquisition total de 2 600 millions de dollars.

Une source de désaccords

De même, après son acquisition de WhatsApp, Facebook a dû compléter l’affection du prix d’acquisition, c’est-à-dire allouer le prix d’acquisition consenti aux actifs acquis, notamment incorporels. Au moment de l’acquisition, le prix payé comprenait 4 milliards en cash, 12 milliards en actions et 3 milliards en actions bloquées (restricted stocks) pour les employés de WhatsApp. La valeur de l’action Facebook ayant grimpé depuis l’annonce de l’opération, le prix d’achat s’est finalement élevé à près de 22 milliards de dollars en 2014. Les actifs incorporels expliquaient manifestement une grande partie du prix consenti pour WhatsApp.

Dans une autre étude, nous avions par ailleurs montré qu’un faible niveau de transparence favorisait à la fois les désaccords entre analystes, traduisant l’incertitude de l’information, et les désaccords entre analystes et managers, indiquant une asymétrie de l’information. On voit avec le cas d’Elon Musk et de Twitter que ces désaccords peuvent concerner d’autres parties et aboutir à des actions en justice.

Ce problème est central pour toutes les sociétés qui cherchent à justifier une acquisition auprès de leurs actionnaires ou encore à éviter de mauvaises surprises. Si la valeur d’une entreprise dépend en grande partie de ces actifs incorporels, ne devrait-on pas alors exiger davantage d’information à leur sujet ?


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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