Quels sont les défis et les opportunités pour les dirigeants et la formation au leadership en 2024 ?
Les professeurs Johannes CLAEYS et Felipe GUZMAN, co-directeurs du Centre de recherche de l'IÉSEG sur le développement du leadership (ILEAD), partagent leurs points de vue sur certaines des questions clés auxquelles seront confrontés les dirigeants en 2024, ainsi que sur les défis et les opportunités de développement des compétences et des capacités en matière de leadership.
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En 2024, la prise en compte de la diversité, de l’égalité et de l’inclusion (DEI) continuera d’être un sujet important pour les dirigeants, car les organisations s’efforcent de devenir des environnements plus inclusifs. Pour ce faire, de nombreux dirigeants sont confrontés au défi crucial de faire disparaître certaines inégalités enracinées au sein des organisations.
Ils devront aller au-delà des initiatives superficielles en matière de DEI pour s’orienter vers un changement systémique, en se concentrant sur l’éradication des préjugés et la redéfinition des normes idéalisées, notamment celles de la masculinité blanche (par exemple en Europe ou en Amérique du Nord). Ce n’est pas une tâche facile, mais certaines mesures pratiques comprennent la promotion de cultures inclusives et la réévaluation des critères d’embauche et de promotion afin d’éliminer les préjugés inconscients. Les dirigeants devront également échanger dans le cadre de dialogues qui reconnaissent et abordent les peurs sous-jacentes et les mécanismes de défense qui perpétuent ces inégalités. Ils doivent se faire les champions de ces changements, non seulement dans les politiques, mais aussi dans les pratiques quotidiennes et la culture de l’organisation.
Parmi les exemples pratiques et les possibilités qui s’offrent aux dirigeants, citons le fait d’encourager la diversité des voix en demandant aux personnes qui pensent différemment (ou sont différentes) d’eux de suggérer des moyens de résoudre les principaux problèmes de l’organisation. Ils peuvent également chercher à inclure ces personnes dans les processus de prise de décision, plutôt que de concentrer les décisions et de les communiquer de manière descendante. Enfin, ils peuvent également chercher à augmenter la représentation des individualités dans les postes clés à responsabilité.
Lieux de travail hybrides & transformations digitales
À mesure que la digitalisation et les changements technologiques s’accélèrent, les dirigeants devront également trouver un équilibre entre le regard porté sur le passé et celui porté sur l’avenir.
D’une part, le leadership à distance aura atteint « l’âge adulte ». La pandémie de COVID-19 a déjà accéléré le passage au travail à distance et les dirigeants devront élargir leur portefeuille de leadership comportemental pour gérer efficacement les équipes à distance et les employés travaillant à domicile.
Pour diriger des lieux de travail hybrides, ils devront toutefois continuer à investir dans le développement d’un lien solide avec l’objectif de l’entreprise ainsi que dans les relations entre les employés. Des recherches récentes ont révélé que le télétravail collectif ou obligatoire a un impact substantiel sur l’identification et la connexion avec l’organisation.
Cette recherche a montré que ce sentiment d’appartenance collective, le fait de faire partie d’une communauté de travail, est actuellement sous pression. Les lieux de travail hybrides n’exigeront pas seulement de la clarté au niveau des tâches et des procédures, mais il faudra aussi expliquer comment collaborer efficacement. Les dirigeants devront mettre l’accent sur les processus fondamentaux, les activités centrales qui nécessitent une présence et un dévouement afin que les employés restent en contact avec la véritable mission de l’organisation.
Les gens ne viennent pas seulement au travail parce qu’ils pensent apporter une contribution importante au monde ou à la société. Ils viennent aussi au travail parce qu’ils partagent le besoin d’être en relation avec d’autres personnes : une forte volonté de se connecter, d’interagir, de se soucier des autres. Si nous avons tendance à être plus formels et à nous concentrer sur l’efficacité dans nos interactions numériques, les dirigeants doivent également créer le temps et l’espace nécessaires à l’établissement de liens socio-émotionnels et créer des occasions de faire l’expérience d’une convivialité et d’une attention authentiques. Si nous combinons ces interactions en face à face avec une culture de la confiance (par exemple, en accordant de l’autonomie), cela permettra d’éviter les frictions ou l’insatisfaction dans une équipe composée d’employés travaillant à domicile tandis que d’autres sont au bureau.
Par ailleurs, les dirigeants ne seront pas seulement confrontés à des défis postpandémiques. Les progrès rapides de la technologie signifient que les dirigeants devront naviguer dans les transformations digitales et tirer parti des technologies émergentes pour rester compétitifs. Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle – rendue possible, par exemple, par la présence de chatGPT sur chaque ordinateur ou smartphone – l’autorité, l’expertise, la volatilité et l’innovation seront redéfinies en 2024.
Quelques recommandations pourraient être d’investir dans le développement des compétences digitales, en fournissant des ressources et des formations sur l’analyse des données, le marketing digital, la cybersécurité, l’intelligence artificielle appliquée, mais aussi de lancer des programmes de mentorat et d’encourager les projets numériques transversaux afin que les employés aient des opportunités réelles et utiles d’explorer et de s’améliorer. Ce n’est pas seulement une question d’outils et de maîtrise du numérique, mais il est tout aussi important d’installer une culture d’apprentissage qui valorise la prise de risque et la créativité, renforcée par une collaboration collégiale, où les efforts et les réalisations sont partagés et récompensés.
Une période importante pour la formation des dirigeants
Si le développement du leadership et la formation se sont avérés cruciaux pour le succès des organisations, nous pensons qu’il sera important pour les entreprises de poser les bonnes questions pour consolider le leadership au cours de l’année à venir. Alors que les investissements dans le développement du leadership ont explosé au cours des dernières décennies, peu d’entreprises ou même de consultants en leadership savent réellement si (ou pourquoi) leurs programmes de développement du leadership (PDL) sont efficaces : moins de 10 % des PDL sont rigoureusement évalués et les évaluations se limitent souvent à des « smilesheets » (des questionnaires utilisant des émoticons) ou à de brèves enquêtes visant à vérifier si les participants ont apprécié les programmes, plutôt qu’à analyser ce qu’ils ont réellement appris.
Une étude récente (co-rédigée par Johannes CLAEYS) a mis en évidence de multiples raisons pour lesquelles les PDL devraient être maintenus, au-delà du slogan habituel de « développement des leaders ». L’étude a mis en évidence quatre motivations différentes mais importantes qui poussent les entreprises à s’engager dans le développement du leadership.
La compréhension de ces « 4 visages » peut améliorer non seulement la communication mais aussi l’efficacité de ces programmes, puisqu’ils sont tous deux aussi importants l’un que l’autre. Dans le même ordre d’idées, une étude publiée en décembre dans la Sloan Management Review fournit des conseils utiles aux entreprises qui prévoient d’organiser une formation au leadership. Elle les aide à poser les bonnes questions et à prendre des décisions fondées sur des données probantes lors de la mise en place de programmes de formation.
Plus précisément, la recherche met en évidence les questions qui sont généralement posées par les organisations et propose de meilleures alternatives. Voici quelques exemples :
1) Ne pas demander : le programme (de formation/développement) est-il suffisamment facile à programmer dans le cadre des activités quotidiennes, mais demander : pouvons-nous le programmer de manière appropriée pour qu’il interagisse avec les activités quotidiennes et les améliore ?
2) Ne pas demander : les participants seront-ils suffisamment à l’aise et divertis pour donner au programme des notes de satisfaction élevées et immédiates ? Posez plutôt la question suivante : Sommes-nous prêts à mettre les participants suffisamment au défi pour qu’un changement significatif se produise ?
3) Ne posez pas la question suivante : comment allons-nous justifier le coût en fonction du budget disponible ? Mais posez la question suivante : sommes-nous prêts à dépenser de l’argent uniquement si nous pouvons travailler de manière significative à un véritable changement ?
En 2024, notre Centre (ILEAD) continuera à mener ses recherches pour aider les entreprises à former leurs dirigeants, notamment en posant les bonnes questions, afin que les dirigeants sachent de quel type de développement du leadership ils ont besoin, et en fournissant les recherches nécessaires pour déterminer le PDL le plus efficace pour ce besoin spécifique.
La version originale de cet article a été publiée en anglais.