Le rôle de la technologie et des styles attributionnels dans la gestion des maladies chroniques
D’après une interview d’Azadeh Savoli et son article « Examining How Chronically Ill Patients’ Reactions to and Effective Use of Information Technology Can Influence How Well They Self-manage Their Illness » (texte en anglais), coécrit avec Henri Barki (HEC Montréal) et Guy Paré (HEC Montréal), publié dans MIS Quarterly en mars 2020.
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Les outils informatiques/digitaux, de plus en plus utilisés dans la prise en charge des maladies chroniques, sont conçus pour aider les patients à devenir acteurs de leur propre santé. L’analyse d’un portail d’autogestion pour des patients souffrant de l’asthme a mis en lumière l’effet des styles attributionnels des patients vis-à-vis de la plateforme sur leur utilisation du programme et les bienfaits qu’ils en retirent.
En plein cœur de la crise sanitaire de la Covid-19, on oublie vite que ce ne sont pas les maladies infectieuses qui constituent la plus grande menace pour l’Homme, mais bien les maladies chroniques. D’après l’Organisation mondiale de la santé, ces pathologies, comme les problèmes cardiovasculaires, le cancer ou le diabète, sont les principales causes de mortalité humaine, loin devant les maladies infectieuses. Ce sont aussi les plus fréquentes et les plus coûteuses à travers le monde.
Pour les personnes qui souffrent de ces affections à long terme, il est important de pouvoir s’autogérer (reconnaître soi-même les symptômes et agir en conséquence, en prenant ses médicaments comme recommandé et en sollicitant le système médical). L’autogestion est une façon de donner aux patients une forme de pouvoir sur leurs maux, de les aider à prendre des décisions plus éclairées quant à leur santé et, à terme, d’améliorer leur bien-être. Mais souvent, comme c’est le cas pour l’asthme chronique que la chercheuse Azadeh Savoli et ses coauteurs ont récemment étudiée, moins de 40 % des patients surveillent régulièrement leurs symptômes. Et ils sont encore moins nombreux à suivre le traitement prescrit, même lorsqu’ils souffrent de symptômes aigus.
Des solutions informatiques sont ainsi proposées afin de les aider à adopter un comportement plus actif dans la gestion de leurs maladies chroniques.
Trois catégories de patients
Azadeh Savoli et ses collègues ont collaboré avec l’équipe de recherche de l’Université McGill, laquelle travaillait sur la conception d’un programme en ligne d’autogestion pour des patients souffrant de l’asthme. Le portail demandait aux patients de répondre à un questionnaire au moins une fois par semaine, ce qui lui permettait de leur proposer des retours personnalisés. Les patients recevaient des notifications d’alerte sous certaines conditions et pouvaient communiquer avec l’infirmier gestionnaire de cas, qui surveillait quotidiennement les participants à l’étude, grâce à une fonction de messagerie.
En croisant les rapports des entretiens et les données des analyses, Azadeh Savoli et ses co-auteurs ont pu identifier trois catégories de patients bien distinctes : les patients impliqués, les patients dépendants et les patients autonomes. Les patients impliqués tendaient à s’attribuer la réussite ou l’échec de leur autogestion. Ils étaient ainsi « actifs, présents et se servaient du programme de façon efficace ». Leur style attributionnel les poussait à tenter de comprendre leurs symptômes afin de prendre de meilleures décisions. Dans l’ensemble, ils obtenaient de bons résultats grâce à l’utilisation de cette technologie.
Les patients dépendants appréciaient et se servaient également du portail régulièrement, mais parfois de façon excessive, au point de se comporter comme si l’outil prenait soin d’eux. Ces patients n’utilisaient que rarement des fonctionnalités leur permettant d’en apprendre plus sur leur maladie et se contentaient de suivre les recommandations. D’après les évaluations de la qualité de leur autogestion par l’infirmier gestionnaire de cas, ces patients utilisaient le portail de façon peu efficace, voire inefficace.
Les patients autonomes, quant à eux, se sentaient détachés du portail et le considéraient comme une obligation agaçante et paternaliste. Ils étaient d’ailleurs plus enclins à saisir des données erronées dans le programme et avaient bien moins de chances de l’utiliser efficacement.
Les programmes informatiques : oui, mais pas pour tous ?
L’étude d’Azadeh Savoli et de ses co-auteurs suggère qu’une utilisation optimisée des programmes informatiques d’autogestion peut s’avérer efficace pour les patients atteints de maladies chroniques, car l’outil les aide à devenir des acteurs informés de leur propre bien-être. Cependant, tous les patients n’utilisent pas ces programmes de la même manière et n’en retirent donc pas les mêmes bienfaits. Les professionnels de la santé pourraient toutefois identifier les styles attributionnels des patients avant de leur recommander une plateforme de ce genre. De cette façon, ils pourraient sélectionner plus efficacement les personnes enclines à en tirer le meilleur parti ou suggérer un programme de formation afin d’aider les patients dont le comportement les prédispose à l’échec.
Les conclusions d’Azadeh Savoli et de ses coauteurs ont des implications sanitaires et financières claires. Mais elles comprennent également un aspect émotionnel que la chercheuse n’avait pas anticipé : « La maladie fragilise [les patients] et le moindre élément peut affecter leur sensibilité, explique Azadeh Savoli. Certaines des personnes avec lesquelles j’ai discuté ont pleuré devant moi. Si nous pouvions les aider à mieux gérer leur pathologie, cela aurait un impact immense sur leur qualité de vie. »
Applications pratiques
Azadeh Savoli recommande au personnel médical de tenter de déterminer le style attributionnel des patients afin de mieux cibler ceux qui profiteront le plus de ces technologies d’autogestion. Les plus réticents face à ce genre de plateforme auraient tout intérêt à suivre une formation au préalable, pour les aider à ajuster leur comportement et leur perception du programme. Par ailleurs, Azadeh Savoli encourage les concepteurs de ces plateformes de santé à adapter leur message en utilisant le ton de la recommandation, et non de la prescription. Elle les invite également à les rendre les moins intrusifs possible, afin d’éviter d’offenser certains patients.
Méthodologie
Les chercheurs ont mené leur étude à bien en coopération avec l’essai clinique d’un portail en ligne d’autogestion de l’asthme, développé par le groupe de recherche en informatique clinique et sanitaire de l’Université McGill. Leur méthodologie incluait des entretiens poussés avec 32 patients souffrant d’asthme (qui avaient utilisé la plateforme pendant trois à six mois), des échanges avec l’infirmier gestionnaire de cas au sujet de leurs résultats en autogestion, et s’appuyaient sur les données gouvernementales concernant les traitements prescrits, les médicaments consommés et les passages aux urgences des patients. L’équipe a également consulté les données d’utilisation des fonctionnalités du portail par les participants.
Septembre 2024: Veuillez noter que Azadeh Savoli ne travaille plus à l’IÉSEG. Cet article a été publié lorsque ce professeur était à l’IÉSEG.