Le luxe et la seconde main : le sens du collectif au service du rêve et de la responsabilité
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Le vendredi 16 juin, l’IÉSEG organise la septième édition de son Université d’Été. Dans le cadre de cette journée dédiée aux professionnels, Gwarlann de KERVILER, professeur de marketing, animera une table ronde sur le luxe et la seconde main*, un marché en pleine croissance depuis quelques années. En amont de cette table ronde, elle partage ses réflexions sur le développement de ce marché et les facteurs clés pour les marques qui veulent proposer des produits de seconde main ou de location.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le secteur du luxe s’intéresse à la seconde main et à la location ?
Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, je pense que les entreprises du secteur du luxe prennent davantage conscience de leur devoir d’exemplarité. Quand on est une marque de luxe, on est très regardé, très suivi et donc on a quelque part la responsabilité aussi d’être un modèle dans sa catégorie de produits. En complément, les marques de luxe sont parfois confrontées à des critiques, notamment concernant l’utilisation de matériaux rares et sophistiqués, au service d’une consommation orientée sur le plaisir et l’excès. Dès lors, les marques sont à la recherche de signaux positifs permettant de démontrer qu’elles peuvent contribuer positivement à la société et l’environnement. L’association d’une marque de luxe au marché de la seconde main ou à la location peut dès lors être une piste pour améliorer son image.
En effet, il y a une prise de conscience des consommateurs et notamment des jeunes générations, sur les conséquences de la consommation sur leur environnement. Les clients cherchent à adopter une consommation plus responsable. Se tourner vers la seconde main permet de se dire que l’on prolonge la vie d’un produit plutôt que de le jeter et d’acheter une nouvelle version. Choisir la location promeut l’utilisation ponctuelle, par plusieurs personnes successivement, d’un même produit, plutôt que d’avoir plusieurs achats qui servent finalement assez peu. Les marques de luxe peuvent paraître particulièrement pertinentes pour ces deux stratégies car elles proposent des produits durables, qui ne se démodent pas facilement et qui sont souvent réservés à des occasions spéciales.
Finalement, ces canaux permettent aussi à ces marques d’aller toucher une cible qui n’ose pas forcément entrer dans un magasin de produits de luxe ou qui cherche des produits plus vintages ou de collectionneurs. Ainsi la seconde main et la location ouvrent également de nouvelles opportunités. En conséquence, il y a beaucoup d’éléments qui expliquent finalement l’intérêt pour la seconde main ou la location.
Quels sont les facteurs clés pour des marques qui veulent proposer des produits de seconde main ou de location ?
Il faut comprendre que les consommateurs ont « forcé la main » en mettant eux-mêmes leurs produits sur des sites de revente. S’est posée alors une question d’image pour les marques revendues en ligne. Or l’image est un élément essentiel dans le désir d’acquérir une grande marque de luxe. Les marques de luxe sont associées à l’expérience et à la performance. Dès lors, même s’il achète un produit d’occasion, le consommateur s’attend à un produit de qualité, qui est beau et authentique. Dès lors, il faut mettre en place des mécanismes de vérification de la qualité et de certification de l’origine. D’où l’intérêt pour les marques de luxe d’être partie prenante (dans le développement de cette activité).
Ensuite, il y a une deuxième grosse question, qui est la problématique du prix. Une fois encore, les consommateurs ont fixé leurs propres prix en revendant leurs marques, mettant les acteurs du secteur face à une situation difficile. Car nous sommes bien sûr dans une catégorie où les prix sont généralement élevés. Quel doit être le prix, par exemple, d’un sac Chanel de seconde main par rapport à un sac dans la nouvelle collection en magasin ? Les consommateurs ont une perception du prix associé à un produit de luxe. Il y a ainsi un risque de créer dans l’esprit du consommateur des questionnements (sur le prix et la valeur) s’il trouve un sac de seconde main à 50 euros qui semble assez proche d’un sac vendu à 1,000 euros en magasin.
Un troisième facteur me paraît très important quand on pense à la seconde main, c’est l’expérience client. Quand on vend du luxe, on vend aussi toute une expérience liée à la marque. Ainsi il faut que les marques soient vigilantes, notamment quand elles passent par des plateformes de ventes. Comment est-ce que le produit est présenté sur le site ? Comment est-ce qu’il est livré ? Est-ce qu’il y a une garantie de qualité à la livraison ? Quelles sont les possibilités de retour ? Donc tout cela est très important pour que la seconde main reste une expérience agréable pour l’acheteur.
Ensuite, si on pense à la location, il me semble important d’avoir aussi un service de conseil (spécifique) car le consommateur est plus souvent dans l’objectif de tester, ou de voir si finalement il arrive à se projeter comme étant un consommateur de la marque. Ainsi il est important de le guider dans ses choix, d’éviter le syndrome de l’imposteur et que la personne ait vraiment l’impression de pouvoir choisir un produit qui lui convient. Il est également primordial d’éduquer le consommateur par rapport à l’objet. Le rapport à l’objet que l’on loue n’est pas la même relation qu’on avec un produit qu’on possède. Et donc ça va être important de jouer effectivement la carte de « on peut tester », « on peut essayer » si c’est pour un évènement ponctuel. Ça peut être également un moyen finalement de permettre au consommateur de découvrir la marque, de se projeter comme un futur acheteur de cette marque. Cependant, je pense qu’il faut avoir une vraie différenciation quand on devient « acheteur » en termes de reconnaissance, en termes peut être de relation à la marque, et en termes de bénéfices.
Faut-il forcément proposer les deux canaux (seconde main et location) ?
Dans les deux cas, le fait que ce sont des produits de qualité durables qui ne subissent pas l’épreuve du temps, qui sont intemporels peut être aussi une force à mettre en avant pour les marques de luxe.
Les 2 modèles de consommation, pour moi n’ont cependant pas les mêmes ressorts.
La seconde main s’inscrit vraiment dans la durabilité, dans le fait d’avoir accès à des produits qui n’existent plus dans les collections actuelles. Alors que la location concerne peut-être plus des consommateurs qui ne sont pas forcément des consommateurs de luxe, et qui sont plus dans le fait d’essayer de voir si ça leur convient. Ainsi j’aurais tendance à dire que la seconde main est plus naturelle, plus évidente pour les marques de luxe.
De toute façon, tous les produits aujourd’hui sont proposés en seconde main parce les gens mettent en vente ces produits. La location est actuellement un peu moins structurée, et n’est pas forcément un passage obligé pour toutes les marques.
Ainsi, même si ces deux canaux (première et seconde main) sont complémentaires – il faut différencier la seconde main du canal prioritaire qui reste la première main. Il faut valoriser auprès du client le fait que à partir du moment où on achète un produit on devient un client de la marque. Du coup, l’acheteur va être traité comme un client qui va avoir accès à des produits au magasin et qui va plus avoir envie de posséder de la première main que de louer ou d’acheter de la seconde main.
Quels sont les pièges à éviter pour des marques de luxe ?
Pour valoriser la première main les marques peuvent travailler sur leurs collections, en insistant sur la créativité, le renouvellement, et l’expérience d’achat du client. Ensuite elles peuvent renforcer la reconnaissance de leurs clients par exemple en leur donnant accès à des bénéfices prioritaires par rapport à un client qui aurait un produit par la seconde main ou par la location. Typiquement, il y a beaucoup de marques qui font des éditions limitées. Je pense, par exemple à Guerlain qui a fait une édition limitée de parfums avec la Maison Matisse et qui n’était proposée à l’achat qu’aux meilleurs clients.
Il est très important de faire attention aux réductions des prix des produits de seconde main mais également au positionnement des collections. Il me semble très important de faire une distinction entre des produits de première main et ceux qui sont vendus en seconde main qui peuvent servir pour développer l’esprit de collectionneur et compléter ce qui est vendu en magasin
Pour moi, il y a un point de vigilance par rapport à l’éducation des clients pour assurer qu’ils puissent bien comprendre les différentes offres (première, seconde main ou location). Pourquoi est-ce que j’achèterais parfois la première main ? Parce que je veux avoir accès à un produit créatif, nouveau, et différenciant. Parce que j’ai envie de revenir en magasin…
Ensuite, je dirais qu’il est fondamental de garder la dimension rêve des marques de luxe avec des éditions limitées qui ne sont pas accessibles ni à la location ni à la seconde main. Ainsi, pour moi les marques ne doivent pas se disperser et rester concentrées sur l’innovation et la production de nouvelles collections.
Même si effectivement ces nouveaux canaux offrent beaucoup de possibilités pour les marques, il ne faut pas oublier leur cœur de métier, d’expertise et de savoir-faire. Et pour moi c’est là où le principal des ressources, des efforts, des investissements, doit être fait.
Université d’été
*Pour s’inscrire à l’Université d’été et la table ronde de Gwarlann de KERVILER : « Le luxe et la seconde main : le sens du collectif au service du rêve et de la responsabilité » : https://www.ieseg.fr/relations-entreprises/universite-ete/programme/