Innovation : pourquoi les retours clients sont-ils souvent sous-exploités par les entreprises ?
Selon une nouvelle étude menée par des chercheurs de l'IÉSEG, de l'Université Erasmus de Rotterdam, de l'EMLyon et de l'Université de Gand, de nombreuses entreprises ont du mal à exploiter de manière efficace les informations obtenues de leurs clients (customer insights en anglais) pour mieux innover.
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L’équipe a interviewé 12 responsables d’études de marché et sondé plus de 300 managers (travaillant dans les domaines du marketing, de l’innovation ou de l’expérience client) pour mieux comprendre le processus des retours clients, les raisons pour lesquelles les entreprises trouvent difficile l’utilisation de ces retours clients et comment elles peuvent se centrer davantage sur le client.
Les entreprises reconnaissent depuis longtemps l’importance de comprendre les besoins des clients, par exemple lorsqu’il s’agit d’améliorer ou de lancer de nouveaux produits ou services. Cependant, une étude menée par Kantar Worldpanel (2022) a révélé que 61 % des lancements de nouveaux produits échouent dans les deux premières années, principalement en raison d’une compréhension insuffisante des clients.
Alors, que signifie exactement « retours clients » ?
Les auteurs définissent les « retours clients » comme « une compréhension raisonnée des attitudes et des comportements des clients sur laquelle les entreprises peuvent se baser pour innover ». Les entreprises utilisent une multitude d’activités et de méthodes pour collecter, partager et appliquer ces retours clients (voir graphique ci-dessous). Cela peut inclure différentes façons de collecter des données, d’observer le comportement des clients ou des activités de crowdsourcing ou de co-création avec eux. Cela couvre également la manière dont les données/retours sont partagés au sein de l’organisation et la manière dont les décisions sont ensuite prises et testées.
Graphique 1 : Les 10 domaines relatifs aux insights clients (source : auteurs)
Professeure Elke CABOOTER (IÉSEG) remarque : « Actuellement, les entreprises n’utilisent pas pleinement les retours clients pour lancer des innovations réussies. Mais en se concentrant sur ces données/informations et en impliquant les clients dans chacun des dix domaines que nous avons identifiés, les entreprises peuvent considérablement améliorer leurs chances de succès avec de nouvelles idées et produits. »
Les résultats montrent un potentiel inexploité de l’utilisation des retours clients
La nouvelle étude suggère que de nombreux responsables estiment que leurs entreprises sous-utilisent de nombreuses activités de récupération de retours clients à des fins d’innovation.
Comme le montre le graphique ci-dessous, c’est particulièrement vrai pour les activités impliquant le crowdsourcing et la co-création, mais aussi celles utilisées pour recueillir la « voix du client », par exemple, à travers des entretiens, des groupes de discussion, des enquêtes, etc. (appelées intrusions), ainsi que l’observation des clients.
« La sous-utilisation (des retours clients) dans ces domaines où les entreprises doivent activement impliquer les clients peut principalement s’expliquer par des contraintes budgétaires, un manque de processus clair et facile pour générer des retours clients, et un écart entre les équipes Recherche et Développement et l’équipe Marketing », explique la professeure CABOOTER.
Graphique 2 : Domaines des retours clients triés par degré de « sous-utilisation » (Source : auteurs)
Que peuvent faire les entreprises pour améliorer leur utilisation des retours clients ?
L’article suggère que les entreprises peuvent envisager des moyens de soutenir et/ou de former leurs employés afin d’améliorer ou de développer les performances en matière de crowdsourcing et de co-création. Pour certaines entreprises, il pourrait être nécessaire de faire appel à des prestataires externes pour obtenir de l’aide dans la mise en œuvre de ces types de retours collaboratifs.
Les entreprises ayant des difficultés à utiliser les retours qu’elles ont collectés peuvent également chercher des moyens d’améliorer la collaboration interne entre les équipes marketing et celles qui s’occupent de l’innovation. « Les responsables que nous avons interrogés ont indiqué que les entreprises doivent adopter les tests et le suivi des innovations, et ce, plus tôt et plus rapidement. Par conséquent, l’implication précoce et fréquente de l’équipe marketing dans les initiatives d’innovation pourrait aider les entreprises à mettre l’accent sur les tests et le suivi proactifs dès les premières étapes de l’innovation », explique la professeure CABOOTER.
Processus en six étapes pour gérer le processus
Les auteurs proposent un processus en six étapes pour aider les entreprises à rationaliser la manière dont elles collectent, extraient et mettent en œuvre les retours clients pour différents types d’innovation. Ce déroulé comprend : (1) la génération de données clients, (2) la confrontation des nouvelles et anciennes informations, (3) la compréhension, (4) la visualisation, (5) l’application, puis (6) le suivi. Le processus intègre également des boucles de rétroaction, formulées sous forme de questions, que les entreprises peuvent suivre pour améliorer de manière itérative leur manière d’exploiter les retours clients pour les décisions d’innovation.
« L’objectif est de trouver le bon équilibre entre l’analyse et l’intuition en mettant en évidence des activités clés telles que la génération de données clients, leur signification, leur visualisation et l’intégration des retours dans la prise de décision. Cette approche structurée vise à aider les entreprises à passer au-delà des décisions basées sur l’intuition pour adopter des stratégies d’innovation plus fondées sur des preuves », ajoute-t-elle.
Le processus est illustré dans l’étude à travers l’exemple d’une compagnie d’assurance suisse :
Dans le but de créer des polices d’assurance innovantes pour de nouveaux clients cibles, la compagnie d’assurance a d’abord organisé un atelier de génération d’idées, invitant les employés à concevoir de nouveaux concepts de produits. L’une des idées visait les propriétaires d’animaux de compagnie. Ensuite, ils ont interviewé des propriétaires d’animaux pour comprendre dans quelle mesure leur mode de vie et leurs besoins en matière d’assurance correspondaient aux nouveaux concepts de produits de l’entreprise (« confrontation »).
Ils ont ensuite organisé un second atelier avec les parties prenantes internes concernées pour extraire les conclusions des données obtenus (compréhension), ce qui a conduit à des idées de produits affinées. Les meilleures idées ont été visualisées sous forme de « maquette » et testées auprès des clients cibles à l’aide d’une analyse conjointe d’une enquête pour identifier les différents segments et la disposition de chacun à payer. L’entreprise a ensuite lancé les concepts les plus attrayants (application) et a suivi leur performance sur le marché ainsi que la satisfaction des clients (suivi).
Méthodologie :
Après une revue de plus de 280 articles de recherche provenant de différentes revues scientifiques de premier plan, l’équipe a d’abord réalisé des entretiens avec 12 cadres dirigeants de 11 des plus grandes agences d’études de marché au monde. Ils ont ensuite interrogé plus de 300 responsables impliqués dans les décisions d’innovation pour évaluer la sous-utilisation ou la surutilisation perçue des retours clients pour l’innovation, ainsi que l’alignement ou le désalignement perçu entre l’utilisation et l’impact des différents domaines des retours clients pour l’innovation.
L’étude complète est accessible ici : Stremersch, S., Cabooter, E., Guitart, I.A. et al. Customer insights for innovation: A framework and research agenda for marketing. Journal of the Academy of Marketing Science (2024).