Des influenceurs sur les réseaux sociaux peuvent-ils nous pousser à choisir une salade pour le déjeuner ?
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Malgré tous leurs efforts de promotion des aliments sains, il semblerait que les autorités sanitaires soient en train de perdre le combat contre la malbouffe, à en croire les chiffres alarmants sur l’obésité. Toutefois, une récente étude propose une approche novatrice : raviver l’attrait social d’une alimentation saine grâce à la force des influenceurs sur les médias sociaux.
D’après une interview de Tina TESSITORE sur son article « I tweet, they follow, you eat: Number of followers as nudge on social media to eat more healthily », coécrit avec Karine CHARRY et publié au Social Science & Medicine, 2021, volume 269.
L’obésité est l’un des plus grands problèmes de santé publique du XXIe siècle. À l’origine de déficiences physiques, de maladies cardiovasculaires, de cancer et de diabète, l’obésité est déjà responsable de près de 8 % du coût de la santé et de 13 % des décès en Europe. Pourtant, en dépit des multiples campagnes mises en place par les gouvernements et les ONG pour promouvoir l’importance d’une alimentation saine, le taux d’obésité a triplé dans de nombreux pays européens depuis les années 80 et continue de croître.
Mais peut-être cela démontre-t-il qu’il existe un autre frein qui retient les consommateurs de choisir des aliments bons pour la santé (différent de ceux traditionnellement ciblés, comme l’information nutritionnelle) ? Tina TESSITORE, professeure à l’IÉSEG School of Management, et sa collègue Karine CHARRY, de l’Université catholique de Louvain, pointent un obstacle souvent ignoré : la valeur sociale de la nourriture.
Ces deux chercheuses ont voulu savoir s’il était possible de donner un petit « coup de pouce » aux aliments sains grâce à des signaux sociaux subtils susceptibles d’affecter le comportement, dans l’objectif d’améliorer l’attrait social des vitamines, plutôt que des calories.
La valeur sociale de la nourriture
Là où les aliments mauvais pour la santé, comme la bière ou les sucreries, sont généralement associés au plaisir et au partage, les options plus saines, comme les brocolis réputés « ennuyeux », sont rarement présentées comme des expériences agréables.
« Pour moi, c’est un constat frappant, explique Tina TESSITORE, car en dépit de l’émergence croissante de tendances saines, ces aliments sont bien moins acceptés d’un point de vue social. Je pense que c’est un problème profondément enraciné dans notre quotidien : nous n’associons tout simplement pas la nourriture saine au plaisir. »
Les chercheuses ont testé leur théorie au cours d’une pré-étude en demandant à des participants d’imaginer un en-cas ou un accompagnement que leurs amis choisiraient quand ils mangent seuls ou en compagnie d’autres personnes. Comme supposé, les participants ont répondu que leurs amis seraient plus enclins à choisir un cookie plutôt qu’un fruit, ou à préférer des frites à une salade, dans une situation de convivialité. Cette découverte vient étoffer le récent flux de recherches qui théorise que les aliments sains ont une valeur sociale inférieure à celle de la malbouffe.
Le pouvoir des influenceurs
Tina TESSITORE et Karine CHARRY se sont tournées vers les médias sociaux, convaincues d’y trouver un moyen d’améliorer l’image sociale des aliments sains. « Nous savons, grâce à de précédentes recherches, que le nombre d’abonnés d’un influenceur représente son influence sociale. Que se passerait-il si un influenceur faisait la promotion d’une alimentation saine ? Ce simple signal d’un grand nombre d’abonnés suffirait-il à améliorer la valeur sociale des repas sains et, par ricochet, à impacter les intentions alimentaires des individus ? »
L’équipe de recherche a créé deux profils Twitter, identiques à l’unique exception du nombre d’abonnés : 23 pour le premier et 423 000 pour le second. Les deux comptes ont publié un tweet évoquant une salade « délicieuse et nutritionnelle » pour le déjeuner et un en-cas de fruits frais « facile à préparer ».
Les chercheuses ont ensuite demandé aux participants de noter leur degré d’approbation vis-à-vis d’une série de déclarations, notamment : « ces tweets me donnent envie de manger des salades plus souvent ». Les participants qui suivaient le profil Twitter avec le plus grand nombre d’abonnés ont répondu qu’ils étaient plus enclins à manger sainement grâce à ces tweets.
La deuxième partie de l’expérience visait à expliquer le mécanisme derrière ce constat.
Un coup de pouce dans la bonne direction
Les chercheuses ont demandé à un deuxième groupe de participants de consulter l’un des deux profils Twitter. Cette fois-ci, ils devaient indiquer leur attitude vis-à-vis des aliments mentionnés dans les tweets et répondre à des questions destinées à évaluer leur perception de la valeur sociale des aliments. Les participants devaient ensuite estimer, selon eux, la force d’influence de ce profil Twitter.
Ces tests ont permis d’analyser un concept appelé « l’influence de l’influence présumée » ou la perception par le public de l’influence qu’un membre des réseaux sociaux exerce sur les autres. L’expérience a démontré que les participants étaient persuadés que le profil Twitter à 423 000 abonnés aurait un impact plus important sur les autres que le profil avec seulement 23 abonnés. En résumé, les gens croient en la puissance des influenceurs.
« Les influenceurs ont un véritable impact sur notre façon de percevoir les aliments sains et contribue à les rendre plus populaires, » ajoute Tina TESSITORE. « Cet impact améliore notre comportement envers ces aliments et nous encourage à les choisir au moment de faire nos propres choix. »
Les découvertes de l’équipe suggèrent ainsi que les influenceurs sur Twitter, et probablement ceux des autres réseaux sociaux, pourraient améliorer la valeur sociale des bons aliments en encourageant leurs abonnés à manger plus sainement. La popularité des médias sociaux laisse supposer que cet effet pourrait avoir une portée colossale.
Applications pratiques
Les influenceurs des médias sociaux gagnent en popularité et exercent un pouvoir significatif sur l’orientation des tendances et la promotion de certains produits et comportements. <strong>Les autorités de santé publique pourraient collaborer avec ces individus pour transmettre efficacement des messages concernant une alimentation saine.
Les profils comptant les plus grands nombres d’abonnés sont les plus à même d’influencer les consommateurs. Ceux qui ambitionnent de promouvoir les repas sains sur les médias sociaux (les influenceurs) devraient concentrer leurs efforts sur l’augmentation de leur nombre d’abonnés, par exemple en proposant des concours ou du contenu viral.
Tina TESSITORE suggère également que les autres plateformes pourraient apprendre de cette étude. Les sites d’épicerie en ligne, par exemple, pourraient inclure des indicateurs discrets montrant aux consommateurs le nombre de personnes qui ont déjà acheté certains produits sains.
Méthodologie
Les autrices ont mené à bien trois expériences avec des participants américains de différentes tranches d’âge à l’aide du site Amazon Mechanical Turk. Les chercheuses ont utilisé une analyse de médiation sur le dernier ensemble de résultats afin de mesurer l’effet du nombre d’abonnés sur les profils Twitter.