Depuis 2018, la guerre commerciale sans merci des États-Unis et de la Chine

La première présidence de Trump (2017-2021) lance les hostilités commerciales entre les États-Unis et la Chine. Après le virage stratégique de Biden en 2024, ce conflit trouve son apogée en 2025. Le 11 mai dernier, le secrétaire états-unien au Trésor Scott Bessent et le vice-premier ministre chinois He Lifeng se rencontrent à Genève, en terrain neutre, pour désamorcer la crise. Un premier pas vers la désescalade ?

Date

22/05/2025

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Depuis le début de l’année 2025, le monde observe une reprise brutale de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, marquée par des droits de douane dépassant 100 % sur presque tous leurs échanges bilatéraux. Ce conflit, né en 2018 d’accusations de pratiques commerciales déloyales, s’est transformé en un affrontement économique d’ampleur mondiale.

Ces tarifs massifs et contre-mesures ont paralysé les échanges bilatéraux, ébranlé les marchés et perturbé les chaînes d’approvisionnement. La trêve de Genève, en 2025, offre une lueur d’espoir, mais les différends de fond persistent. Ce conflit pourrait redéfinir les dynamiques du commerce international, soulignant l’urgence d’un dialogue constructif pour préserver la stabilité économique mondiale.

Cet article retrace les événements clés et analyse les impacts économiques. Pour quelles perspectives d’évolutions ?

2018-2023 : naissance de la guerre commerciale

Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine émergent en 2018, lorsque l’administration Trump impose des droits de douane sur les importations chinoises, invoquant la section 301 du droit commercial des États-Unis. Elle permet au Bureau du représentant américain au commerce (USTR) de prendre des mesures contre les politiques commerciales de pays étrangers, à la demande du président des États-Unis. Washington accuse Pékin de pratiques déloyales, notamment de transferts forcés de technologies et des violations de la propriété intellectuelle. En riposte, la Chine taxe des produits américains, ciblant l’agriculture et l’automobile.

Après une escalade en 2018-2019, les deux pays signent l’accord dit de « Phase 1 » en janvier 2020. Il oblige la Chine à augmenter ses achats de biens américains de 200 milliards de dollars par rapport à 2017 et à renforcer la protection intellectuelle. En échange, les États-Unis réduisent les droits sur 120 milliards de dollars de produits de consommation – de 15 % à 7,5 % – et suspendu des hausses sur 160 milliards supplémentaires, incluant téléphones et vêtements. Les droits de 25 % sur 250 milliards de dollars de biens industriels chinois sont toutefois restés en vigueur.

Cet accord freine l’escalade sans résoudre les différends. La Chine n’a pas atteint ses objectifs d’achats, en partie à cause de la pandémie de Covid-19. En 2021, l’administration Biden maintient les tarifs et lance une révision de quatre ans pour évaluer leur impact. Entre 2021 et 2023, les mesures restent stables, avec quelques exemptions. Les négociations sont au point mort. Début 2024, les autorités américaines concluent que les pratiques problématiques de la Chine persistaient, ouvrant la voie à une nouvelle confrontation.

2024 : virage stratégique de Biden

En mai 2024, Joe Biden impose de nouveaux droits de douane, marquant la première escalade majeure depuis 2020. Ces mesures, justifiées par la persistance des pratiques déloyales chinoises, ciblent les technologies vertes et stratégiques. Selon l’USTR, les anciens tarifs avaient limité certains risques sans changer les comportements de Pékin. Katherine Tai, conseillère commerciale à la Chambre des représentants, souligne que ces mesures visent à « défendre les travailleurs et entreprises américains ».

Finalisé fin 2024, le plan tarifaire relève les droits sur des produits clés : 100 % sur les véhicules électriques chinois, 50 % sur les panneaux solaires, composants électroniques et minerais critiques, et 25 à 50 % sur des produits de santé comme les masques. La Maison Blanche présente ces mesures comme une réponse à la surcapacité chinoise et à la cybersurveillance qui « entravent le commerce américain ». La Chine dénonce ces décisions sans riposter massivement, signalant la fin de la trêve.

2025 : une escalade sans précédent

En 2025, le retour de Donald Trump à la présidence intensifie le conflit. Déclarant une « urgence nationale commerciale », l’administration impose un droit universel de 10 % sur toutes les importations, suivi de hausses ciblant la Chine : 84 % le 9 avril, puis 125 % le 11 avril, rendant les exportations chinoises impossibles.

La Chine répond d’abord par des droits de 10 % à 15 % sur des produits agricoles et industriels américains. Mais, dès le 4 avril, elle impose une surtaxe de 34 %, portée à 84 % le 10 avril, puis à 125 % le 12 avril, alignant sa riposte. Pékin saisit l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dénonçant des violations des règles internationales. Elle adopte des contre-mesures non tarifaires : restrictions sur les terres rares, interdictions de produits agricoles américains et sanctions contre des entreprises comme Tesla.

Mi-avril, les échanges bilatéraux sont presque à l’arrêt. Les exportations américaines vers la Chine (agriculture, machinerie, électronique) s’effondrent, tandis que le Brésil et l’Australie comblent le vide. Le commerce bilatéral, évalué à 635 milliards de dollars en 2017, chute de manière historique, surpassant l’intensité du conflit de 2018-2019.

Effet domino

La guerre tarifaire de 2025 secoue les marchés financiers autant que le commerce mondial. En avril, après l’annonce de nouveaux droits de douane par Washington, Wall Street connaît sa pire chute durant quatre jours : 6 000 milliards de dollars perdus sur l’indice S&P 500. Les secteurs liés à la Chine – technologie, industrie, agriculture – sont les plus touchés. L’indice de volatilité du marché états-unien VIX bondit et les cours du pétrole chutent face à la crainte d’un ralentissement mondial.

En Chine, la devise recule à son plus bas niveau depuis deux mois. La production industrielle enregistre sa plus forte contraction depuis deux ans. Les interventions de l’État ont limité la panique, mais les commandes à l’export s’effondrent. L’effet domino s’étend : les bourses européennes et japonaises fléchissent, et plusieurs multinationales – comme UPS ou Porsche – révisent leurs prévisions ou réduisent leurs effectifs.

Les perspectives macroéconomiques s’assombrissent : la Réserve fédérale états-unienne évoque un risque de stagflation et le FMI abaisse sa prévision de croissance mondiale à 2,2 %. L’OMC alerte sur un possible recul du commerce international, inédit depuis la crise de 2008.

Mai 2025 : retour au dialogue à Genève

Après des mois de surenchère, les États-Unis et la Chine rouvrent des discussions de haut niveau. Les 10 et 11 mai 2025, le secrétaire américain au Trésor Scott Bessent et le vice-premier ministre chinois He Lifeng se rencontrent à Genève, en terrain neutre, pour désamorcer la crise. Accompagné du représentant au commerce Jamieson Greer et d’une délégation d’experts, Bessent qualifie les pourparlers de « très productifs et constructifs ». He Lifeng décrit les échanges comme « approfondis et francs ».

Le 12 mai, les deux parties annoncent une « trêve tarifaire » par un communiqué conjoint. À partir du 14 mai, la plupart des surtaxes imposées en 2025 sont suspendues pour 90 jours. Les États-Unis réduisent leurs droits de 145 % à 30 % sur les produits chinois, et la Chine abaisse les siens de 125 % à 10 % sur les produits américains. Cela représente une réduction de 115 points de pourcentage, bien que les taux restants restent élevés par rapport aux niveaux préconflit.

L’administration Trump annule plusieurs décrets durcissant les restrictions commerciales. Pékin lève des contre-mesures non tarifaires, comme les contrôles sur les terres rares et les sanctions contre des entreprises américaines. Un « mécanisme de consultation » bilatéral, piloté par Bessent, Greer et He, est établi pour poursuivre les négociations sur des questions de fond : propriété intellectuelle, subventions, accès aux marchés. Cette trêve, bien que limitée, offre un répit aux marchés mondiaux et marque un pas vers la stabilisation des relations économiques.

Impasse et espoir de négociation

En ce mois de mai 2025, les discussions restent fragiles. Les États-Unis exigent des réformes structurelles, tandis que la Chine refuse de céder sous pression. Les impacts économiques pèsent lourdement. Pékin explore des dialogues avec l’Union européenne, l’Asie du Sud-Est et le Sud global, tandis que Washington renforce ses alliances pour sécuriser ses chaînes d’approvisionnement. L’OMC et le FMI appellent à une reprise urgente des négociations.

Cette guerre tarifaire révèle la fragilité de l’économie mondiale. Les consommateurs subissent des hausses de prix, les exportateurs perdent des marchés, et des secteurs comme l’automobile et l’agriculture repensent leurs stratégies. Bien qu’une résolution rapide semble improbable, l’histoire suggère que des tensions prolongées peuvent inciter à la négociation. La trêve de Genève pourrait être un premier pas, mais le conflit de 2025 reste un test majeur pour le commerce mondial.


Suwan Long, Assistant Professor, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management

Cet article, ‘Depuis 2018, la guerre commerciale sans merci des États-Unis et de la Chine’ est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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Économie & Finance


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