« Fort Knox numérique » : le pari risqué du bitcoin en réserve stratégique des États-Unis

Date

22/04/2025

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Le plan de Donald Trump d’ajouter le bitcoin au bilan de la Réserve fédérale est sans précédent. Audace visionnaire ou pari risqué ? Côté audace : Trump. Côté prudence : la Réserve fédérale des États-Unis.


En mars 2025, Trump signe un décret exécutif (« executive order ») établissant une réserve stratégique de bitcoins. Il vise à reconnaître officiellement le bitcoin comme un actif de réserve. Il prévoit aussi d’inclure dans cette réserve d’autres cryptoactifs : l’éther, le XRP, le solana et le cardano. Ce qui avait alors fait grimper leur valeur sur les marchés. Concrètement, la banque centrale des États-Unis – la Réserve fédérale (communément nommée la Fed) – pourra utiliser la cryptomonnaie pour prêter à des banques ou pour intervenir sur le marché des changes.

Cette réserve sera initialement financée par les bitcoins que le gouvernement américain possède déjà, principalement issus de saisies judiciaires dans des affaires de cybercriminalité ou de blanchiment d’argent. Par exemple, en novembre 2021, le ministère de la justice a annoncé la saisie de plus de 50 676 bitcoins liés à des activités illégales sur le marché du Darknet, Silk Road. Plutôt que de les revendre, ces actifs sont conservés dans une logique de placement à long terme. Le décret de Trump demande également aux agences concernées d’explorer des moyens « budgétairement neutres » pour acquérir du bitcoin, c’est-à-dire sans coûts nouveaux pour les contribuables.

En positionnant le bitcoin comme de « l’or numérique », l’administration Trump présente cette mesure comme une innovation audacieuse. Ce pari suscite un scepticisme important de la part des banquiers centraux et des régulateurs. Ces derniers alertent sur les obstacles juridiques et les risques pour la stabilité financière. Dans cet article, nous examinons le pari de Trump sur le bitcoin, ainsi que la réponse des institutions américaines, des régulateurs et des autorités financières mondiales, pour en évaluer la faisabilité et les implications.

Réserve stratégique de bitcoin

La note de la Maison Blanche souligne que le gouvernement crée une Réserve stratégique avec les bitcoins qu’il possède déjà, principalement issue de saisies judiciaires. Si, jusqu’à présent, ces bitcoins étaient vendus aux enchères sans véritable stratégie, ces avoirs seront dorénavant consolidés comme une réserve de valeur à long terme, à l’image d’un « Fort Knox numérique ». Le décret autorise même les secrétaires du Trésor et du commerce à élaborer des moyens d’acquérir du bitcoin supplémentaire, sans frais pour les contribuables, laissant la porte ouverte à des achats futurs en fonction des conditions du marché.

Cette initiative concrétise la promesse de campagne de Trump de faire de l’Amérique « la capitale mondiale de la cryptomonnaie ». Trump présente cette réserve comme la partie d’une stratégie plus large pour exploiter les actifs numériques en faveur de la prospérité nationale. Les partisans de cette initiative affirment qu’en centralisant et en conservant (holding) le stock de bitcoins détenu par le gouvernement, les États-Unis pourraient bénéficier d’une appréciation de valeur à long terme. L’idée : contribuer à la réduction de la dette nationale et des déficits.

Le Bitcoin Act vise à codifier la vision de Trump en loi. Ses défenseurs affirment qu’une réserve de bitcoins permettra de « renforcer le bilan financier de l’Amérique et d’alléger notre dette nationale ».

« Nous n’avons pas le droit de détenir du bitcoin »

Malgré cette ambition, le pari audacieux de Trump doit faire face à une réalité préoccupante : la Réserve fédérale des États-Unis (ou Fed) est légalement interdite de détenir du bitcoin. Elle est limitée dans la détention d’actifs, de titres du Trésor américain et de titres adossés à des créances hypothécaires, conformément au Federal Reserve Act. L’indépendance de la Fed et les statuts existants limitent la portée de ce plan sans changements législatifs. Ce conflit entre une vision exécutive et des limites institutionnelles constitue le cœur du débat.

La Fed gère la politique monétaire d’Oncle Sam. Elle détient des actifs de réserve comme les bons du Trésor et les certificats en or. Elle a accueilli l’idée d’intégrer le bitcoin à son bilan avec une grande retenue. Le président de la Fed, Jerome Powell, a déclaré sans équivoque :

« Nous n’avons pas le droit de détenir du bitcoin [… et] nous ne cherchons pas à modifier la loi. »

Cette résistance institutionnelle met en évidence un obstacle majeur. Le décret présidentiel s’applique à l’exécutif, ce qui permet à des agences comme le département du Trésor de créer une réserve en bitcoins. Le Trésor, en tant que branche exécutive, gère les revenus du gouvernement. Il administre également des fonds tels que le Treasury Forfeiture Fund, qui s’occupe des actifs saisis par des agences comme l’Internal Revenue Service (IRS) et le département de la sécurité intérieure (DHS).

Alors que le Trésor peut gérer des réserves fiscales, la Fed gère les réserves monétaires servant à la politique économique. Leurs rôles et contraintes sont profondément différents.

Volatilité et stabilité

La volatilité notoire du bitcoin est au cœur de la prudence exprimée par les autorités monétaires. Un actif de réserve monétaire est généralement censé être un stock de valeur stable et très liquide en cas de crise – des qualités que possèdent les actifs tels que le dollar américain, les bons du Trésor ou l’or.

Les cryptomonnaies, en revanche, ont affiché des fluctuations de prix extrêmes. Les responsables de la Réserve fédérale ont souligné que la cryptomonnaie est « rarement utilisée comme de l’argent réel » et est plutôt largement spéculative. Le Fonds monétaire international (FMI) a mis en garde contre le fait que l’adoption rapide des cryptomonnaies peut nuire à la stabilité monétaire. Début 2023, le conseil d’administration du FMI a exhorté les pays à « protéger leur souveraineté monétaire et à ne pas accorder aux cryptoactifs le statut de monnaie officielle ou de monnaie légale ».

Les États-Unis seuls au monde

L’initiative audacieuse du président Trump d’établir une réserve stratégique de bitcoins a sans conteste accéléré le débat sur l’intégration des actifs numériques dans les réserves gouvernementales. Ce projet novateur soulève des questions cruciales sur la légalité, sur la sécurité et sur l’avenir de la monnaie.

Aucun autre pays du G7 n’inclut actuellement les cryptomonnaies parmi ses actifs de réserve. Des institutions, telles que la Réserve fédérale et le Fonds monétaire international, demeurent profondément sceptiques quant à leur intégration. Les cryptomonnaies comme le bitcoin ne sont pas incluses dans ces actifs autorisés, ce qui signifie que leur intégration nécessiterait des amendements législatifs. En conséquence, la gestion de cette réserve de cryptoactifs incomberait probablement au département du Trésor des États-Unis, par l’intermédiaire du Fonds de confiscation du Trésor.

Le pari de Trump sur le bitcoin confronte une idée novatrice face aux principes fondamentaux de gestion conservatrice des réserves. Ce pari est à haut risque : une réussite pourrait placer les États-Unis à l’avant-garde de la révolution financière technologique, tandis qu’un échec pourrait entraîner des pertes financières ou nuire à la réputation économique du pays.


Suwan Long, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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Économie & Finance


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