Pays en développement : devenir mère, un défi bien plus difficile que ne le laissent croire les statistiques
Partage
Quand nous pensons à la fécondité des pays en développement, nous pensons trop vite au nombre moyen d’enfants par femme ou au taux de croissance de la population. Nous voyons alors des chiffres élevés. Mais aussi élevés soient-ils, ces chiffres cachent une réalité complexe et en premier lieu, des taux d’infécondité significatifs.
À titre d’exemple, en 2005 au Cameroun, 17,8 % des femmes de 40 à 54 ans n’ont jamais eu d’enfants. L’idée d’une forte fécondité dans les pays en développement est à nuancer, les femmes qui y ont des enfants en ont beaucoup en moyenne mais nombre d’entre elles n’en ont pas du tout.
Cela pose-t-il pour autant un problème ? Les pouvoirs publics devraient-ils trouver dans ces chiffres des raisons d’intervenir ? Après tout, si l’infécondité n’était que le simple résultat d’un choix personnel, on pourrait considérer que l’État n’ait pas son mot à dire. Mais, au fil des années, nous avons fait émerger une nouvelle manière de décomposer l’infécondité et celle-ci nous fait dire que oui, il y a matière à intervention pour les pouvoirs publics.
Comprendre les causes de l’infécondité
Sur un échantillon de 36 pays en développement, réunissant environ 12 millions d’observations sur trois continents, nous distinguons trois principales formes d’infécondité.
En premier lieu, la stérilité naturelle : 1,9 % des individus viennent au monde sans la capacité de se reproduire. Elle nous touche sans distinction de genre ou d’origine ethnique et sociale. Elle n’est pas la plus endémique.
En second lieu, l’infécondité due à la pauvreté : elle touche 2,3 % des femmes de notre échantillon mais jusqu’à 12,6 % des femmes maliennes. La relation croissante entre intensité de la pauvreté et probabilité de ne pas pouvoir enfanter s’explique essentiellement par un plus fort degré d’exposition aux maladies sexuellement transmissibles vectrices de stérilité et un moindre accès aux techniques de reproduction médicalement assistées.
Enfin, nous distinguons l’infécondité liée aux opportunités économiques. Une des raisons majeures de ne pas avoir d’enfants réside dans les opportunités économiques qui s’offrent aux femmes tout au long de leur vie reproductive.
Avoir des enfants nécessite pour les femmes, beaucoup plus que pour les hommes, de renoncer à une part non négligeable de leur participation au marché du travail. Dès lors, plus le salaire d’une femme est élevé et ses perspectives d’évolution prometteuses et plus elle a à perdre en ayant des enfants. L’infécondité d’opportunités concerne 3,5 % des femmes de notre échantillon, elle monte jusqu’à 11 % en Argentine.
La prévalence de chaque type d’infécondité n’est bien sûr pas la même dans tous les pays. Les pays d’Amérique du Sud, plus avancés dans leur processus de développement sont plus sujets à l’infécondité d’opportunité alors que les pays d’Afrique subsaharienne souffrent d’une forte infécondité de pauvreté.
Mais encore une fois, il faut se méfier des moyennes : au sein d’un même pays, toutes les femmes ne sont pas concernées au même chef. La pauvreté frappe bien rarement les très éduquées alors que les meilleures opportunités économiques se refusent la plupart du temps aux moins éduquées. Il s’ensuit que l’infécondité de pauvreté décroît avec l’éducation alors que c’est l’inverse pour l’infécondité d’opportunité.
Le développement ne rime donc pas avec une baisse ou une hausse systématique de l’infécondité mais avec une diminution suivie d’une résurgence ; un phénomène déjà largement observé au cours de l’histoire.
Dans ce contexte, comment les politiques de développement modifient-elles l’infécondité ? Nourrissent-elles ou désamorcent-elles la « bombe démographique » tant redoutée par les dirigeants des pays riches ? La réponse est nuancée.
Une transition démographique en trompe-l’œil ?
À titre d’exemple, garantir l’accès universel à l’école primaire réduirait le nombre d’enfants que les mères les plus pauvres mettent au monde mais, en même temps, beaucoup plus de femmes auraient accès à la reproduction.
En clair, l’infécondité liée à la pauvreté serait réduite, ce qui viendrait limiter la baisse du nombre moyen d’enfants par femme. La baisse de l’infécondité de pauvreté est une bonne chose : les familles les plus pauvres auraient accès à un plus large éventail de potentialités. Il en va de même pour les politiques de planning familial.
La lutte contre les inégalités de genre se montre également efficace pour réduire la fécondité dans les pays en développement. Garantir un salaire égal entre hommes et femmes, à niveau d’éducation donné, réduirait le nombre d’enfants des mères et augmenterait également l’infécondité d’opportunité.
Ce que nous mettons en évidence, c’est une dimension de la pauvreté trop souvent oubliée : l’infécondité. Surprenant s’il en est, combattre la pauvreté ne fait pas nécessairement baisser l’infécondité mais en transforme les racines : la pauvreté cède place aux opportunités.
Ce mouvement contribue au maintien d’un nombre d’enfants par femme relativement élevé au début du processus de développement ; il alimente alors l’idée que les transitions démographiques sont grippées dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, il n’en est sûrement rien.
Avec le développement, l’infécondité repartira à la hausse mais cette fois, ce sera parce que les femmes des pays en développement auront accès à des opportunités économiques comparables à celles qui s’offrent aux hommes. Et c’est tant mieux.
Thomas Baudin– IESEG School of Management (LEM-CNRS 9221), IÉSEG School of Management; David de la Croix, Professeur d’économie, Université catholique de Louvain (UCLouvain) et Paula Gobbi, Assistant Professor, Université Libre de Bruxelles (ULB)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.