Entreprises sociales : comment le choix du modèle économique peut impacter l’expansion internationale

Date

07/06/2024

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Entreprise sociale

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Le nombre d’entreprises sociales (ES) a augmenté rapidement ces dernières années en réponse à une variété de défis socio-économiques et environnementaux. Pour s’attaquer à des problèmes tels que la pauvreté, les conditions de travail et de vie, l’exclusion sociale et le changement climatique, divers modèles économiques (y compris à but lucratif et à but non lucratif) ont émergé. Pour augmenter leur impact et assurer leur viabilité financière, de nombreux experts estiment qu’il est crucial pour ces organisations d’étendre leurs activités. L’une des façons d’y parvenir est d’étendre leurs services ou produits à l’international, notamment dans les pays où les problèmes ne sont pas pris en compte par la politique locale ou les forces du marché.

Cependant, les entrepreneurs sociaux à la tête de ces organisations font face à des défis particuliers lorsqu’ils cherchent à s’étendre au-delà de leur pays. Contrairement aux entreprises commerciales, ils se concentrent principalement sur la création de valeur sociale en répondant à des besoins sociaux ou environnementaux plutôt qu’en générant des gains économiques. Comme le souligne une *étude récente, cette caractéristique distinctive se traduit par une variété de modèles économiques (business models) visant à créer simultanément de la valeur sociale et économique.

Une variété de modèles pour créer et apporter de la valeur

Certaines entreprises sociales décident de créer de la valeur sociale directement à travers les produits ou services qu’elles offrent ou vendent à leurs clients. Cela signifie que leurs clients se confondent avec les populations ou les causes qu’elles cherchent à aider (bénéficiaires). Par exemple, Nuru Energy, une entreprise sociale en Afrique, commercialise des lampes à énergie renouvelable pour les populations à faible revenu. Elle réalise sa mission sociale en contribuant à la réduction des émissions de carbone, à la baisse des coûts de santé et à l’amélioration de l’éducation des enfants. La création de valeur sociale est intégrée à l’apport de solution.

Cependant, dans certains cas, les ES développent également des activités ou des produits supplémentaires pour remplir leur mission sociale. L’exemple en est des initiatives de microfinance. Celles-ci créent traditionnellement plus de valeur sociale lorsque les bénéficiaires sont formés et éduqués à utiliser ces prêts pour des activités entrepreneuriales. Ainsi, les institutions de microfinance doivent fournir des activités éducatives et de formation supplémentaires à leurs clients pour les aider à développer des activités entrepreneuriales réussies.

Différenciation entre clients et bénéficiaires

En outre, certaines ES développent des modèles économiques où il n’y a pas de chevauchement entre leurs clients et les bénéficiaires de leur mission sociale. Par exemple, Mobile School, une ES fondée en Belgique, fournit des matériels éducatifs aux enfants des rues (à l’international). En parallèle, elle propose des programmes de formation aux entreprises. Dans ce cas, les bénéficiaires sont les enfants qui reçoivent des matériels éducatifs gratuits, tandis que les clients sont les entreprises qui paient pour les programmes de formation.

Une autre variable en termes de modèles économiques concerne les sources de revenus des entreprises sociales. Contrairement aux entreprises commerciales, beaucoup dépendent de différents types de revenus. Ceux-ci peuvent inclure des subventions, des dons et des contributions, en plus des revenus tirés de leurs activités/services.

Comment les différents modèles impactent-ils la capacité des entreprises sociales à se développer à l’international ?

Dans une recherche récente, des professeurs de l’IÉSEG, de la KU Leuven, et un expert de S&P Global ont étudié les modèles économiques de 175 entreprises sociales en Inde pour obtenir des informations sur cette question pour les entrepreneurs sociaux partout dans le monde. L’Inde a une histoire d’activisme et de participation du secteur privé aux activités de bien-être social, ce qui s’est avéré important pour stimuler un secteur de l’entrepreneuriat social fort.

« Nous avons constaté qu’environ un tiers des ES que nous avons étudiées s’étaient développées à l’international. Il est important de noter que les entreprises sociales qui avaient développé des activités supplémentaires au-delà de la fourniture initiale de biens ou de services étaient moins susceptibles d’avoir étendu leurs activités à l’étranger », explique le professeur Johan BRUNEEL de l’IÉSEG, l’un des auteurs de l’étude.

Cela s’explique par le fait qu’il est parfois nécessaire de fournir des activités supplémentaires telles que l’éducation et la formation en plus du produit ou service de base aux clients pour créer la valeur sociale souhaitée.

Les chercheurs ont également découvert que les entreprises sociales qui avaient développé un modèle économique différenciant leurs clients et leurs bénéficiaires (comme dans le cas de Mobile School) étaient légèrement plus susceptibles de se développer à l’international que celles ayant un modèle intégré, où les populations qu’elles servent sont aussi leurs clients.

« Les ES avec des modèles intégrés peuvent être classiquement plus ancrées dans leur communauté locale. Cela peut les motiver à se concentrer davantage sur les opportunités de croissance locale, plutôt que de se développer en poursuivant des opportunités de croissance internationale », explique le professeur BRUNEEL.

L’impact des sources de revenus sur l’expansion internationale

Enfin, les chercheurs ont également constaté que les ES qui dépendent fortement des sources de revenus externes (dons, financements, philanthropie) plutôt que des revenus auto-générés étaient nettement moins susceptibles de s’internationaliser.

« C’est parce que les ES qui génèrent des revenus en interne en vendant des produits et services seront plus enclines à rechercher des opportunités de croissance à l’international. Ces revenus leur donneront indépendance et liberté par rapport aux agendas des donateurs, et leurs niveaux plus faibles d’ancrage local leur offriront plus de liberté pour s’étendre à de nouvelles zones géographiques », ajoute le professeur Bruneel.

« Nos résultats fournissent des indications intéressantes sur les combinaisons de facteurs de modèle économique qui facilitent ou entravent l’internationalisation. Elles sont également extrêmement pertinentes pour les entrepreneurs sociaux en Europe et à l’international. »

Les entrepreneurs sociaux doivent évaluer les coûts et les bénéfices

Les managers d’ES envisageant l’internationalisation doivent donc prendre en compte les coûts et les bénéfices relatifs à l’intégration des clients en tant que bénéficiaires, la création d’innovations sociales reproductibles, la création de valeur dépendant d’activités supplémentaires et la dépendance aux sources de revenus externes.

Les auteurs soutiennent également que les entrepreneurs sociaux doivent être conscients des considérations à court terme par rapport aux implications à plus long terme lors du choix des modèles économiques. Par exemple, les entrepreneurs sociaux sont typiquement motivés pour répondre aux besoins sociaux et aux problèmes des personnes dans leurs communautés locales (c’est-à-dire les bénéficiaires).

Du point de vue de l’entrepreneur, il peut être une stratégie évidente d’explorer comment ces bénéficiaires peuvent devenir des clients payants (intégrés), plutôt que de rechercher un autre segment de clients payants (différenciés). Bien que cette dernière option puisse être moins attrayante car elle rend le modèle économique plus complexe et difficile à gérer, notre étude montre que les ES différenciées sont plus susceptibles de s’internationaliser.

De même, les entrepreneurs sociaux doivent accorder une attention suffisante à développer un flux de revenus diversifié au-delà des dons et des subventions pour éviter d’être « ancrés » localement. Bien qu’ils puissent avoir besoin de compter sur ces derniers à court terme, générer des revenus en vendant des produits et des services est important si les entrepreneurs sociaux veulent développer leurs entreprises et croître à l’international. En fait, les entrepreneurs sociaux pourraient même considérer ces caractéristiques dans l’élaboration de leurs plans d’affaires, étant donné que les ES avec des modèles économiques qui différencient les clients et les bénéficiaires, qui ne dépendent pas d’activités contingentes pour créer de la valeur sociale, et qui génèrent la plupart de leurs revenus en interne, sont plus susceptibles de pouvoir s’étendre à l’international.

Cette recherche met en lumière le fait que les entrepreneurs sociaux ont une variété de voies pour se développer, soit au niveau national soit à l’international.

Par conséquent, les entrepreneurs sociaux doivent réfléchir soigneusement à la configuration de leur modèle économique en termes de création, de livraison et de capture de la valeur, et à son impact sur la capacité à développer (scalability) des activités.

*”The internationalization of social enterprises: The impact of business model characteristics”; The International Business Review, Volume 32, Issue 6, December 2023, Filip De Beule (KU Leuven), Johan Bruneel (IESEG School of Management, Univ. Lille, CNRS, UMR 9221 – LEM + KU Leuven), Kieran Dobson (Sustainable1, S&P Global).


Catégorie(s)

Entrepreneuriat & InnovationManagement & SociétéRSE, Durabilité & Diversité


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