Même avorté, le moratoire français sur les énergies renouvelables peut mettre en péril la transition verte

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04/09/2025

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En juin 2025, un moratoire sur les nouvelles installations d’éolien terrestre et solaire a failli entrer en vigueur. Même si la proposition a finalement été retoquée par le Sénat, cette volte-face politique pourrait avoir des effets délétères durables sur le secteur des renouvelables en France et en Europe. Les explications sont d’ordre économique.


En juin 2025, l’Assemblée nationale française a brièvement approuvé un moratoire sur les nouvelles installations d’éolien terrestre et solaire. La proposition, portée par Les Républicains et le Rassemblement national, a provoqué une vive inquiétude. Elle a finalement été rejetée par le Sénat sous la pression des ministres, des associations professionnelles et des experts européens.

Même si cette mesure n’aura jamais été appliquée, elle a révélé une vulnérabilité profonde : dans un secteur fondé sur la planification de long terme, les revirements politiques soudains sapent rapidement la confiance des investisseurs. Même si l’épisode médiatique n’a duré que quelques semaines, il pourra affecter le secteur de façon durable, pour plusieurs raisons.

D’abord parce que les projets d’énergies renouvelables diffèrent fondamentalement des installations classiques. Selon l’Agence internationale de l’énergie, plus de 80 % des coûts d’un projet solaire ou éolien sont engagés dès la phase de construction, bien avant la vente du premier kilowatt-heure.

Mais aussi parce que l’UE s’est fixé un objectif minimal de 42,5 % de consommation finale d’énergie renouvelable d’ici 2030 dans le cadre des plans Fit-for-55 et REPowerEU. L’Agence européenne pour l’environnement souligne d’ailleurs que l’électricité renouvelable représentait déjà plus de 45,3 % de la production électrique de l’Union européenne en 2023, contre seulement 21 % en 2010. Autrement dit, cela reviendrait, pour la France, à saper des objectifs qu’elle va elle-même devoir tenir en tant qu’État membre.

Ces caractéristiques – investissements initiaux élevés, horizon de rentabilité long, dépendance à la stabilité réglementaire – signifient qu’un climat politique clair n’est pas un luxe : c’est une condition de viabilité.

Des conséquences durables même si le moratoire n’a pas été appliqué

Même si le Sénat a rejeté le moratoire, les effets d’image demeurent. Le secteur des renouvelables emploie en France plus de 100 000 personnes, qu’il s’agisse de la conception, de la construction, de l’exploitation ou de la recherche et développement (R&D).

Quand les signaux politiques deviennent incertains, les entreprises freinent les embauches, suspendent la formation et dissuadent les jeunes ingénieurs de s’orienter vers ces métiers.

Cette instabilité fragilise aussi la compétitivité économique. Le prix de l’énergie est une base de la production industrielle : si les renouvelables ralentissent et leur prix augmente, la dépendance aux combustibles fossiles – dont les prix sont par nature plus volatils – s’aggrave. Inversement, une augmentation de la production d’énergies renouvelables ne saurait entraîner une baisse de prix comparable du fait de la nature asymétrique du marché des renouvelables.

Selon le rapport Global Energy Perspective 2023 de McKinsey, même si les énergies renouvelables sont aujourd’hui les plus compétitives dans de nombreuses régions du monde,

« la viabilité économique de certains projets reste tributaire de soutiens réglementaires ; sans eux, les capacités pourraient stagner ».

Autrement dit, chaque incertitude sur les renouvelables augmente le coût du financement, qui se répercute ensuite sur les prix payés par les consommateurs et par l’industrie.

L’histoire récente offre d’ailleurs un précédent éloquent. Après la suppression brutale des subventions au solaire en Espagne, au début des années 2010, le montant des investissements s’est effondré. Ainsi que l’écrivent les économistes Pablo del Río et Pere Mir-Artigues :

« Les mesures prises ultérieurement par le gouvernement pour réduire ces coûts, notamment les changements rétroactifs de politique, ont créé de l’incertitude chez les investisseurs et ont fragilisé l’industrie solaire nationale. »

Un impératif de stabilité au vu des contraintes techniques

Les énergies renouvelables sont, par définition, intermittentes : la production fluctue selon l’ensoleillement et le vent. On l’a vu plus haut, ces projets nécessitent un engagement financier massif avant toute recette et leur réussite dépend de la prévisibilité du cadre réglementaire, du bon accès au réseau et de l’acceptabilité locale.

McKinsey souligne aussi qu’en Europe, la montée en puissance du solaire et de l’éolien (y compris l’éolien en mer) provoque une hausse des prix négatifs. Cela veut dire qu’à certains moments, les producteurs paient pour écouler leur électricité excédentaire, ce qui illustre l’urgence de renforcer les capacités de stockage et d’adapter la tarification. Sans investissements concomitants dans les réseaux et les batteries, la crédibilité et rentabilité du secteur pourrait s’éroder.

En outre, ces technologies requièrent des efforts continus en R&D et une planification sur plus d’une décennie, qui deviennent difficilement soutenables si les règles changent tous les cinq ans.

Au-delà des frontières françaises, des risques pour la confiance des marchés

Au-delà des enjeux économiques, la politique énergétique relève aussi de la souveraineté. En juillet 2025, le ministre de l’industrie et de l’énergie Marc Ferracci mettait en garde : un moratoire mettrait non seulement des milliers d’emplois en danger, mais aggraverait la dépendance aux énergies fossiles importées. Celles-ci représentent encore environ 60 % des besoins énergétiques de la France et pèsent près de 70 milliards d’euros sur la balance commerciale.

Pendant que la France hésitait, d’autres États européens, eux, ont accéléré. Comme indiqué plus haut, en 2023, la production d’électricité renouvelable a dépassé les 45 % au sein de l’UE. Parmi les États membres, le Danemark fait figure de pionnier : en 2023–2024, plus de 88 % de son électricité provenait des énergies renouvelables, principalement de l’éolien terrestre, en mer et de la biomasse.

L’Union européenne fonde sa stratégie de transition sur la crédibilité de ses engagements. Le Green Deal fixe la trajectoire de neutralité carbone à 2050, et le programme REPowerEU de la Commission européenne entend accélérer l’indépendance énergétique en développant le renouvelable et l’efficacité. Comme le rappelle l’Agence européenne pour l’environnement elle-même :

« les investissements dans l’électricité renouvelable sont par nature de long terme et nécessitent un engagement soutenu en matière de planification, d’autorisations et de raccordement aux réseaux. »

Les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables devraient continuer à croître de manière significative au cours des prochaines décennies, à condition que la stabilité réglementaire et l’adhésion de la société soient garanties. En l’absence de visibilité et de politiques cohérentes, les investisseurs orienteront leurs financements vers des pays offrant un cadre plus fiable et des perspectives à long terme plus clairement établies.

Autrement dit, les renouvelables ne sont pas seulement un atout pour le climat. Elles sont aussi un levier de compétitivité et un moyen de sécuriser l’approvisionnement face aux tensions géopolitiques. L’adoption de l’article 5 de la Programmation pluriannuelle de l’énergie, qui fixe les objectifs de la France en matière de planification énergétique (PPE), qui fixe un cap de 58 % d’énergie décarbonée d’ici 2030, est un signal encourageant.

Mais reste à reconstruire la crédibilité. Les changements de cap trop fréquents – comme ce moratoire avorté – sapent la confiance des investisseurs et freinent la structuration de filières industrielles compétitives. À l’inverse, des politiques claires, des réseaux modernisés et des mécanismes de soutien prévisibles peuvent permettre à la France de reprendre une place de premier plan.


Article de Maria Tselika, Assistant Professor of Finance, IÉSEG School of Management; Elias Demetriades, Professeur de finance, Audencia et Kyriaki Tselika, Assistant professeur, Norwegian School of Economics

Cet article, « Même avorté, le moratoire français sur les énergies renouvelables peut mettre en péril la transition verte » est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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