Développement durable : le levier du financement participatif pour les entrepreneurs
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L’engagement de l’Union européenne vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030 avec un objectif de neutralité carbone d’ici 2050 mobiliserait au moins 1000 milliards d’euros d’investissements durables privés et publics dans les dix prochaines années. Ceci se traduit également par un changement de position et d’attitude de la population face à la consommation durable. En France, 60 % des personnes interrogées ont déclaré que leurs critères d’achat prennent désormais en compte les pratiques durables des marques ainsi que leurs engagements sociétaux.
Certes, l’application des 17 Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies ne progresse pas comme prévu. Le dernier rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) alerte sur le retard et la quasi-impossibilité de les atteindre d’ici 2030. Malgré de bonnes prestations sur quelques indices climatiques, la France a de son côté accumulé du retard et doit à présent réviser de manière plus ambitieuse son plan de développement durable.
Le déficit de financement du développement durable afin de réaliser les ODD des Nations unies a encore augmenté de 35 % au cours de 2022 pour atteindre 135 000 milliards de dollars. À la hauteur de ce défi se trouve également l’identification de plusieurs opportunités pour créer de la valeur à travers l’entrepreneuriat. En effet, les recherches indiquent que les entrepreneurs « durables » ont le potentiel de résoudre les problèmes de développement durable auxquels le monde est confronté aujourd’hui.
Une alternative pour les projets jugés risqués
L’entrepreneuriat durable constitue une branche de l’entrepreneuriat qui cherche à rallier la création de valeur sociale, environnementale et économique tout en répondant aux besoins actuels. Par exemple, les entrepreneurs durables développent leurs activités dans la gestion des déchets, à la protection de la biodiversité et des écosystèmes naturels entre autres.
Or, ces entrepreneurs durables sont aujourd’hui confrontés à des difficultés supplémentaires lorsqu’ils recherchent des fonds par le biais des canaux de financement traditionnels, car ils doivent justifier de la viabilité de leur modèle économique qui vise non seulement des objectifs économiques mais aussi un cap sociétal et environnemental au-delà du profit. Les institutions de financement traditionnelles peuvent en outre refuser d’octroyer des prêts, car les règles bancaires peuvent ne pas correspondre aux exigences de production de l’entreprise durable, à la quantité de production ou aux installations disponibles dans l’usine.
Dans ce contexte, nous avons mené une recherche qui explore le rôle du financement participatif pour les entrepreneurs durables. Pour rappel, le « crowdfunding » (financement par la foule en français) permet aux entrepreneurs de financer leurs projets en collectant des contributions financières via des plates-formes en ligne (comme Ulule ou Lita.co). En France, il a connu une forte croissance de plus de 84 % en 2021 avec 1,8 milliard d’euros collectés et plus de 5 milliards depuis son émergence en 2015. Ceci pourrait être particulièrement utile pour les projets innovants de développement durable qui sont jugés trop risqués par les investisseurs traditionnels.
Notre recherche a permis de dégager plusieurs usages sur la façon dont ce mode de financement pourrait aider les entrepreneurs durables à réaliser leurs objectifs au-delà de la collecte de fonds. Tout d’abord, il permet également d’éviter les retards et les défis posés par les institutions de financement traditionnelles. En fonction du secteur et du type de crowdfunding choisi, l’objectif peut être atteint entre 3 heures et 72 jours.
Créer de l’engouement
En outre, les fonds collectés aident les entrepreneurs durables à éviter les risques personnels et financiers supplémentaires liés au remboursement, aux taux d’intérêt élevés ou à un défaut de paiement. D’autres types d’exigences telles que le contrôle de l’entreprise ou l’obtention d’une part du capital peuvent également être évitées en choisissant le bon type de crowdfunding.
La start-up NoFilter a par exemple réussi le pari via le financement participatif de son projet afin de s’engager auprès des agriculteurs français en transformant leurs écarts de tri en jus artisanaux et en les accompagnant dans leur conversion vers l’agriculture bio et la transition écologique plus globalement.
Le crowdfunding aide également les entrepreneurs durables à créer l’engouement en commercialisant et en communiquant librement sur leurs produits, services ou projets durables auprès d’un large spectre de parties prenantes. Il permet également d’attirer, de multiplier et de construire des relations à long terme avec des clients et de poursuivre les aspects traditionnels du marketing tels que la création d’une image de marque, le gain de visibilité, la promotion de produits, ou l’offre de remises par le biais de précommandes.
Par exemple, La marque en moins a su non seulement se financer mais aussi créer un mouvement autour de ses produits ménagers innovants avec une approche durable.
Le crowdfunding peut aussi servir aux entrepreneurs durables de tremplin pour d’autres projets : l’investissement dans des produits de substitution, la production et la vente d’autres produits dérivés durables ou l’injection de capitaux pour construire une plate-forme en ligne. De tels projets non définis peuvent souvent être considérés comme incertains et donc poser une ambiguïté dans l’esprit des investisseurs traditionnels qui visent à obtenir un retour sur investissement.
Choisir la bonne plate-forme
Contrairement aux moyens traditionnels de collecte de fonds, la plate-forme de crowdfunding offre aux entrepreneurs durables une occasion de tester leurs idées, produits, services ou projets. Elle permet de vérifier si la vision, les buts et les objectifs des entrepreneurs en matière de durabilité sont acceptés ou rejetés par leurs clients potentiels. Ainsi, le taux de réussite de la campagne de financement permet de tester l’appétit du segment de marché ciblé.
De plus, celle-ci peut générer une légitimité pour les entrepreneurs durables et servir de preuve de crédibilité et de source d’information sans manipulation ni discordance. Ainsi, son lancement constitue un argument de vente supplémentaire lorsqu’il s’agit de solliciter des fonds, des partenariats ou d’autres collaborations avec des tiers. Endro Cosmétiques, une start-up bretonne, a par exemple testé le marché et les arguments de vente avant de lancer son déodorant zéro déchet à travers une campagne de crowdfunding.
Cependant, outre les avantages que les entrepreneurs durables peuvent exploiter pour lever des fonds, ces derniers doivent cependant faire attention à choisir la bonne plate-forme parmi les quelque 180 en France et le bon type de crowdfunding. Ils doivent notamment se tourner vers celles ayant de solides antécédents en matière de développement durable. Ainsi, les plates-formes qui ont déjà rassemblé des communautés de personnes engagées pourront susciter davantage d’engouement et participer ainsi à la visibilité et la croissance de la start-up bien au-delà de la levée de fonds.
Ghassan Paul Yacoub, Professor of Innovation, Strategy, and Entrepreneurship, IÉSEG School of Management; Paulami Mitra, Assistant Professor in Management; Academic Director, IÉSEG School of Management et Tiago Ratinho, Associate Professor in Entrepreneurship, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Septembre 2024: Veuillez noter que Ghassan Paul Yacoub ne travaille plus à l’IÉSEG. Cet article a été publié lorsque ce professeur était à l’IESEG.