Décrypter les pratiques durables des consommateurs en matière d’énergie – interview

Date

30/06/2025

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Le comportement des consommateurs jouera un rôle fondamental dans la transition vers un avenir énergétique plus durable et plus propre. Selon certaines estimations, jusqu’à 70 % des résultats de la transition énergétique dépendraient du changement de comportement des individus. Alors que le terme « efficacité énergétique » fait référence à une meilleure consommation de l’énergie, la « sobriété énergétique » désigne le fait de consommer moins d’énergie dans nos activités quotidiennes. Qu’est-ce qui pousse les consommateurs à adopter ces deux types de comportements durables ? Et faut-il se méfier d’un éventuel « effet rebond », c’est-à-dire le fait qu’avec une augmentation de l’efficacité des consommateurs puissent involontairement commencer à consommer davantage ? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles *Mélodie LACHAUD a cherché à répondre dans le cadre de son mémoire de Master, qui a récemment remporté le prix ICOR. *Mélodie et son directeur de mémoire, le professeur **Uyanga TURMUNKH, reviennent sur les conclusions de cette recherche.

Pourquoi avez-vous choisi d’étudier ce sujet ?

Uyanga TURMUNKH & Mélodie LACHAUD

Mélodie LACHAUD : J’ai toujours été passionnée par les questions environnementales, il m’a donc semblé naturel de consacrer mon mémoire de master à un sujet qui correspond à mes valeurs et à mes objectifs professionnels. En France, des programmes tels que MaPrimeRénov’ ont mis l’efficacité énergétique dans les logements sous les feux de la rampe. Cependant, si les incitations financières font l’objet de nombreux débats, leur interaction avec d’autres motivations a été peu explorée.

Nous partons souvent du principe que les comportements pro-environnementaux découlent de convictions personnelles fortes ou de valeurs morales, mais pour beaucoup, il s’agit simplement d’économiser de l’argent. Je voulais également approfondir la question de ce que nous entendons réellement par « comportements environnementaux ». C’est pourquoi j’ai clairement distingué dans mon travail l’efficacité énergétique (mieux consommer) et la sobriété énergétique (consommer moins), deux concepts souvent confondus mais qui méritent d’être compris séparément.

Uyanga TURMUNKH : En effet, il est important de différencier la volonté d’adopter l’efficacité énergétique de la volonté d’adopter la sobriété énergétique, car si ces deux comportements conduisent au même résultat souhaitable du point de vue environnemental, les motivations qui les sous-tendent peuvent être très différentes.

Le mémoire de Mélodie va toutefois plus loin que l’étude des facteurs de motivation potentiellement différents qui sous-tendent ces deux types de comportements. Elle utilise une conception expérimentale astucieuse pour étudier leur interaction, c’est-à-dire si l’adoption de l’efficacité énergétique peut contribuer à réduire l’incitation à la sobriété… (ce que l’on appelle « l’effet boomerang »).

Quelles sont les principales conclusions de vos travaux, notamment des questionnaires que vous avez envoyés à plus de 250 consommateurs français ?

Mélodie LACHAUD : Mon étude a montré que lorsque les consommateurs ne disposent pas d’informations financières claires, ce qui correspond à la situation actuelle, ils ont tendance à sous-estimer les avantages d’un logement économe en énergie. Cependant, lorsqu’on leur présente des données concrètes, telles que les économies mensuelles potentielles, leur volonté d’investir dans l’efficacité énergétique augmente considérablement.

Il est intéressant de noter que mon étude a également mis en évidence un effet rebond : si les logements économes en énergie permettent de réduire les factures d’électricité, cela peut diminuer la motivation à adopter des comportements économes en énergie, tels que la réduction volontaire de la consommation, car l’incitation financière devient moins pressante.

Enfin, les caractéristiques ‘personnelles’ ont leur importance, mais elles n’influencent pas l’efficacité et la sobriété énergétiques de la même manière. Par exemple, les personnes âgées et celles qui se soucient davantage du changement climatique sont plus susceptibles de réduire volontairement leur consommation d’énergie. Cependant, ces facteurs n’ont pas d’effet significatif sur les décisions liées à l’efficacité énergétique. En revanche, un niveau d’éducation plus élevé est uniquement associé à une plus grande volonté d’investir dans des logements écoénergétiques.

Quels sont les principaux enseignements à tirer pour les décideurs politiques et les consommateurs ?

Mélodie LACHAUD : Pour les décideurs politiques, le message est clair : les programmes d’efficacité énergétique dans le logement peuvent être beaucoup plus efficaces lorsqu’ils s’accompagnent d’une meilleure communication. Des améliorations simples, comme rendre les étiquettes énergétiques plus informatives en indiquant clairement les économies potentielles, peuvent faire une grande différence dans la manière dont les consommateurs prennent leurs décisions. Des incitations financières telles que des subventions et des aides existent déjà, mais elles auront un impact plus important si les gens comprennent mieux les avantages des choix écoénergétiques.

Ces enseignements pourraient également être appliqués au-delà du logement, par exemple sur le marché des appareils électroménagers. Un autre enseignement clé est l’effet rebond. Si l’amélioration de l’efficacité énergétique des logements réduit les factures, elle peut aussi, involontairement, diminuer la motivation des gens à réduire leur consommation d’énergie. Nous risquons donc de surestimer l’ampleur (le niveau) de la baisse réelle des émissions. Les décideurs politiques doivent en tenir compte dans leurs prévisions et concevoir des outils complémentaires, tels que des taxes ciblées ou des campagnes de sensibilisation, afin d’éviter de neutraliser les gains liés à l’efficacité énergétique.

Pour les consommateurs, l’étude souligne l’importance de ne pas se limiter aux économies financières immédiates. Le véritable impact environnemental ne réside pas seulement dans le choix d’options efficaces, mais aussi dans l’adoption d’habitudes qui réduisent la consommation globale.

Uyanga TURMUNKH : Les conclusions soulignées par Mélodie sont très intéressantes et immédiatement applicables. Par exemple, le système européen d’étiquetage énergétique des logements et des gros appareils électroménagers utilise un système de notes allant de A à E. Si les consommateurs savent de manière abstraite qu’un produit de classe A permet d’économiser plus d’énergie (et d’argent) à long terme qu’un produit de classe B, il leur est difficile de comparer la différence entre les classes énergétiques et la différence entre le coût initial des produits (en euros).

Le mémoire de Mélodie a montré que le simple fait d’ajouter l’équivalent monétaire des économies d’énergie en termes de montant annuel en euros peut faire une différence notable dans la volonté des gens d’acheter le produit de classe A. Deuxièmement, les décideurs politiques et les gestionnaires devraient tenir compte de l’effet boomerang lorsqu’ils prévoient les niveaux d’économies d’énergie et financières qui peuvent résulter de l’amélioration des technologies à haut rendement énergétique. Comme l’indique également Mélodie, même si les technologies à haute efficacité énergétique contribuent à atténuer les motivations financières, d’autres motivations (par exemple, la préservation de l’environnement) peuvent être invoquées pour éviter l’effet boomerang.

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*Mélodie LACHAUD est aujourd’hui diplômée de l’IÉSEG.

**Uyanga TURMUNKH est professeur d’économie à l’IÉSEG et membre du Centre de recherche sur le risque et l’incertitude (iRisk).


Catégorie(s)

Économie & FinanceRSE, Durabilité & Diversité


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