Décryptage : le remboursement de dettes en rouble, la contre-attaque économique (gagnante ?) de la Russie
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La riposte russe aux sanctions occidentales a pris le lundi 7 mars une forme assez originale : établir une liste de pays « hostiles » à la Russie et autoriser les particuliers et les entreprises russes à leur rembourser leurs dettes en roubles. Et ce même si le crédit était contracté dans une autre devise.
Sur cette liste, on retrouve les pays de l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, mais également le Canada, la Suisse, Monaco ou la Corée.
La décision du Kremlin semble en fait assez astucieuse et vise à s’adjuger indirectement le soutien des banques étrangères.
Double peine ?
La plupart des sanctions économiques prises contre la Russie ont pour but de générer un isolement financier de cette dernière. La logique est assez simple, comme le dit l’adage : l’argent est le nerf de la guerre. Sans argent, il semble extrêmement compliqué pour la Russie de pouvoir continuer son action de manière soutenue.
Et cette stratégie de mise à mal de l’économie russe fonctionne en partie. Au 24 février, jour de l’invasion, la parité euro/rouble était de 95 (c’est-à-dire que 1 euro équivalait à 95 roubles). Ce lundi 7 mars, celle-ci était montée à 148,38. Cela veut dire qu’un Russe qui souhaitait acheter un bien à 300 euros en France devait débourser 28 423 roubles le 24 février, et 44 366 roubles le 7 mars.
Le potentiel d’achat des Russes à l’international se trouve donc largement réduit. Quand on sait que ces derniers importaient pour près de 240 milliards de dollars en 2020 (environ 197 milliards d’euros), l’addition augmente donc très fortement.
On pourrait penser, symétriquement, que cette dévalorisation du rouble réduise les coûts d’exportation de la Russie vers les pays étrangers, favorisant les producteurs russes à l’international. Cependant, pour contrer ce potentiel effet positif, la plupart des pays européens ont décidé de boycotter les exportations russes. Ils refusent par exemple la délivrance des licences d’exportation de certains biens. De ce fait, la peine est double : les importations diminuent et les exportations sont bloquées.
Quelles sont les solutions traditionnelles à cette dépréciation de la monnaie pour la Russie ? Le régime de change du rouble par rapport aux autres devises est un régime dit flottant, c’est-à-dire qu’il est fixé par les lois de l’offre et de la demande sur le marché. Pour renforcer le rouble, il faudrait donc qu’il devienne plus demandé, et donc augmenter le nombre de transactions financières internationales en rouble… ce qu’empêchent délibérément les sanctions prises aujourd’hui.
Quelle carte restait-il alors dans les mains du Kremlin ? La réponse donnée est pour le moins imaginative et intelligente : autoriser le paiement des crédits russes à l’étranger en rouble.
Les banques internationales dans l’impasse
Au-delà des acteurs du commerce international, les personnes possédant des crédits auprès d’établissements étrangers se trouvent directement concernées par les sanctions internationales. Supposons que vous êtes russe et que vous avez emprunté 100 000 euros à une banque française dont vous remboursez tous les mois 500 euros. Au 24 février, cela représentait 47 530 roubles, alors que la même somme représente 74 190 roubles au 7 mars. Le crédit devient de plus en plus compliqué à rembourser.
Il y a donc un risque d’une hausse massive des défauts de paiement, engendrant des difficultés pour les banques étrangères. Et c’est précisément le levier sur lequel Moscou entend jouer. En autorisant les débiteurs russes à payer leur crédit détenu à l’étranger, non plus dans la devise locale, mais en rouble, les autorités russes délèguent le maintien et la gestion de leur monnaie non plus à leur banque centrale, mais aux banques étrangères.
Reprenons notre exemple d’un autre point de vue : vous êtes une banque française, vous détenez dans vos actifs 100 000 euros de dettes émises par des clients russes, avec un remboursement mensuel de 500 euros. Comme démontré précédemment, la valeur de remboursement de cet emprunt entre le 24 février et le 7 mars ne représente pas le même montant en rouble, respectivement 47 530 roubles et 74 190 roubles.
En soi, cela peut ne pas sembler problématique pour la banque française puisque dans les deux cas, elle récupère bien l’équivalent en valeur de 500 euros. Cependant, le problème provient non pas de la valeur, mais de la devise. Une fois en possession de ce montant, la banque a deux possibilités. Elle peut décider de garder cet argent en rouble, mais avec le risque important en ce moment qu’il se dévalue encore, et donc que les remboursements ne valent bientôt plus 500 euros. Elle peut sinon décider d’aller sur les marchés financiers pour échanger ces roubles contre des euros.
Mais si tout le monde tente de convertir ses roubles d’un coup, cela entraînera une chute encore plus brutale de la valeur de cette devise et donc une dévaluation directe de la valeur du remboursement. Dans les deux cas, la banque française risque une perte importante de valeur sur ses remboursements.
La banque française a donc tout intérêt à s’assurer que la parité rouble/euro ne perde pas plus de valeur qu’elle ne l’a déjà fait actuellement. Ainsi en prenant cette décision, la Russie a fait en sorte que les banques internationales cherchent à soutenir indirectement l’économie russe, dans le but d’éviter de voir leur crédit dévalorisé.
Certains pourraient arguer qu’une autre possibilité pour ces banques étrangères serait de simplement refuser le paiement en rouble. Reste que cela est extrêmement compliqué d’un point de vue légal car se pose alors la question de savoir quelle est l’autorité compétente pouvant juger cette affaire et si l’autre partie prenante au contrat reconnaîtra la décision juridique émise, ce qui n’est pas acquis. D’un point de vue économique, cela veut aussi dire augmenter la probabilité de ne jamais être remboursé en cas d’intensification du conflit…
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.