Des choux et des carottes, ou la difficulté de comparer le reporting de durabilité

De plus en plus d’entreprises (plus de 80 %) publient des informations sur leurs performances en matière de durabilité et leurs efforts à l’échelle environnementale, sociale et économique. Pour autant, des recherches récentes montrent que ces rapports ou déclarations ne dressent pas toujours un tableau complet.

Date

25/03/2024

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À partir d’un entretien avec Lies BOUTEN au sujet de son article « Disentangling the concept of comparability in sustainability reporting » (Sustainability Accounting, Management and Policy Journal, 2023), co-écrit avec Blerita Korca (université de Bamberg) et Ericka Costa (université de Trente).

La professeur Lies BOUTEN et ses collègues ont étudié la « comparabilité » du reporting socio-environnemental. En d’autres termes, elles ont cherché à savoir si les données qui sont incluses dans les rapports de durabilité peuvent être mises en parallèle avec celles de la concurrence, des indicateurs externes ou des performances passées. En matière de suivi financier, les investisseurs doivent absolument pouvoir comparer les données pour prendre des décisions éclairées. La comparaison de reporting de durabilité est elle-pertinente, et même possible ?

« On ne gère bien que ce que l’on mesure »

L’UE a introduit la Directive Européenne sur le reporting extra financier en 2014, exigeant de certaines grandes entreprises qu’elles publient des informations en matière de RSE. Cependant, la directive n’instaure aucune norme pour ce faire. Une consultation publique a indiqué que l’absence de points de comparaison est problématique pour la plupart des utilisateurs de ces déclarations, notamment les investisseurs et autres acteurs financiers.

À compter de l’exercice 2024, la plupart des entreprises de l’Union européenne devront publier des informations selon les nouvelles normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) visant à harmoniser le reporting RSE et à faciliter les parallèles.

En effet, nombreux sont ceux qui accordent de l’importance au concept de comparabilité des divulgations. Malgré tout, selon les auteures, les données sont souvent difficiles à comparer dans le contexte du développement durable.

« Prenons l’exemple de deux entreprises qui consomment la même quantité d’eau, les conséquences sont plus graves dans une région où l’eau est rare que dans une région sans stress hydrique », explique L. BOUTEN.

Les chercheuses ont approfondi la notion de comparabilité dans le contexte du développement durable. Elles ont ainsi identifié trois principaux concepts pour guider le reporting RSE : la matérialité, le benchmarking et l’opérationnalité.

La matérialité

Si les investisseurs, les ONG, les municipalités et les communautés locales utilisent tous des rapports de durabilité, ils ne se concentrent pas sur les mêmes sujets. Les investisseurs s’intéressent avant tout aux informations d’ordre financier, qui les aident à prendre des décisions, contrairement aux acteurs non financiers, pour qui le plus important est la responsabilité de l’entreprise, par exemple au moyen de données sur le travail des enfants le long de la chaîne logistique.

Les acteurs non financiers ont généralement moins de pouvoir et d’influence. Si le reporting met l’accent sur les informations destinées aux investisseurs, les questions sociétales pourront être négligées. Les entreprises doivent donc choisir quelles informations publier en tenant compte des objectifs et des priorités de toutes les parties prenantes.

Les auteures ont également souligné que si une liste de sujets prédéfinis peut faciliter les parallèles. Il faut également prendre en compte le besoin de chaque entreprise d’adapter la déclaration à son environnement naturel et à la population locale, en ajoutant des thématiques pertinentes supplémentaires.

Le benchmarking

La comparaison des performances d’une entreprise par rapport aux autres peut permettre de contextualiser ses efforts en matière de développement durable. Mais n’oublions pas que, pour que la situation lui soit favorable, l’entreprise ne dévoile parfois que ses points forts.

Les banques interrogées par les auteures se sont montrées réticentes à l’idée de publier leur benchmark par rapport aux autres. La comparaison n’a été utilisée que dans les catégories pour lesquelles elles se sont classées premières.

Pour L. BOUTEN, « on note que, dans la plupart des entreprises, la comparabilité est liée à la désirabilité sociale ».

Par contre, les auteures ont observé que le mesure/comparaison des performances à long terme au sein d’une entreprise peut favoriser la responsabilisation. Ces informations sont indispensables pour que les entreprises assument leurs performances, et aident à prendre du recul pour prioriser le long terme sur le court terme, un point de vue important pour réduire les incidences environnementales dans la société.

L’opérationnalité

Si les deux banques ont utilisé les mêmes normes et de nombreux indicateurs communs, la comparaison n’en restait pas moins difficile, car les méthodes et les valeurs de référence pour le calcul de certaines quantités ont été différentes, et les échelles imposées par les organismes de normalisation pas toujours utilisées.

Enfin, les auteures ont constaté que les entreprises avaient souvent recours à des expressions passe-partout, vagues et génériques. Par exemple, la plupart d’entre elles évoquent un programme d’amélioration des compétences du personnel, sans préciser le type de formation proposée ni les résultats obtenus.

Trouver le juste équilibre entre la matérialité et comparabilité

Cette étude montre que les entreprises ont parfois recours à des normes et critères d’évaluation différents et font parfois le choix de se montrer sous leur meilleur jour.

Par ailleurs, le contexte (où et comment les entreprises travaillent-t-elles ?) est indispensable pour évaluer leurs performances en matière d’incidences environnementales.

La majorité des entreprises ont l’intention d’améliorer leur durabilité à long terme. Pour pouvoir définir leur responsabilité et des objectifs environnementaux globaux, nous devons réimaginer la comparabilité des données.

Applications

Leurs travaux ont ainsi identifié trois volets pour guider le reporting RSE : la matérialité, le benchmarking et l’opérationnalité. Grâce à ces volets, les rapports de durabilité peuvent devenir un outil de gestion à long terme encourageant des pratiques positives au sein des entreprises.

Ces résultats peuvent aider les décideurs politiques et de normalisation à formuler des recommandations. « Pour moi, l’un des points clés consiste à trouver le juste équilibre entre la matérialité et la comparabilité », explique L. BOUTEN. Les auteures proposent également d’établir une liste de sujets prédéfinis à inclure dans le reporting des entreprises pour faciliter les parallèles, sans oublier les besoins des autres parties prenantes, identifiables sous l’angle de la matérialité. L’équilibre entre la matérialité et la comparabilité est un gage de pertinence des informations, permettant à la fois des opportunités d’évaluation et de responsabilisation (accountability).

Méthodologie  

Lies BOUTEN et ses collègues ont analysé les normes existantes en matière de reporting RSE et ont étayé leurs conclusions grâce à des documents fournis sur le terrain et aux rapports de durabilité de deux banques italiennes sur une période de trois ans.


Catégorie(s)

Économie & FinanceRSE, Durabilité & Diversité


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