Comment lutter pour la diversité en entreprise à l’ère du trumpisme ?

Aux États-Unis, notamment, les politiques en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion sont contestées. Pour quelles raisons ? Quelles réactions pour les minorités et leurs « alliés » qui bénéficiaient de ces actions volontaires ?

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18/02/2025

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Les initiatives de « Diversité, équité et inclusion » (DEI) ont longtemps été présentées comme des leviers de transformation sociale et de performance organisationnelle. Pourtant, un mouvement de recul s’observe dans plusieurs grandes entreprises, notamment aux États-Unis, où la montée des discours antiwoke et les tensions culturelles redéfinissent les priorités stratégiques.

Ainsi, des entreprises comme Ford, Walmart, Meta, Amazon et McDonald’s ont réduit leurs engagements en matière de diversité, invoquant des pressions économiques, des critiques externes ou une réorientation de leurs priorités internes. Si la promotion de la diversité était auparavant perçue comme un impératif moral et économique, elle devient aujourd’hui un sujet de controverse, exposant les entreprises à des pressions inédites.

Un contexte de remise en cause des politiques DEI

Le recul des initiatives DEI reflète des tensions entre trois logiques : justice morale, justification économique et activisme du pouvoir. Ces approches, bien qu’ayant des objectifs communs, s’opposent parfois et alimentent le rejet des politiques d’inclusion.

La justice morale considère la diversité comme un impératif éthique et légal, mais elle est critiquée lorsqu’elle est perçue comme une contrainte. Le business case met en avant les bénéfices économiques, mais sa logique peut réduire la DEI à une simple question de rentabilité. L’activisme du pouvoir, enfin, impose des changements par des pressions externes, pouvant susciter des résistances.

Le rejet des politiques DEI résulte souvent de ces tensions, notamment lorsqu’elles sont amplifiées par des gouvernements, comme aux États-Unis, qui accusent l’approche « l’activisme du pouvoir » d’être idéologique. Cependant, comme l’affirme le philosophe Slavoj Žižek, toute action humaine est idéologique. Cet abandon renforce ainsi une norme conservatrice sous couvert d’objectivité, ce qui se répercute sur les organisations, qui doivent alors choisir entre s’aligner sur les pressions externes ou suivre le devoir moral de construire un environnement de travail plus éthique.

Des réponses des employés marginalisés

Face à cette impasse, des justifications économiques sont avancées : réduction des coûts, absence d’indicateurs clairs sur l’impact positif des politiques DEI. Ces arguments ne nécessitent pas toujours de preuves tangibles, car la DEI est devenu un « monstre difficile à dompter » tandis que les idéologies conservatrices paraissent faciles. Ce rejet s’appuie souvent sur des récits simplifiés opposant diversité et mérite, renforçant ainsi l’adhésion à un statu quo présenté comme naturel et neutre.

Le problème c’est que ce retrait progressif des politiques DEI impacte divers groupes de collaborateurs, tels que les femmes, les minorités ethniques, les personnes en situation de handicap et les LGBTQIA+. Dans leur ensemble, ces groupes peuvent représenter une part significative des employés des entreprises. Ce recul est donc préoccupant, car il risque de marginaliser encore davantage des groupes historiquement exclus.

Comment réagir ?

Dans ce contexte, des recherches antérieures, y compris certaines que j’ai menées, montrent que les employés peuvent réagir de différentes manières :

  • Poursuivre la lutte : certains collaborateurs continueront à défendre l’amélioration de l’environnement de travail pour les groupes marginalisés. Cette lutte constante ne disparaîtra pas avec le recul des politiques DEI. Outre les employés directement concernés, les « alliés » peuvent jouer un rôle clé, notamment lorsque des employés non marginalisés occupant des postes de pouvoir soutiennent activement leurs collègues en situation de vulnérabilité.
  • Se conformer et s’adapter : pour diverses raisons, de nombreux employés n’ont pas le luxe de s’opposer directement à leur organisation. Dans ces cas, ils tendent à accepter les changements sans exprimer de résistance et, parfois, adoptent les comportements) de la classe dominante pour mieux s’intégrer. Par exemple, des hommes homosexuels peuvent ajuster leurs expressions, leur style vestimentaire, ou même dissimuler leur orientation sexuelle pour éviter toute stigmatisation.
  • Quitter pour des entreprises plus inclusives : enfin, des employés mécontents de la dissolution des initiatives DEI peuvent choisir de quitter leur employeur actuel pour rejoindre une entreprise plus engagée en faveur de l’inclusion. Bien que compréhensible, cette approche risque d’accentuer davantage la polarisation de la société. Malgré les défis actuels, le milieu professionnel reste un espace de coexistence entre différents groupes, et la disparition progressive de cette diversité pourrait avoir des répercussions négatives à long terme.

Menace sur la compétitivité des entreprises

Sans politiques de diversité, les discriminations reviennent et les opportunités se raréfient. La perte de protections et de programmes de soutien renforce un sentiment d’isolement et d’injustice parmi les minorités. Cependant, ce phénomène ne se limite pas aux employés marginalisés : il influence l’ensemble des dynamiques de travail et la cohésion interne des entreprises. Par ailleurs, la diversité étant un facteur clé d’innovation et d’attractivité pour les talents, la suppression des initiatives DEI risque d’affaiblir la compétitivité des entreprises concernées.

Les consommateurs, mais aussi les investisseurs, de plus en plus attentifs aux engagements sociétaux, pourraient se détourner des entreprises jugées régressives. Cette spirale négative serait terrible pour les entreprises, les collaborateurs et la société dans son ensemble. En même temps, elle est évitable.

Repenser la diversité en entreprise

Dans une société polarisée où l’idéologie prédomine, il est essentiel de se tourner vers l’intérieur des organisations et de trouver des moyens de mettre en avant les questions morales ainsi que les résultats potentiels des actions DEI. Donc, le principal défi est de rallier un soutien interne, notamment de la part de ceux qui ne sont pas toujours convaincus par les faits. Si les indicateurs et études suffisaient, nous ne verrions pas ce recul dans certaines entreprises aux États-Unis. Il devient alors essentiel de dissocier la DEI d’une forte connotation idéologique.

Une approche efficace pour contourner cette situation consiste à renforcer une dynamique bottom-up : les entreprises peuvent s’appuyer sur leurs employés qui « poursuivent la lutte ». Ces individus sont prêts à aider leurs organisations à identifier les problèmes spécifiques à leur environnement de travail. Des formations trop générales et des indicateurs déconnectés de la réalité des équipes n’ont pas l’impact nécessaire pour convaincre efficacement.

Par ailleurs, s’inspirer des mouvements environnementaux permettrait d’illustrer concrètement les effets positifs des politiques DEI sur le bien-être des employés et la performance organisationnelle. Ces mouvements ont su mobiliser l’opinion en mettant en avant les conséquences immédiates (et mêmes visuelles) des pratiques polluantes sur les communautés locales. Appliquer cette logique aux initiatives DEI permettrait de montrer comment un environnement de travail inclusif profite à tous. L’impact émotionnel des témoignages contextualisés peut s’avérer bien plus efficace pour susciter une prise de conscience et un changement d’attitude. Ainsi, le débat se détache de considérations idéologiques pour se recentrer sur l’objectif principal : créer un environnement professionnel plus inclusif, bénéfique pour tous et profitable aux entreprises.


Lucas Amaral, Associate Professor, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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Management & SociétéRSE, Durabilité & Diversité


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