3 questions à Joanna SERAPHIM : Comment bien penser et concevoir le design thinking…

Date

08/10/2024

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Le design thinking est une méthode de gestion de l’innovation et de la créativité élaborée aux États-Unis dans les années 1980. Depuis, de nombreuses entreprises/organizations dans des secteurs aussi variés que la santé, l’éducation ou la finance, ont fait appel à cette méthode – qui est parfois louée, parfois critiquée – pour innover ou améliorer l’expérience utilisateur. Nous avons demandé à Joanna SERAPHIM, professor of practice et facilitatrice en design thinking de revenir sur les points clés du processus et les pièges à éviter pour mener à bien le design thinking en entreprise..

Pouvez-vous expliquer brièvement les principes clés du « design thinking » ?

Le design thinking est une approche structurée qui permet d’innover et de résoudre des problèmes. Le design thinking cherche à comprendre les problèmes des utilisateurs, en écoutant et en faisant participer au processus les parties prenantes. Basés sur les interviews et les observations faites auprès des utilisateurs, les praticiens du design thinking vont chercher à définir le problème à aborder. Durant l’étape de génération d’idées, il est vivement recommandé de produire le plus grand nombre d’idées. Les idées folles et risquées sont les bienvenues.

Par ailleurs, le processus fournit plusieurs moments où il est possible d’expérimenter diverses solutions potentielles de manière sécurisée. De cette manière, nous apprenons de nos échecs. Par exemple, après avoir créé une solution, les praticiens vont élaborer leurs prototypes et les faire tester par des utilisateurs potentiels. Grâce aux retours des testeurs, les prototypes seront retravaillés jusqu’à ce que les testeurs soient satisfaits.

Le Design thinking est utilisé par beaucoup d’entreprises de tailles et secteurs différents. Quels types de problématiques ou de défis peuvent être typiquement abordés grâce au design thinking ?

Le design thinking doit être utilisé pour des problèmes complexes. Dans le domaine commercial, les types de problématiques qui peuvent être typiquement abordés grâce au design thinking sont la création ou l’amélioration d’un nouveau produit ou service, la définition d’un nouveau marché ou d’une nouvelle stratégie. Dans le domaine du marketing, la question récurrente est de devenir attractif pour un certain segment de la population. Le design thinking peut être également utilisé pour continuer à travailler de manière éthique. Par exemple, comment peut-on continuer à produire et à vendre nos produits et service tout en réduisant notre empreinte carbone ? Comment pouvons-nous vendre des cosmétiques tout en promouvant une image positive de toutes les morphologies des femmes ?

Le design thinking sert également à améliorer des processus. De nombreuses administrations à travers le monde emploient le design thinking pour améliorer leur site internet et intranet, pour rendre plus simple des processus ou de soumissions de documents. Par exemple, la DITP (Direction interministérielle de la transformation publique) avec le laboratoire d’innovation territoriale d’Occitanie ont travaillé ensemble pour optimiser l’accueil des usagers étrangers en préfecture. Le but était de simplifier les démarches en préfecture pour éviter l’engorgement physique et numérique des services.

Dans cette démarche, l’équipe a expérimenté ce que les usagers et les employés vivaient pour comprendre le quotidien dans une préfecture. Ils ont prototypé de nouveaux parcours et testé de nouvelles brochures et des codes QR s’adaptant à la langue du téléphone. De plus, le design thinking peut aider à renforcer les liens entre les membres des équipes et améliorer la façon dont chacun travaille ensemble.

Beaucoup d’équipes ont eu recours à ce processus après les confinements du covid pour réapprendre à travailler ensemble, malgré les nouveaux outils informatiques et le télétravail. En résumé, le design thinking permet de résoudre des problèmes, de créer des nouveaux produits, services, expériences, business modèles et processus.

 Le Design thinking a néanmoins été critiqué par certains – pourquoi et que conseillez-vous aux entreprises de faire pour s’assurer que l’investissement de ressources dans un tel projet porte ses fruits ?

Le design thinking a été effectivement critiqué. Basée sur mes propres expériences, j’estime que ce qui peut poser problème, c’est la façon dont certains pratiquent cette méthode. Des compagnies souhaitent gagner du temps et essaient de ne faire aucun entretien avec les parties prenantes, ni faire tester les prototypes avec les utilisateurs.

Elles se justifient en affirmant que le “manager sait déjà tout, ce n’est pas la peine de déranger les utilisateurs”. Cependant, cette étape est cruciale et il est contre-productif de la négliger. A l’origine, Airbnb n’était pas l’empire prospère que l’on connaît. Quand au cours des premiers mois, Airbnb ne décollait pas, ses fondateurs sont allés interviewer des utilisateurs potentiels et se sont rendu compte que les testeurs ne faisaient pas confiance aux annonces qui ne montraient pas les photos de chaque pièce de la maison à louer. Par ailleurs, les photos étaient de mauvaise qualité. En améliorant la présentation des habitats, leur société est devenue une plateforme de location incontournable.  

L’autre obstacle est l’implémentation de la solution. Après avoir défini la solution parfaitement adaptée pour résoudre le problème des parties prenantes, suite à des jours de travail avec ces dernières, l’équipe est confrontée à un refus du management. Certains managers vont refuser de mettre en place la solution, car ils ne veulent prendre aucun risque. Ils craignent l’échec et le changement de statut quo.

 Lors d’une de mes interventions, une administration nous avait demandé d’améliorer leur intranet. Leur intranet ressemblait au Far Ouest, il n’y avait aucune règle pour nommer et ranger les documents, ou pour publier des articles. Tout document était introuvable et la communication était chaotique. Après des semaines de travail, les employés étaient impatients de mettre en place la solution et d’avoir enfin un outil qui fonctionne. Finalement, le manager a refusé car la mise en pratique “coûterait de l’argent et du temps, et les choses risquaient de changer”.

Toute solution sous-entend un changement, des dépenses d’argent et de temps. Pour que l’implémentation se fasse en douceur, il faut mettre en place un projet pilote ou la solution est mise en place à petite échelle pour pouvoir s’adapter aux changements. Les organisations peuvent être accompagnées dans leurs changements. Si elles souhaitent gérer les changement seules, elles peuvent nommer des personnes en tant que responsable de la mise en place de la solution.

Pour pouvoir générer des idées créatives, il faut également que les participants se sentent à l’aise et fassent confiance en les membres de leur équipe. Ils ne doivent pas craindre de se faire juger. Surtout, ils doivent avoir un espace sécurisé où ils peuvent expérimenter, échouer et apprendre de leurs échecs sans avoir des répercussions. Ils doivent bénéficier de sécurité psychologique.

En résumé, pour que le design thinking soit efficace, il faut impliquer les parties prenantes à travers des interviews et les tests des prototypes. Il faut également mettre en place un plan d’implémentation. Sans oublier, que les participants doivent avoir un espace sécurisé où ils peuvent exprimer leurs idées et essayer les différentes solutions. Attention, quand vous aurez essayé le design thinking, vous allez devenir dépendant car vous aurez l’impression de pouvoir attaquer n’importe quel défi et vous pourrez changer le monde !


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Entrepreneuriat & InnovationManagement & Société


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