L’affaire Bartz contre Anthropic(2) : quelle suite pour les droits d’auteur ?

Date

28/10/2025

Temps de lecture

5 min

Partage

L’affaire « Bartz vs Anthropic » oppose trois auteurs — Andrea Bartz, Charles Graeber et Kirk Wallace Johnson — à l’un des géants de l’IA, Anthropic. Les auteurs avaient porté plainte contre Anthropic, l’accusant d’avoir utilisé leurs ouvrages pour entraîner son modèle de langage Claude. Suite à un premier jugement cet été, le professeur Maximiliamo Marzetti a publié un article sur The Conversation France, “Les droits d’auteur en danger ? “Ce que l’affaire « Bartz contre Anthropic » risque de changer aux États-Unis… et ailleurs”.  Quelques mois plus tard, il revient sur la suite de cette affaire juridique…

L’affaire « Bartz contre Anthropic »

« La décision rendue en juin 2025 par le juge fédéral américain William Alsup dans l’affaire « Bartz contre Anthropic » a conclu que la conversion en format numérique à usage interne de livres imprimés qui ont été achetés légalement, dans le but d’entraîner le système d’intelligence artificielle d’Anthropic, relevait d’un usage légitime (« fair use ») et ne constituait donc pas une violation du droit d’auteur.

Pour ces livres, aucune compensation supplémentaire ne devra être versée aux auteurs. Cependant, le juge a également déclaré que le téléchargement et le stockage par Anthropic de millions de livres obtenus sur des sites web pirates (bibliothèques fantômes) constituaient vraisemblablement une violation du droit d’auteur, mais que cette question dépassait le cadre d’une procédure rapide ou simplifiée (summary judgement) et devait être examinée ultérieurement, dans le cadre d’une autre procédure de justice.

La loi américaine sur le droit d’auteur prévoit différentes méthodes de calcul des dommages-intérêts dans les affaires de violation de droit d’auteur. L’une des options est appelée « statutory damages ». Cela signifie que la loi fixe une fourchette d’indemnisation que le juge ou le jury peut accorder pour chaque œuvre faisant l’objet d’une violation de droit d’auteur, sans que l’auteur ait à prouver le montant exact de sa perte financière. En cas de violation non intentionnelle, ce montant peut être fixé entre 750 et 30 000 dollars par œuvre. Si la violation est jugée intentionnelle (délibérée), le montant peut atteindre 150 000 dollars par œuvre.

 Fourchette d’indemnisation…

Dans le pire des cas pour Anthropic, si elle perdait le procès pour violation du droit d’auteur (ce qui semble probable…) et devait faire face aux dommages-intérêts les plus élevés (150 000 dollars par œuvre), le montant des dommages-intérêts qu’elle devrait payer s’élèverait à la somme considérable de 75 milliards de dollars (150 000 dollars x 500 000 œuvres). Bien entendu, dans un procès, les probabilités ont leur importance. Ainsi, selon certains commentateurs ayant effectué une simulation de Monte Carlo, les estimations les plus probables étaient inférieures, comprises entre 10 et 25 milliards de dollars avec une probabilité de 25,55 %, tandis que ChatGPT a calculé un montant plus élevé, avec une indemnisation moyenne prévue de 34,1 milliards de dollars.

Il était donc rationnel pour Anthropic de chercher à éviter une issue hautement défavorable et hautement probable, ainsi qu’une condamnation à des dommages-intérêts élevés dans le cadre du procès à venir. Lorsqu’elles sont confrontées à un problème juridique, les entreprises ont le choix entre se défendre (intenter un procès) ou fuir (conclure un accord). Pour un décideur rationnel, comme une entreprise, il s’agit d’une question de probabilités. Dans l’hypothèse, où Anthropic perdrait le procès à venir pour violation des droits d’auteur, les chances jouaient clairement en sa défaveur. Le risque d’une défaite juridique presque certaine, combiné à la possibilité de dommages-intérêts d’un montant considérable (allant de 10 à 75 milliards de dollars), rendait la perspective d’un procès tout simplement inenvisageable d’un point de vue stratégique.

Une étape juridique importante

Ainsi, début septembre, Anthropic a proposé une transaction judiciaire (settlement), consistant à payer 3 000 dollars pour chacun des 500 000 livres piratés et a également accepté de supprimer l’ensemble des fichiers contenant des œuvres contrefaites. Au total, ce règlement représente environ 1,5 milliard de dollars. Le 25 septembre, le juge Alsup a donné son accord préliminaire à la proposition de règlement à l’amiable. Bien que l’accord ne soit pas encore définitif, celui-ci a franchi une étape juridique importante.

Notons que, même si l’affaire a été initiée par trois auteurs, Andrea Bartz, Charles Graeber et Kirk Wallace Johnson, elle a été certifiée comme un recours collectif, ce qui signifie que ces plaignants représentent un groupe beaucoup plus large de personnes concernées, qui comprend les autres auteurs des 500 000 livres. Le recours collectif est une caractéristique particulière du système juridique américain. Il permet à un groupe de personnes ayant des revendications similaires d’intenter une action en justice collectivement. Ce mécanisme est considéré comme équitable et efficace, car individuellement, des particuliers peuvent ne pas avoir les motivations ou les ressources nécessaires pour défendre leurs droits. Les accords dans les recours collectifs doivent être approuvés par un juge afin de garantir qu’ils sont équitables, raisonnables et adéquats. Le tribunal examine les conditions, le processus de notification des membres du groupe et la manière dont l’indemnisation sera distribuée. S’il est approuvé, l’accord devient contraignant et empêche toute réclamation future sur le même sujet pour ceux qui ne se sont pas désengagés.

Malgré l’approbation préliminaire du juge Alsup, certaines questions restent à clarifier, telles que la répartition du montant de l’indemnisation entre les auteurs et les éditeurs, les litiges relatifs à la propriété et la question de savoir si les conditions de l’accord compensent de manière adéquate le préjudice causé. Les auteurs concernés seront bientôt informés et auront la possibilité de soumettre des réclamations ou des objections avant une audience finale sur l’équité qui se tiendra plus tard dans l’année.

Un effet domino?

À ce stade, certains auteurs se demandent si l’affaire « Bartz contre Anthropic » pourrait avoir un effet domino sur des affaires similaires en cours, conduisant à d’autres règlements à l’amiable ou même à la promotion de programmes de licences volontaires afin d’éviter de futurs litiges.

Quoi qu’il en soit, l’accord est une bonne nouvelle pour toutes les parties. Les auteurs et les éditeurs obtiennent l’indemnisation qu’ils demandaient pour l’utilisation de leurs œuvres dans le cadre de l’entraînement des systèmes d’IA, tandis que les entreprises d’IA acquièrent la sécurité juridique dont elles ont besoin pour continuer à attirer des investissements et à développer un marché en pleine croissance.

En résumé, Anthropic a accepté de verser 1,5 milliard de dollars aux auteurs pour l’utilisation non autorisée de leurs livres. Au début du mois de septembre 2025, l’entreprise a levé 13 milliards de dollars lors d’un tour de financement de série F, portant sa valorisation post-financement à 183 milliards de dollars américains. En fin de compte, les litiges sont également une question de chiffres… »


Photo credit : Istock


Catégorie(s)

Big Data & IADroit


Contributeur