Les trois conditions pour attirer les investissements directs étrangers

Le lien entre croissance économique, institutions politiques et indépendance judiciaire est complexe. Nécessaires, les deux dernières ne sont pas des conditions suffisantes au bien-être économique.

Date

06/12/2024

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En 2023, les investissements directs étrangers (IDE) ont connu une baisse de 2 %, atteignant 1 300 milliards de dollars dans le monde. Cette diminution est due à l’augmentation des tensions commerciales et géopolitiques, ainsi qu’à un ralentissement de l’économie mondiale, selon un rapport de l’ONU Commerce et Développement.

Ce contexte met en lumière l’importance des facteurs institutionnels et de la liberté économique dans l’attraction des investissements directs étrangers (IDE), comme le souligne un rapport du Centre pour la liberté et la prospérité du think tank Atlantic Council. Ce rapport démontre que la liberté économique, la solidité des institutions et l’état de droit sont des facteurs cruciaux pour attirer des investissements étrangers et favoriser la prospérité économique. Par exemple, des pays à l’instar de la Géorgie, ayant amélioré leurs cadres institutionnels et économiques, ont vu une augmentation significative des IDE allant de pair avec un renforcement du cadre institutionnel et juridique, illustrant le lien entre liberté et attractivité économique.

Liberté économique, politique et juridique

L’analyse s’appuie sur un index de liberté s’appuyant sur trois dimensions principales : économique, politique et juridique. Premièrement, la liberté économique inclut des indicateurs tels que l’efficacité réglementaire et les droits de propriété. En deuxième lieu, la liberté politique est mesurée par des éléments comme la transparence électorale et les droits politiques. Enfin, la liberté juridique couvre des aspects comme l’indépendance judiciaire et la lutte contre la corruption. Ces dimensions sont agrégées pour fournir un score global comparatif entre les nations.

Ainsi, les pays classés comme libres selon l’index de liberté obtiennent un IDE par habitant moyen de 2 200 dollars en 2022, suggérant une forte corrélation entre la liberté économique, la stabilité politique et les investissements étrangers. Pour référence, parmi les quarante-cinq pays classés comme “libres”, trente se trouvent en Europe. À l’inverse, les pays “majoritairement non libres” et “non libres” (qui sont en majorité des pays à faible niveau de développement) accusent un retard important en raison de l’instabilité politique, des droits de propriété faibles et de la corruption élevée.

Un environnement économique favorable

Pour éclairer ce résultat, il faut revenir sur les trois composantes de l’indice de liberté. Premièrement, le développement économique joue un rôle clé dans l’attraction des IDE. Dans le cadre de l’index de liberté, la liberté économique est mesurée par des indicateurs tels que l’efficacité réglementaire et les droits de propriété. L’efficacité réglementaire implique par exemple la simplification des procédures administratives.

Singapour obtient dans ce cadre un index de liberté économique très élevé, puisque les processus de création d’entreprise sont parmi les plus rapides au monde. Les droits de propriété eux aussi garantissent la sécurité des investissements en protégeant les actifs contre la confiscation arbitraire. Par exemple, la Nouvelle-Zélande assure une protection des droits de propriété, créant ainsi un environnement favorable aux investisseurs étrangers en réduisant les coûts de transaction et en minimisant les risques liés aux investissements.

La liberté politique est évaluée par des indicateurs comme la transparence électorale et les droits politiques, qui sont également positivement corrélés avec le niveau d’IDE. Une transparence électorale élevée assure des processus démocratiques clairs et justes, comme en Suède, où la stabilité politique est renforcée par des élections parfaitement libres et équitables. Les droits politiques, tels que la liberté d’expression et de participation, favorisent un environnement où les politiques économiques peuvent être débattues et améliorées. Au Danemark, ces droits permettent une large participation citoyenne, contribuant à un cadre politique prévisible et juste, crucial pour les investisseurs étrangers.

La cruciale lutte contre la corruption

Enfin, la liberté juridique comprend des aspects comme l’indépendance judiciaire et la lutte contre la corruption. L’indépendance judiciaire assure que les lois sont appliquées de manière équitable, sans influence extérieure ni corruption. La lutte contre la corruption garantit que les transactions économiques se déroulent dans un cadre transparent, comme au Danemark, souvent cité comme l’un des pays les moins corrompus au monde. Ces éléments renforcent la confiance des investisseurs étrangers en la justice et la gouvernance du pays.

À cet égard le décryptage de l’exemple géorgien est éclairant à plus d’un titre.

Ce pays situé entre l’Europe de l’Est et l’Asie de l’Ouest a connu une transformation économique et institutionnelle remarquable ces trente dernières années, allant de pair avec une forte augmentation des montants des IDE reçus. En effet, la Géorgie est passée de “plutôt non libre” en 1995 à “libre” en 2018, toujours selon l’index de liberté, même si, dernièrement, le pouvoir en place en Tbilissi semble avoir radicalement changé de camp en se rapprochant très clairement de Moscou. Au grand dam d’une large partie de sa population qui dénonce dans les rues la décision de suspendre la candidature d’adhésion à l’UE, la trajectoire qu’a suivi ce petit pays du Caucase entre 2003 et ces dernières années mérite d’être examinée

La révolution des roses entamée par le pays en 2003 a marqué le début d’une nouvelle ère politique et économique. En 2004, le pays a adopté une fiscalité avantageuse, avec un impôt sur le revenu de 20 % et de 15 % sur les bénéfices des entreprises. En 2005, la mise en place du « guichet unique » pour l’enregistrement des entreprises a simplifié les procédures administratives, facilitant ainsi la création d’entreprises. Des réformes foncières ont été implémentées à partir de la fin des années 2000, renforçant la protection des droits de propriété et simplifiant les transactions foncières, augmentant ainsi la confiance des investisseurs.

Protection des libertés civiles

La signature d’accords de libre-échange, commencée au milieu des années 2000, a élargi l’accès des entreprises géorgiennes aux marchés internationaux, favorisant l’importation et l’exportation. Une politique de tolérance zéro envers la corruption, également mise en place depuis le début des années 2000, a renforcé la transparence et la responsabilité dans le secteur public, consolidant davantage la crédibilité de la Géorgie.

En somme, depuis les années 2000, la Géorgie a réalisé des progrès substantiels dans la protection des libertés civiles, en particulier la liberté d’expression, des médias et de réunion. Cet engagement en faveur des libertés civiles a favorisé une société plus ouverte où les citoyens peuvent librement exprimer leurs opinions et participer au débat public. Le système juridique géorgien, transparent et efficace, a également joué un rôle essentiel dans la promotion de la liberté légale. Les mécanismes de résolution des litiges, intégrés dans le système juridique géorgien, ont assuré une résolution rapide et équitable des conflits juridiques, garantissant l’accès à la justice pour les individus et les entreprises. Cette transformation économique s’est accompagnée d’une augmentation notable des IDE par habitant, culminant à environ 550 USD en 2017, les investisseurs recherchant la stabilité et un climat favorable.

Des réformes modèles ?

Bien que les conflits régionaux, comme le conflit russo-géorgien de 2008, aient brièvement perturbé les flux d’IDE, l’engagement de la Géorgie en faveur de la liberté a contribué à attirer les IDE de manière plutôt constante. Toutefois, la crise du COVID-19 a eu un impact négatif significatif sur les investissements, qui n’ont pas encore retrouvé leurs niveaux antérieurs. De manière générale, l’évolution positive de l’indice de liberté corrélée à l’augmentation des IDE par habitant démontre l’impact bénéfique de ces réformes sur l’économie géorgienne, faisant de la Géorgie un possible modèle à suivre pour d’autres pays en quête de développement économique.

La Géorgie présente donc un exemple concret du lien entre les libertés économiques, politiques, et juridiques, et les investissements directs étrangers, cependant son intérêt ne s’arrête pas là. En effet, depuis quelques années, la Géorgie se retrouve tiraillée entre sa demande d’adhésion à l’Europe et ses relations avec la Russie, entraînant une instabilité importante au niveau du pays.

Si cette instabilité peut remettre en question le niveau actuel des libertés en Géorgie, il représente également un cadre de recherche parfait pour voir comment les IDE vont réagir face à cette chute. En effet, si l’économie du pays voit pour le moment ses flux de capitaux étrangers augmenter, on peut se poser la question de savoir si cette augmentation va se pérenniser et se transformer en investissements de long terme.


Jérémie Bertrand, Professeur de finance, IESEG School of Management et LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management, et Caroline Perrin, Postdoctorante, Utrecht University

Cet article, « Les trois conditions pour attirer les investissements directs étrangers », est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Catégorie(s)

Économie & Finance


Contributeur

Jeremie BERTRAND

Jérémie BERTRAND

Finance / Banque

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