Management intergénérationnel : défis et opportunités. Interview avec Elodie Gentina et Jérémy Lamri

Dans un contexte professionnel où plusieurs générations – baby-boomers, génération X, Y, et Z – se côtoient, le management intergénérationnel se présente comme un défi mais aussi une formidable opportunité pour les entreprises. Si chaque génération apporte sa propre vision et ses compétences, elle peut amener également des stéréotypes qui risquent de freiner la collaboration. Dans leur ouvrage Le défi du management intergénérationnel : Comment transformer la cohabitation en collaboration vertueuse, Élodie GENTINA (IÉSEG) et *Jérémy LAMRI explorent comment les dirigeants et responsables RH peuvent aller au-delà des clichés... À travers cette interview, les auteurs nous éclairent sur les spécificités de chaque génération et sur les approches de management permettant de dépasser les préjugés, en s'appuyant sur des témoignages d'experts en ressources humaines et leaders en entreprise.

Date

14/11/2024

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Comment définiriez-vous le management intergénérationnel, et pourquoi est-il devenu un enjeu essentiel dans les organisations aujourd’hui ?

Jérémy LAMRI : Le management intergénérationnel représente bien plus qu’une simple gestion de la diversité d’âge dans l’entreprise. Il exige une véritable approche différenciée des compétences, des valeurs et des comportements de quatre générations différentes, des baby-boomers à la génération Z. Cette situation est d’autant plus pressante qu’elle s’accompagne de transformations technologiques rapides, de nouveaux modes de travail hybrides, et d’attentes inédites quant au sens et aux finalités du travail.

Jérémy LAMRI 

Pour autant, il serait réducteur de voir le management intergénérationnel uniquement à travers le prisme des âges, et c’est ce que nous avons voulu souligner dans notre ouvrage Le Défi Intergénérationnel . Les parcours de vie, les contextes culturels et les aspirations personnelles pèsent autant que les différences générationnelles. Par exemple, certains jeunes professionnels adoptent volontiers des attitudes de collaboration en face-à-face, tandis que des collaborateurs seniors peuvent être à l’aise avec des outils digitaux sophistiqués. Les managers ont donc tout intérêt à s’intéresser aux facteurs individuels et à promouvoir une approche inclusive qui valorise les parcours personnels. 

De plus en plus d’organisations s’orientent vers des pratiques telles que le mentorat inversé – où les jeunes forment les seniors à des compétences digitales, tandis que les plus expérimentés partagent leur expertise stratégique. D’autres explorent des initiatives comme des équipes mixtes sur le plan générationnel, pour favoriser une transmission des savoirs bidirectionnelle et continue. En prenant en compte les réalités individuelles tout en s’appuyant sur des stratégies inclusives, les organisations ont le potentiel de faire des différences générationnelles et individuelles une source de richesse et d’innovation.

Votre ouvrage aborde de nombreux stéréotypes générationnels, comme « les jeunes sont impatients » ou « les seniors sont dépassés par la technologie ». Quelle est l’importance de déconstruire ces stéréotypes dans le milieu professionnel ?

Elodie GENTINA : Les idées reçues sur les caractéristiques et les compétences de chaque génération, telles que le manque de flexibilité des seniors ou le manque d’engagement des jeunes, peuvent nourrir des attitudes discriminatoires et créer un climat de défiance et de rivalité entre les âges. Les stéréotypes générationnels contribuent à créer des incompréhensions, des conflits, voire même une sorte de mythe de deux planètes « les jeunes » contre « les seniors » ne pouvant pas se rencontrer.

Élodie GENTINA

Il faut donc déconstruire les représentations liées à l’âge et dépasser la classification rigide des collaborateurs selon leur âge, leur génération, puisque ces séparations artificielles peuvent mener à des silos culturels, où les échanges d’idées et les opportunités d’innovation sont restreints.Les employés peuvent se sentir enfermés dans des rôles définis par leur âge plutôt que par leurs compétences ou leurs intérêts, réduisant ainsi leur engagement et leur volonté de contribuer au-delà des attentes stéréotypées. Il faut sensibiliser  les collaborateurs aux biais cognitifs et en valorisant la diversité des profils et des parcours au sein des équipes.

Dans ce sens, l’ouvrage développe tout un ensemble d’actions de sensibilisation et de formation qui peuvent être mises en place pour déconstruire ces représentations et promouvoir une culture de respect et d’inclusion, où chaque employé se sent valorisé et compris.  Cela implique de prendre le temps de comprendre les motivations, les besoins et les aspirations de chaque membre de l’équipe, indépendamment de son âge. Une telle approche favorise un environnement de travail plus inclusif et dynamique, où chaque employé se sent valorisé et compris, en créant par exemple des espaces de dialogue et de réflexion sur les différences de valeurs, de modes de travail et de rapport au numérique entre les générations, en mettant en œuvre le job sharing générationnel, le mentoring inversé…

Votre livre donne la parole à des nombreux DRH et dirigeants. Pouvez-vous partager certains témoignages marquants sur la façon dont ces entreprises prennent en compte l’intergénérationnel dans leur stratégie ?

J.L : Dans l’ouvrage, les témoignages recueillis auprès de plus de 20 DRH et dirigeants montrent une prise de conscience croissante des enjeux intergénérationnels et l’émergence de stratégies innovantes pour y faire face. Plusieurs témoignages évoquent des programmes spécifiques par génération, que ce soit dans l’accueil, la formation ou les parcours de carrière. D’autres encore rapportent des expérimentations visant à favoriser la collaboration entre plusieurs générations, au travers de projets spécifiques, d’équipes structurées, ou même de challenges ponctuels. Ces deux exemples montrent bien les deux grandes stratégies de gestion intergénérationnelle : d’un côté, appréhender les différences générationnelles, et d’un autre côté, assurer une collaboration efficace et harmonieuse entre toutes les générations dans l’organisation.

Mais ces initiatives ne se déploient pas sans défis. Par exemple, les jeunes managers rapportent des difficultés à instaurer leur autorité auprès de collaborateurs plus expérimentés, ce qui exige de leur part des compétences spécifiques en influence et en gestion d’équipe. Des initiatives comme le codéveloppement permettent d’instaurer des moments d’échange en présentiel pour surmonter les réticences de certains membres des équipes, tout en utilisant des outils digitaux pour garder une communication fluide et adaptée à leurs préférences.

Ces expériences montrent que la clé de la réussite réside dans la capacité à construire des ponts entre les générations en tirant parti des complémentarités. Cela demande aussi de gérer des tensions : des incompréhensions liées aux différences de valeurs, ou la résistance au changement, sont des réalités à considérer. Les entreprises qui parviennent à transformer la diversité générationnelle en atout stratégique ne se contentent pas de combler des écarts, elles favorisent une culture d’apprentissage où chacun devient à la fois formateur et apprenant, dans son intérêt et dans celui de l’organisation.

Vous parlez de management fédérateur dans votre livre. Quelles sont, selon vous, les qualités clés d’un manager capable d’unir des équipes multigénérationnelles ?

E.G : Manager l’intergénérationnel, c’est d’abord changer de regard sur les politiques à mettre en oeuvre pour ses collaborateurs, en particulier sortir du prisme selon lequel il faudrait absolument recruter des jeunes et faire sortir rapidement les collaborateurs seniors. Le manager capable d’unir des équipes multigénérationnelles est celui qui sait déconstruire les représentations sur les autres comme sur lui-même. C’est celui qui sait passer d’une approche RH segmentée et tronçonnée (par génération) à une politique RH intergénérationnelle, inclusive, en étant capable de :

  • Traiter les situations individuelles tout en valorisant des dispositifs collectifs présentes dans l’organisation.
  • Adopter une approche sur mesure tout en capitalisant sur l’expérience des organisations.
  • Prendre en compte l’hétérogénéité des situations individuelles et des aspirations des seniors comme des juniors au sein de l’organisation, en proposant des modalités d’accompagnement variées sur l’ensemble des thématiques de gestion RH ;
  • Définir des dispositifs communs et accessibles à l’ensemble des collaborateurs, permettant notamment aux seniors de reconnaitre qu’ils font l’objet d’une attention particulière au regard des enjeux qu’ils portent. Le manager doit développer la cohésion entre les générations à travers diverses actions, comme la mise en œuvre d’un programme d’onboarding intergénérationnel, grâce à un parrainage junior-senior à l’arrivée dans l’organisation. Une autre action que le manager peut développer est  le job sharing intergénérationnel, consistant à partager un emploi par deux personnes ayant un écart d’âge de 10 ans au minimum pour former un duo aux compétences complémentaires.

Informations complémentaires

Découvrez « Le défi du management intergénérationnel » d’Élodie GENTINA et Jérémy LAMRI, éditions Dunod.

 

  • Docteure en sciences de gestion et professeure en marketing à l’IÉSEG, Elodie Gentina est l’auteure de nombreux ouvrages et publications sur la génération Z. Elle accompagne aussi les entreprises dans l’adaptation de leurs stratégies marketing et de management aux besoins de cette génération et intervient régulièrement dans de nombreux médias en France et à l’international sur tous les sujets reliés à la Génération Z.

 

  • Jérémy Lamri est un entrepreneur et chercheur français spécialisé dans le développement de l’employabilité et du potentiel humain. Il a cofondé plusieurs organisations dont Le Lab RH, Monkey tie, le Hub France IA, et plus récemment Tomorrow Theory, dont il occupe le poste de CEO. Il a étudié la physique à Oxford et la stratégie à HEC Paris, et est titulaire d’un doctorat de Paris Descartes en psychologie. Auteur de plusieurs ouvrages publiés chez Dunod et EMS, et conférencier international sur le futur du travail et des organisations, il est également professeur à Sciences Po Paris. Impliqué pour un progrès technologique conscient et responsable, Jeremy est conseiller stratégique ou membre du conseil d’administration de diverses organisations, telles que JobTeaser, Maki People et l’Institut de la SocioDynamique.


Catégorie(s)

Management & Société


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