Des directions féminisées, des entreprises « découragées » d’emprunter ?
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40 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. C’était l’objectif fixé il y a plus de 10 ans déjà par la loi Copé-Zimmerman, adoptée par l’Assemblée nationale le 20 janvier 2011. Un nombre croissant d’incitations légales ont suivi pour encourager un recrutement équitable dans les instances dirigeantes des entreprises afin de contrecarrer la sous-représentation subsistante des femmes.
Objectif atteint et plus rapidement que prévu : leur pourcentage dans les conseils d’administration des entreprises françaises cotées est passé de 23,7 % en 2012 à presque 44 % en 2021. Au premier rang mondial, la France fait figure d’exemple sur ce sujet.
Le mouvement conduit par ailleurs à une transformation profonde du mode de gouvernance économique des entreprises. La littérature a permis de mettre en exergue de nombreux effets bénéfiques de cette mixité, notamment sur la performance de l’entreprise. Elle permet, entre autres, une rentabilité des actifs plus importante, un surcroît d’innovations, ou encore, une valeur d’entreprise plus élevée.
L’un des traits de caractère généralement mis en avant afin de justifier ces résultats est le degré moindre de prise de risque du mode de direction féminin : les femmes tendent à être plus averses au risque que leurs homologues masculins. Comme le montrent nos travaux, celle-ci peut cependant s’avérer préjudiciable, notamment en termes d’accès au crédit de l’entreprise.
De quoi être découragées…
Bien qu’un emprunt bancaire constitue un levier de croissance important pour l’entreprise, les firmes dirigées par des femmes observent un niveau d’endettement nettement inférieur par rapport aux hommes et ce pour deux raisons. Tout d’abord, du point de vue de l’offre de crédit, les banquiers tendent à discriminer les femmes en demande de crédit, en leur refusant le prêt ou en le proposant avec des conditions plus restrictives.
Il y a aussi le fait que les potentielles emprunteuses se restreignent elles-mêmes en choisissant de ne pas solliciter un emprunt : elles sont dites « découragées ». Ce découragement peut venir de procédures jugées trop complexes, de taux d’intérêt trop élevés, de collatéraux trop importants demandés en échange ou de la simple crainte d’un refus.
Cette observation soulève un débat intéressant qui vient interroger la tendance actuelle visant à encourager la féminisation des entreprises. Existe-t-il des limites à augmenter le nombre de femmes à la direction d’une entreprise ? Quel est l’effet d’une plus grande proportion de femmes détenant des parts dans une entreprise sur la prise de décision des dirigeants de celle-ci ?
Nous avons étudié, dans les entreprises dirigées par une femme, la probabilité que cette dernière choisisse délibérément de ne pas demander un crédit, anticipant déjà un refus, celle d’être « découragée ». Nous montrons qu’elle augmente de manière substantielle si cette même entreprise est majoritairement détenue par des femmes. Autrement dit, nous mettons en avant une limite majeure à la féminisation des sociétés, cette tendance exacerbant le découragement des femmes dirigeantes.
Sensibilité à l’environnement
Comment expliquer un tel résultat, qui vaut indépendamment de l’année, du secteur ou du pays d’activité de l’entreprise et de nombreuses variables telles que le niveau d’endettement de l’entreprise ou bien le fait qu’elle soit exportatrice ou non ? Bien que la relation entre le genre du dirigeant et la performance financière ait été largement abordée dans la littérature scientifique, peu d’études se concentrent sur l’impact différentiel de la structure actionnariale sur le dirigeant en fonction de son genre.
Plus sensibles à leurs émotions que les hommes, les femmes dirigeantes restent perçues comme plus influençables par leur environnement extérieur. Ainsi, si la structure de l’entreprise encourage davantage une prise de décision moins risquée, alors la prise de risque sera plus faible dans une entreprise avec une femme dirigeante – plus sensible à la pression sociale – qu’une autre semblable avec un homme à sa tête.
Autre justification potentielle : une femme tend davantage à tenir compte des objections d’une autre femme du fait du partage d’un nombre plus important de caractéristiques individuelles. Autrement dit, en résultante du biais cognitif dit d’ « homophilie », une femme dirigeante sera plus sensible aux arguments d’un conseil d’administration féminin. La dirigeante présentera alors une aversion au risque exacerbée, et donc une probabilité d’être découragée plus marquée.
Peut-on pour autant conclure que les quotas ne font qu’aviver les biais cognitifs typiquement féminins tels qu’une aversion au risque accrue ? Notre étude portait sur un échantillon composé majoritairement de petites entreprises où les dirigeants ont souvent plus de flexibilité que dans les grandes entreprises. De futurs travaux pourraient alors étudier la même question dans les entreprises concernées par les quotas – autrement dit les grandes entreprises.
Caroline Perrin, Doctorante en sciences de gestion, Université de Strasbourg; Aurore Burietz, Professeur de Finance, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management et Jérémie Bertrand, Professeur de finance, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.