Changement climatique et perte de biodiversité : deux réalités indissociables, et à traiter comme telles pour maîtriser le risque financier

Partout dans le monde, les autorités financières (banques centrales, organismes de régulation et de supervision) reconnaissent désormais à la fois le changement climatique et le déclin de la biodiversité —  c’est-à-dire la disparition d’espèces animales et végétales, ainsi que la dégradation de la diversité des écosystèmes et de la biodiversité génétique au sein des espèces  — comme des sources importantes de risques financiers systémiques, et mettent en place des politiques pour combattre leurs effets. Toutefois, pour être véritablement efficaces, elles doivent faire le lien entre les deux problèmes et se montrer plus proactives.

Date

09/01/2024

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À partir d’un entretien avec Hugues CHENET, professeur associé en soutenabilité, au sujet de son article « Biodiversity loss and climate change interactions: financial stability implications for central banks and financial supervisors », co-écrit avec Katie KEDWARD et Josh RYAN-COLLINS, de University College London, publié pour la première fois en ligne dans la revue Climate Policy en août 2022.

Le changement climatique et ses nombreuses conséquences, des canicules estivales aux modifications des régimes de précipitation, en passant par les tempêtes de plus en plus violentes et l’élévation du niveau de la mer, affectent déjà la vie de la population du monde entier. Et ce n’est que le début. Une étude récente du Forum économique mondial, dans laquelle 1 200 experts en gestion des risques ont défini l’inaction face au changement climatique comme la principale menace mondiale pour les 10 prochaines années, montre une certaine prise de conscience du danger.

Ces dernières années, les autorités financières ont commencé à s’intéresser aux moyens de combattre le risque lié au changement climatique qui, selon certaines prévisions, pourrait peser sur la valeur de 10 % des actifs financiers mondiaux d’ici 2100. Une étude publiée dans la revue de stabilité financière de la BCE en 2021 estime que « près de 30 % des en-cours de crédit du système bancaire de la zone euro vis-à-vis de sociétés non financières concernent des entreprises sujettes à un risque élevé ou croissant en raison d’au moins un élément de risque physique ».

Or cet élément de la crise environnementale, potentiellement désastreux, n’est pas le seul auquel nous faisons face. Dans cette même étude du FEM, les experts ont classé à la quatrième place le risque de perte de biodiversité et d’effondrement des écosystèmes à l’échelle mondiale. Les autorités financières s’inquiètent elles aussi de plus en plus des effets du déclin des espèces animales et végétales sur la stabilité financière et économique mondiale.

Mais pour Hugues CHENET, professeur associé à l’IÉSEG, banques centrales et superviseurs financiers font une erreur potentiellement lourde en s’attaquant séparément aux questions du changement climatique et de la perte de biodiversité. Avec ses collègues, il avance que ces deux problèmes environnementaux sont étroitement liés, y compris au niveau du système financier, et que des solutions conjointes doivent être trouvées.

« L’environnement doit être considéré comme un système », rappelle H. CHENET. Selon lui, il en va de même des solutions pour se protéger du risque financier lié à l’environnement.

En quoi le changement climatique et la perte de biodiversité sont-ils deux risques financiers liés ?

Le risque financier découlant des évènements climatiques les plus destructeurs (p. ex. les tempêtes de plus en plus violentes qui menacent des biens immobiliers de valeur dans les zones côtières) est peut-être plus facile à évaluer pour les autorités financières. La perte de biodiversité quant à elle est un sujet plus complexe, avec des effets en cascade dus à l’interdépendance des espèces. D’un point de vue financier et économique, H. CHENET explique que les écosystèmes rendent des services aux entreprises, comme la pollinisation pour l’agriculture, la fourniture de bois pour la construction ou d’eau potable pour la production de boissons.

« Si les écosystèmes ne fonctionnent plus correctement et ne sont plus en mesure de garantir la fourniture d’eau potable ou la pollinisation, les résultats des entreprises seront impactés. Le fabricant de boissons a peut-être souscrit un prêt bancaire, donc le risque encouru par la banque prêteuse est affecté, car les charges et les produits de l’entreprise ne sont pas ceux qui étaient prévus. La perte de biodiversité se répercute alors en un risque financier pour l’organisme de crédit », explique H. CHENET.

Mais la perte de biodiversité est indissociable du réchauffement climatique, notamment parce que ce dernier en est une des causes. Comme l’indique un article sur le site web des Nations unies, la hausse des températures peut par exemple pousser les plantes et les animaux à monter à des altitudes plus élevées pour survivre, ce qui perturbe l’équilibre délicat des écosystèmes.

H. CHENET avertit que trouver la solution à un problème sans tenir compte de l’autre peut s’avérer contre-productif. Il prend l’exemple du fait de planter plus d’arbres pour capturer et stocker du carbone dans leur biomasse (troncs, branches, feuilles, épines, racines). Certes, les plantations industrielles d’une espèce unique (p. ex. des eucalyptus à croissance rapide) contribuent au premier abord à atténuer le changement climatique, mais elles nuisent à la biodiversité de la région et affectent les animaux et les autres plantes de cet écosystème, qui pourrait ainsi devenir moins résilient et ainsi finir par libérer massivement le carbone qu’on espérait qu’il capte.

« En se concentrant sur un seul problème, on entraîne des dommages collatéraux », prévient-il.

La difficulté d’agir sur deux problèmes à la fois

Par ailleurs, H. CHENET et ses co-auteurs affirment qu’il ne suffit pas de traiter les problèmes environnementaux au niveau du système financier lorsqu’ils deviennent matériels. Au contraire, ils insistent sur la nécessité d’une stratégie proactive, grâce à laquelle les banques centrales et les organismes de régulation/supervision examineraient le système financier pour voir en quoi il renforce les facteurs directs de dommages environnementaux, et chercheraient à réduire, voire à arrêter le flux de financement d’activités nuisibles qui risquent de faire basculer le monde dans un drame écologique.

H. CHENET ne cache pas qu’aborder conjointement le changement climatique et la perte de biodiversité est difficile pour la finance. « Le réchauffement climatique est un processus plutôt lent, avec une grande inertie, alors qu’en matière de biodiversité, la disparition d’une espèce par exemple peut aller très vite », explique-t-il.

Contrairement au changement climatique, dont certains effets sont irréversibles, les écosystèmes peuvent se régénérer si une menace comme les pesticides est éliminée avant que les seuils d’extinction ne soient atteints. Mais pour ce faire, les autorités financières doivent faire preuve de plus de créativité et d’ingéniosité dans leurs politiques. Elles doivent accorder plus d’attention aux activités économiques et projets qui reçoivent des financements, en tenant compte de leur impact sur l’environnement.

Applications pratiques

Les banques centrales et les organismes de régulation et de supervision peuvent s’inspirer des propositions de cet article pour élaborer des politiques de réduction des risques plus proactives et de plus grande ampleur, en sortant de l’approche de « neutralité de marché », qui ne distingue pas les actifs nocifs pour l’environnement, pour adopter des démarches de gestion du risque « par précaution », visant au contraire à ne pas financer les actifs problématiques en premier lieu.

Méthodologie

Les auteurs ont exploré un grand nombre d’études menées par des universitaires et des institutions comme la Banque de France, et synthétisé les données et les informations trouvées afin de tirer leurs propres conclusions.


Catégorie(s)

Économie & FinanceRSE, Durabilité & Diversité


Contributeurs

Hugues CHENET

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IÉSEG Insights

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Editorial

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