Une stratégie logistique plus verte ou comment expédier intelligemment ses marchandises sans augmenter ses coûts
Les camions sont prépondérants dans les chaînes d'approvisionnement. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'environnement, car ils représentent près d'un quart des émissions de carbone du transport routier. L'empreinte carbone et l'efficacité du fret peuvent néanmoins être améliorées en intégrant le transport ferroviaire et en mettant en œuvre des stratégies de gestion des stocks plus intelligentes, sans incidence sur les coûts.
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À partir d’un entretien avec Stefan CREEMERS au sujet de son article « Breaking truck dominance in supply chains: Proactive freight consolidation and modal split transport », co-écrit avec Bram DE MOOR et Robert BOUTE (KU Leuven), publié dans l’International Journal of Production Economics en mars 2023.
Le transport de marchandises en pleine tempête
La route est l’un des modes de transport les plus polluants : elle représente 77 % des émissions de gaz à effet de serre dues au transport en Europe, dont 23 % sont imputables aux seuls camions. Si le Pacte vert pour l’Europe a pour objectif la neutralité carbone dans toutes les industries à l’horizon 2050, le secteur des transports peine à se décarboner.
La pénurie de chauffeurs de poids lourds ajoute à la difficulté. Le vieillissement et le nombre insuffisant des chauffeurs routiers ne font qu’aggraver les difficultés du secteur logistique. Investir dans des camions plus « verts » permettrait certes d’apporter des réponses aux préoccupations environnementales, mais pas de remédier au manque de chauffeurs. En fin de compte, les chaînes d’approvisionnement doivent moins compter sur les camions, d’autant que la flotte actuelle dépend encore largement de l’énergie fossile, malgré la flambée des prix du carburant depuis le début de la guerre en Ukraine.
Les approches possibles
Le professeur CREEMERS et ses collègues ont entrepris d’étudier les moyens d’optimiser le transport de marchandises, dans un souci de protection de l’environnement et d’efficacité. Au préalable, ils ont étudié différentes options de groupage de marchandises afin de renforcer l’efficacité de la logistique. De nombreuses possibilités, à la fois réactives et proactives, ont été envisagées pour résoudre le problème.
La consolidation est dite « réactive » lorsque des prestataires de services logistiques tiers regroupent les commandes de différentes entreprises. Elle permet de réduire les émissions, mais reste à améliorer. Les auteurs ont voulu se concentrer davantage sur la consolidation « proactive », source de plus grands bénéfices. Prenons un exemple pour mieux comprendre ce que sont les consolidations réactive et proactive. Imaginons que deux voisins commandent leurs courses séparément. Le supermarché ne les regroupera que si elles sont faites le même jour. Il s’agit d’un regroupement réactif. En revanche, si les voisins se mettent d’accord pour commander ensemble, leurs courses sont regroupées de manière proactive.
Dans le passé, certaines études se sont concentrées sur l’idée d’une collaboration entre entreprises pour consolider le fret, dans le cadre de ce que l’on appelle une politique de réapprovisionnement groupé : plusieurs articles sont commandés auprès d’un même fournisseur, de sorte que les produits soient acheminés par le même moyen de transport. À première vue, cela semble pertinent. Deux entreprises pharmaceutiques, UCB et Baxter, ont mis en place ce type de collaboration logistique, avec Tri-Vizor pour orchestrer et synchroniser les flux de transport. Si l’efficacité et la réduction des émissions de CO2 de ce partenariat sont indéniables, l’application pratique n’en est pas moins délicate. Comme l’explique le professeur CREEMERS : « il n’est pas toujours facile de mettre en place ce type de collaboration. Par exemple, UCB et Baxter sont concurrents et n’ont pas forcément envie de partager certaines informations ou de collaborer. »
Le professeur CREEMERS et ses collègues ont étudié comment consolider le fret routier et ferroviaire. Pour la première fois, ils ont également pris en compte le recours au réapprovisionnement groupé en utilisant différents moyens de transport (alors qu’auparavant les études se concentraient sur un seul).
L’utilisation proactive des camions et des trains, source de gains non négligeables ?
Il existe plusieurs façons de consolider le fret, mais la consolidation proactive est celle qui s’avère la plus efficace, car elle réduit à la fois les coûts et les émissions de gaz à effet de serre. Les chercheurs ont constaté que la combinaison du partage modal et de la consolidation proactive permet de diminuer les coûts de transport de 17,19 % en moyenne par rapport à une consolidation réactive reposant uniquement sur les camions.
On parle de partage modal lorsqu’une entreprise transfère une partie de son fret vers le réseau ferroviaire. Les chercheurs ont observé qu’en ayant moins recours aux camions dans le cadre du partage modal, les émissions de gaz à effet de serre baissent nettement, car le transport ferroviaire de marchandises émet en moyenne 82 % de g CO2/t.km de moins que le transport par poids lourds, du puits à la roue.
« En regroupant le fret, nous augmentons les volumes, si bien que le transfert modal devient économiquement viable », souligne le professeur. Il n’existait jusqu’à présent aucune méthodologie pour y parvenir, mais grâce à leur stratégie, les chercheurs en ont fait la démonstration.
« Cette politique ne s’applique pas qu’au transport ferroviaire. Les voies fluviales peuvent également être intégrées à la consolidation proactive du fret. Les possibilités de regroupement proactif du fret sont nombreuses », conclut Stefan CREEMERS.
Applications pratiques
Les entreprises peuvent appliquer la politique du professeur Creemers et de ses collègues pour prendre des décisions optimales, en répartissant les volumes entre différents modes de transport et en recourant au réapprovisionnement groupé (un même mode de transport pour différents produits). Cette politique offre aux entreprises la possibilité de commander intelligemment plusieurs produits en utilisant différents modes de transport, alors qu’il n’existait aucune politique en la matière auparavant.
Méthodologie
Les chercheurs ont élaboré et validé une politique heuristique combinant la consolidation proactive du fret et le partage modal, avant de mener une expérience numérique pour tester l’impact sur le recours aux camions et la rentabilité.
Septembre 2024: Veuillez noter que Stefan CREEMERS ne travaille plus à l’IESEG. Cet article a été publié lorsque ce professeur était à l’IESEG.