Apprendre à gérer un budget grâce… au jeu vidéo FIFA ?
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Le rôle des monnaies virtuelles est devenu central dans les jeux vidéo. Ces unités de compte qui peuvent être gagnées, achetées ou échangées dans les univers virtuels présentent désormais un impact économique important. Même si elles ne sont pas considérées comme des devises, elles peuvent néanmoins influencer la façon dont les joueurs interagissent les uns avec les autres et même la façon dont les divertissements sont conçus.
Côté joueurs, elles sont souvent nécessaires pour avancer dans une aventure, en achetant des biens virtuels, des équipements, des personnages, des décorations ou autres améliorations. Pour les éditeurs, elles sont une source de revenus devenue essentielle et intégrée aux modèles économiques. C’est d’ailleurs souvent sous cet angle qu’elles sont évoquées dans les médias : les « lootboxes », « coffres à butin » ou « achats intégrés » sont largement critiqués comme une source d’addiction à la dépense et comme une transformation des jeux en ligne en jeux d’argent.
Plusieurs firmes ont dû ainsi répondre devant la justice, tel Epic Games qui a notamment développé Fortnite. La Belgique a ainsi légiféré pour interdire ces microtransactions.
On ne peut cependant limiter l’analyse des monnaies virtuelles à ces risques. Et s’il s’agissait aussi, de même que ces loisirs enseignent la patience, d’un moyen de socialiser les joueurs à l’argent numérique, de permettre en apprentissage en gestion dans un contexte ludique ? C’est ce que nous suggérons dans nos travaux prochainement publiés dans la revue Réseaux à partir d’un des jeux les plus populaires au monde, FIFA.
Ils s’inscrivent notamment dans la continuité des études de la sociologue américaine Viviana Zelizer qui montre qu’il existe une « signification sociale de l’argent ». Elle démontre que les fonds ne sont pas utilisés de la même manière en fonction de leur provenance. Par exemple, un billet reçu à un anniversaire servira à un projet spécial ; des criminels expliquent qu’ils ne mettront pas dans le panier de la quête à l’église de l’argent issu de leurs activités sombres.
Les cartes dans FIFA, un véritable marché
FIFA et son mode compétitif en ligne FIFA Ultimate Team (FUT) suscitent la controverse pour ses monnaies. Dans FUT, il s’agit de constituer son équipe de rêve, de préférence plus rapidement que les autres joueurs.
Ce mode en ligne serait néanmoins devenu un « pay-to-win », terme péjoratif pour qualifier une partie où c’est celui qui paie qui gagne. Il est par exemple possible d’acquérir des packs de footballeurs aléatoires, avec l’espoir d’y trouver un sportif qui renforcera l’équipe du joueur et dont la valeur dans FUT aurait été trop importante pour se le procurer.
Trois monnaies sont utilisables dans ce jeu : les crédits, les points FIFA et les jetons. Les premiers tombent en récompense de matchs remportés ou en spéculant sur les cartes du jeu ; ils permettent d’acheter des cartes de sportifs. Les points FIFA achetables en euros ou en dollars servent, eux, à obtenir des packs de cartes. Les jetons, enfin, permettent d’accéder à des modes de jeu spécifiques.
Toutes ces ressources participent à un marché qui regroupe au plus fort de l’année plusieurs millions de cartes. Il constitue le cadre de nombreuses transactions entre joueurs, réalisées en crédits, via un dispositif proposé par l’éditeur qui régule les enchères entre joueurs, les cours des cartes via différentes promotions et plus largement la masse monétaire en crédit via une taxe de 5 % de crédit par transaction. Cette activité, nommée achat-revente, est une pratique centrale du mode FUT.
Des concepts de gestion pour être compétitif
Derrière, c’est néanmoins pour les joueurs tout un processus d’apprentissage. Manipuler ces monnaies engage des logiques d’efficience, d’éthique et de gestion émotionnelle. Les joueurs cherchent à maximiser l’utilisation de leurs crédits pour améliorer leur équipe et ainsi gagner des matchs.
Les crédits sont, aux yeux des joueurs, durement gagnés et considérés comme mérités. Pour certains, ils ne devront d’ailleurs pas être gaspillés dans des packs sur un coup de tête. Des techniques pour gagner des crédits plus rapidement sont partagées sur les réseaux sociaux et forums, transmises par des influenceurs qui présentent autant des astuces propres au jeu que les mécanismes financiers du marché qui impactent les cours.
Les points FIFA, eux, ne supposent pas de compétences à acquérir. Ces achats sont plus ou moins reconnus comme légitimes. Ils sont pour certains un capital investi en début de jeu pour aller plus vite, pour d’autres, juste de la triche. Dans les deux cas, l’enjeu est d’adopter des usages en accord avec les normes des autres joueurs. Comme nous avons pu l’entendre :
« Accepter des points FIFA comme cadeau de Noël ou d’anniversaire, ça passe »
Il s’agit aussi de se plier aux normes de l’éditeur : faire de l’achat-revente oui, obtenir des crédits de manière illégale, c’est l’exclusion.
Une fois les crédits obtenus, reste à les utiliser pour construire la meilleure équipe possible. Ici joue la mobilisation de concepts gestionnaires et financiers qui permettront aux joueurs d’être compétitifs : offre et demande, fixation de prix et équilibre, spéculation, gestion des risques, taxe, régulation, fraude ou encore rôle de l’information. La notion la plus centrale reste celle de la valeur des cartes : elle va guider toutes les décisions.
Celle-ci est liée aux performances des footballeurs dans la réalité, renforçant le lien entre le jeu et le stade. Certains joueurs tentent même de développer des stratégies d’investissement sur la durée de vie du jeu, planifiant tant leur équipe que les moyens à acquérir pour en disposer.
Des compétences à faire valoir
D’autres compétences importantes se développent via les monnaies virtuelles des jeux vidéo, comme le contrôle de soi, même si elles n’en sont pas le seul objet. Pour les monnaies virtuelles, les joueurs apprennent à mettre en place des garde-fous, comme s’interdire de dépasser un certain montant financier dépensé dans le jeu par mois ou année.
Ce contrôle de soi est central autant pour lutter contre la tentation face à l’argent et aux packs, que dans la maîtrise à garder face à la toxicité d’autres joueurs et à la frustration des défaites. Plus généralement, il s’inscrit dans la maîtrise de l’engagement important que suppose la pratique de ce loisir sérieux où il faut à la fois « jouer le jeu » pleinement pour rester compétitif et de ne pas « trop tomber dans le jeu » jusqu’à en perdre le goût. En cela, le cas de FUT permet d’observer une socialisation conjointe à l’argent et au jeu.
Tout cela suggère le rôle des jeux vidéo dans la socialisation à l’argent et l’intérêt de reconnaître les compétences, par exemple en gestion, que les joueurs y développent et parfois étendent hors du jeu. Celles-ci restent encore peu visibles et vues peu légitimes car acquises dans un contexte ludique. Les monnaies dans les jeux vidéo apparaissent pourtant porteuses d’apprentissages, qu’il convient de mieux reconnaître et intégrer.
Sarah Maire, Assistant Professor in Accounting and Control, Ph.D., IÉSEG School of Management; Caterina Trizzulla, Maître de conférences en Marketing, Université de Lorraine et Renaud Garcia-Bardidia, Professeur des universités en Sciences de Gestion, Université de Bourgogne – UBFC
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.