Adapter les évaluations des employés pour prévenir la discrimination liée à l’âge
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Les employés plus âgés font souvent face à des obstacles qui entravent injustement leur avancement professionnel, un phénomène appelé « silver ceiling » en anglais (une métaphore utilisée pour décrire le plafond de verre auquel ils sont confrontés). Les stéréotypes managériaux et les formes subtiles de discrimination liée à l’âge peuvent conduire à ce que des travailleurs dès l’âge de 48 ans soient systématiquement écartés des promotions. Dans le contexte des effectifs vieillissants et des personnes restant plus longtemps sur le marché du travail, ce plafond représente un défi majeur pour les organisations et la société en général. Une nouvelle étude s’intéresse aux raisons de l’existence de ce plafond et décrit comment les entreprises peuvent adapter les évaluations des salariés pour éviter de discriminer les travailleurs plus âgés et pour mieux identifier les talents.
Une enquête de 2020 menée par Robert Walters auprès de 7 500 professionnels a révélé que, au cours des trois premières années de travail dans une organisation, un nombre significativement plus faible d’employés âgés de 40 ans et plus (47 %) ont reçu des promotions par rapport à ceux âgés de 25 à 39 ans (65 %).
Une équipe de chercheurs de l’IÉSEG, de KU Leuven (Belgique) et de la Kühne Logistics University (Allemagne) a étudié les raisons pour lesquelles les travailleurs de plus de 45 ans sont souvent négligés lors des décisions de promotion. Leur attention s’est portée sur un type particulier d’évaluation utilisé dans de nombreuses grandes entreprises : l’évaluation du potentiel.
Contrairement aux évaluations de performance, qui évaluent la contribution passée d’un employé dans son rôle actuel, les évaluations du potentiel se réfèrent à l’évaluation de la capacité des employés à réussir dans des postes plus complexes et avancés à l’avenir. En d’autres termes, elles permettent d’identifier les talents en interne pour des rôles futurs.
En pratique, de nombreuses grandes organisations demandent aux managers d’évaluer simultanément le potentiel et la performance des employés à l’aide d’une grille à 9 cases (« 9-box grid »).. Dans cette grille, les managers doivent indiquer si la performance et le potentiel des employés sont faibles, moyens ou élevés, respectivement, sur les axes X et Y, créant ainsi une matrice de 3 par 3 avec neuf cellules. Les talents se trouvent généralement dans la cellule en haut à droite de la grille en 9 cases, qui résulte d’une combinaison de haut potentiel et de haute performance. Cette grille oblige les managers à faire la distinction entre performance et potentiel, deux notions qu’ils ont souvent tendance à traiter comme étant quasiment identiques.
« Dans notre étude de terrain au sein d’une grande entreprise, nous avons constaté que les ‘évaluations de potentiel’ sont un élément clé du puzzle, car elles peuvent constituer un canal important par lequel les préjugés liés à l’âge influencent les décisions de promotion », explique Giverny DE BOECK, professeure à l’IÉSEG et auteure principale de l’étude. « En résumé, lorsque les managers ont des stéréotypes négatifs sur les salariés plus âgés, ils sont plus susceptibles de leur attribuer des évaluations de potentiel plus faibles, ce qui réduit ensuite leurs chances d’être promus l’année suivante. »
Pourquoi est-ce problématique ?
Dans leur étude, les chercheurs ont découvert que ce mécanisme affecte des employés dès l’âge de 48 ans.
« C’est un phénomène inquiétant : les entreprises risquent de passer complètement à côté d’un vaste vivier de talents, qui possède une expérience significative et encore de nombreuses années de carrière devant eux. Et avec des personnes travaillant plus longtemps – soit par choix, soit en raison de changements imposés par les gouvernements – ce vivier va encore s’agrandir dans les années à venir », explique Melvyn HAMSTRA, professeur à l’IÉSEG et co-auteur de l’étude.
« De plus, les chercheurs soulignent que les employés plus âgés qui perçoivent une injustice dans le processus de promotion risquent d’être moins engagés, ce qui peut nuire à leur motivation et à leur performance. »
Enfin, ce plafond représente aussi un obstacle majeur pour les personnes qui souhaitent changer de carrière à un âge plus avancé.
Que peuvent faire les organisations à ce sujet ? – 4 étapes à considérer
« La solution n’est pas d’abolir complètement les évaluations de potentiel, car elles restent utiles lorsqu’elles complètent les évaluations de performance », ajoute la professeure DE BOECK. « Mais pour qu’elles soient réellement pertinentes, les entreprises doivent veiller à ce qu’elles fournissent des informations fiables et objectives sur la capacité des employés à réussir dans des rôles plus complexes à court terme. »
Selon les professeurs DE BOECK et HAMSTRA, il y a quatre étapes que les entreprises peuvent suivre :
1) Demandez aux managers de rendre compte de leurs évaluations de potentiel afin d’aider à éliminer d’éventuels stéréotypes involontaires.
Plus précisément, les organisations devraient demander aux managers d’expliquer comment ils ont évalué le potentiel de chacun de leurs employés. Les managers peuvent le faire en précisant le type d’informations qu’ils ont utilisées lors du processus d’évaluation et les raisons qui les ont guidés.
2) Précisez quel type de potentiel les managers doivent évaluer.
Les managers doivent être formés pour se référer à une même définition, cohérente, de ce qui constitue un potentiel faible ou élevé au sein de l’organisation. Cependant, cela nécessite que les organisations répondent d’abord à la question « potentiel pour quoi ? ».
3) Adapter les méthodes/processus utilisés:
Plutôt que d’utiliser une évaluation abstraite générale du potentiel (comme la grille à 9 cases), les entreprises peuvent envisager d’opter pour des mesures plus concrètes en utilisant un système d’évaluation ancré dans le comportement. Plutôt que de demander aux managers d’utiliser une seule évaluation globale du potentiel (faible, moyen, élevé), les organisations devraient lister des compétences spécifiques pour évaluer le potentiel des employés. Par exemple, les managers peuvent évaluer l’agilité d’apprentissage (une compétence typique du « potentiel ») en répondant à la question ci-dessous basée sur le comportement observé des employés :
« Lorsqu’il est confronté à une tâche inconnue, comment réagit habituellement cet employé ?»
• Faible : évite la nouvelle tâche, insiste pour la faire de la manière habituelle ou devient visiblement frustré lorsqu’il est confronté à l’inconnu.
• Modéré : essaie la nouvelle tâche avec un certain effort, utilise les retours lorsqu’on le lui demande, mais revient à ses anciennes méthodes si cela devient difficile.
• Élevé : aborde la nouvelle tâche avec curiosité, recherche activement du feedback et ajuste ses méthodes en fonction de ce qu’il apprend.
4) Suivre et analyser les données..
Les départements des ressources humaines peuvent suivre et analyser les données de l’entreprise pour déterminer s’il existe des différences démographiques systématiques dans les évaluations potentielles qui ne peuvent pas être expliquées de manière rationnelle. Si les entreprises constatent de telles différences, elles peuvent examiner le processus d’évaluation et mener des entretiens avec les parties prenantes concernées pour explorer les causes sous-jacentes. Les organisations peuvent ensuite utiliser ces informations pour apporter des améliorations structurelles, dont les résultats peuvent être suivis ultérieurement avec de nouvelles données.
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L’étude complète :
Why Is the Ceiling Silver? Uncovering the Role of Potential Appraisals in the Age–Promotion Relationship (Personnel Pyschology, 2025) Giverny De Boeck (IÉSEG), Melvyn R. W. Hamstra (IÉSEG), Nicky Dries (KU Leuven/BI Norwegian Business School), Prisca Brosi (Kühne Logistics University).
L’image accompagnant cet article a été générée avec Sora (OpenAI)