Crypto vs monnaies classiques – quelles différences, quelle valeur ?

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Dans un contexte où les « cryptomonnaies » occupent une place croissante dans l’actualité économique, de nombreux particuliers s’interrogent sur leur fonctionnement et leur valeur réelle. En quoi diffèrent-elles des monnaies traditionnelles comme l’euro et peut-on vraiment parler de monnaie ? Pour y voir plus clair, Yann BRAOUEZEC, professeur de finance nous décrypte les principales différences et les mécanismes qui régissent leur valeur.
Pourriez-vous expliquer très brièvement ce que sont les « crypto-monnaies » ?
Il n’est pas possible de présenter ce que sont les « cryptomonnaies », et disons la plus célèbre d’entre elles, Bitcoin, sans évoquer dans un premier temps ce qu’est une monnaie.
Bien que la monnaie fasse encore débat parmi les économistes, elle peut être définie de manière minimaliste comme un simple « bien numéraire » ou moyen d’échange, utilisé pour les échanges. Les prix étant exprimés dans l’unité de ce bien numéraire, un prix n’est rien d’autre que la quantité de biens numéraires dont il faut s’acquitter pour acheter un bien.
Lorsque le bien numéraire est de l’or, le prix est exprimé disons en carat(s). Lorsqu’il s’agit de monnaie fiduciaire (pièces, billets), le prix est exprimé en unités monétaires, disons des euros. Si le prix d’un bien est de 15 euros, payer avec de la monnaie fiduciaire implique donc de donner au vendeur une quantité de bien numéraire dont la valeur faciale est de 15 euros.
Aujourd’hui, et depuis plus de cinquante ans, il n’y a plus de convertibilité de la monnaie fiduciaire en or. La monnaie fiduciaire repose donc essentiellement sur la « confiance », et n’a pas de « valeur intrinsèque », comme l’or peut en avoir. Si un billet de 100 euros, pour une raison quelconque, n’est plus accepté, ce billet n’a aucune utilité en soit, on dit qu’il n’a aucune valeur intrinsèque. En période « normale », c’est-à-dire hors période de crise monétaire, un vendeur accepte sans difficulté un (vrai) billet de 100 euros puisqu’il sait qu’il pourra l’utiliser comme il le souhaite dans le futur, parce que ce billet est accepté de tous à sa valeur faciale de 100 euros.
Avec le développement de la technologie (informatique, cryptographie), la monnaie est devenue électronique, c’est-à-dire un jeu d’écriture comptable. Ainsi, en payant avec une carte bancaire (ou un smart phone) un montant de 100 euros, on donne l’instruction de débiter son compte bancaire pour une valeur de 100 euros et de créditer le compte bancaire d’une tierce personne du même montant. Lorsque l’on réfléchit aux différentes fonctions d’une monnaie (fiduciaire, électronique), on en dénombre trois. Elle est un intermédiaire des échanges accepté de tous, comme déjà discuté, une unité de compte, c’est-à-dire que les prix sont exprimés dans son unité, l’euro par exemple, et elle est enfin une réserve de valeur.
Cette dernière propriété est fondamentale. Elle signifie que la valeur de la monnaie est « préservée dans le temps », pour utiliser la terminologie de la Banque Centrale Européenne. Dans une économie rongée par une hyper inflation, comme un certain nombre de pays l’ont connu, l’Allemagne dans les années 30, la Russie dans les années 90, et plus récemment le Vénézuéla pour ne citer que quelques exemples, la valeur de la monnaie n’est pas préservée dans le temps puisqu’elle perd au contraire de sa valeur très rapidement. Et cette perte de valeur très rapide alimente aussi les anticipations d’une inflation très élevée, qui ne font que renforcer l’inflation, puisque la monnaie devient une « patate chaude » dont il faut se défaire au plus vite, c’est-à-dire acheter.
La propriété de réserve de valeur est donc fondamentale pour qu’une économie puisse fonctionner normalement, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans de nombreux pays, le mandat de la banque centrale est focalisé sur cette propriété de réserve de valeur. En ce qui concerne la Banque Centrale Européenne, son mandat est de maintenir une inflation à 2%. Il s’agit-là d’un « objectif symétrique », c’est-à-dire que la BCE intervient si l’inflation dévie de manière significative de la cible de 2%.
Quelles différences alors entre les monnaies électroniques officielles et « crypto monnaies » ?
Depuis près de 15 ans, de nouvelles monnaies électroniques appelées « crypto monnaies » sont apparues, les plus emblématiques étant le Bitcoin et l’Ethereum. Sans entrer dans les détails, la différence principale entre la monnaie (électronique) officielle (des euros sur un compte bancaire) et par exemple le Bitcoin est la manière dont sont validés, ou certifiés les transactions. Lorsque l’on fait un paiement avec une carte bancaire, la validation se fait implicitement par la banque, c’est-à-dire de manière centralisée par une autorité bien identifiée.
En revanche, lorsque l’on fait un paiement avec Bitcoin la validation se fait de manière décentralisée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas effectuée par une autorité centrale bien identifiée, mais par un réseau de « mineurs », au travers d’un réseau d’ordinateurs connectés, qui sont rémunérés (en Bitcoin) pour valider les transactions qui apparaissent sur le registre (des transactions) appelé blockchain. En réalité, le terme de crypto monnaie n’est pas approprié pour parler de Bitcoin. Il n’a rien de spécifiquement cryptographique, et n’est pas non plus une monnaie !
Lorsque l’on fait un paiement par carte bancaire ou lorsque l’on paie en Bitcoin, le paiement repose dans les deux cas sur un protocole cryptographique. L’utilisation d’une carte bancaire requiert un code à 4 chiffres parce qu’il existe bien un protocole cryptographique sous-jacent (le protocole EMV), qui permet de sécuriser le paiement. En matière de paiement, l’aspect cryptographique n’est donc en rien spécifique au Bitcoin, si ce n’est qu’il ne repose pas sur le même protocole que les cartes bancaires, même si l’objectif final est le même, authentifier, sécuriser, et valider un paiement.
Comme évoqué, l’une des fonctions importantes d’une monnaie est sa stabilité dans le temps, c’est-à-dire la propriété de réserve de valeur. Comme le fait remarquer la BCE sur son site internet à propos de Bitcoin, sa « valeur a tantôt grimpé en flèche, tantôt plongé en l’espace de quelques jours ». Pour le dire en jargon financier, une telle volatilité est incompatible avec la propriété de réserve de valeur.
Enfin, pour terminer, la majorité des magasins (physiques ou en ligne) n’acceptent pas le Bitcoin ce qui signifie qu’il n’est donc pas non plus un intermédiaire des échanges accepté par tous. Bitcoin est donc ce que l’on peut appeler un « crypto actif ».
En ce sens, il intéresse naturellement les fonds spéculatifs qui recherchent un actif ayant une forte volatilité.
Étant donné les fluctuations significatives du prix des « cryptomonnaies » comme Bitcoin, quelle est la vraie valeur de ces monnaies numériques décentralisées à l’heure actuelle ?
Lorsque l’on regarde Bitcoin, il faut en réalité distinguer la monnaie électronique appelée Bitcoin–qui fonctionne en réalité comme une devise étrangère puisque sa convertibilité en euro est cotée–et la blockchain sur laquelle sont enregistrées les transactions. Cette blockchain a, elle, une certaine valeur intrinsèque puisqu’elle peut être utilisée pour enregistrer des transactions bien sûr, mais elle peut remplir de nombreuses autres fonctions. On peut ainsi enregistrer des diplômes universitaires sur cette blockchain !
Toutefois, puisque Bitcoin est vu comme un « crypto actif », sa valeur devrait donc être comparée à celle d’autres actifs financiers telles que des actions ou des obligations. Un actif financier telle qu’une action ou une obligation dérive sa valeur de la promesse de revenus qu’il engendre. Les marchés financiers sont donc le lieu où s’effectuent « le commerce des promesses », pour reprendre le titre du livre de Pierre Noel Giraud.
Dans le cas de Bitcoin, la question de son évaluation financière est assez simple. Puisque Bitcoin ne paiera jamais à ses détenteurs une seule unité monétaire, le calcul de la valeur actuelle est particulièrement simple, c’est zéro ! Ce n’est en réalité pas tout à fait exact si on le compare aux actions. Lorsque l’on regarde le monde des actions, la rémunération d’un actionnaire est double. Les dividendes qu’il peut percevoir dans le temps d’une part, et le gain en capital qu’il peut espérer en revendant ses actions d’autre part. Pendant de nombreuses années, sous Steve Jobs, Apple n’a pas payé de dividendes et le cours ne s’est pas pour autant effondré, bien au contraire. Mais ce qui était valorisé dans le marché était les inventions (présentes et futures) d’Apple, en l’occurrence de Steve jobs.
On peut donc peut être comparer Bitcoin à une action cotée sur les marchés qui ne paie pas de dividendes et dont la seule valeur vient du gain (éventuel) en capital. Toutefois, si cette entreprise qui ne paie pas de dividendes venait à faire faillite pour une raison quelconque, ses actifs (tangibles et intangibles) seraient revendus et engendrerait ainsi un certain revenu. Si Bitcoin venait à faire « faillite », par exemple parce qu’il n’était plus intéressant de valider les transactions sur sa blockchain, que se passerait-il ? Puisque la blockchain est publique, cela n’a aucun sens de penser la blockchain de Bitcoin comme un « actif » ayant une certaine valeur que l’on pourrait revendre. Dans ce cas, peut être assisterait-on à la mort de Bitcoin ou peut-être qu’un petit groupe d’individus essaieraient de s’en emparer pour assurer la continuité du réseau et préserver ainsi la valeur des bitcoins….
Bibliographie
Jean Paul Delahaye, « Au-delà du Bitcoin », Dunod, 2022
Pierre-Noel Giraud, « Le commerce des promesses », Seuil, 2001.
Comment fonctionnent les cryptoactifs ? (source économie.gouv.fr)
La technologie employée est celle de la blockchain (chaîne de blocs ou registre de transactions, en français), qui permet de garder la trace d’un ensemble de transactions, de manière décentralisé… Plus concrètement, la blockchain permet à ses utilisateurs – connectés en réseau – de partager des données sans intermédiaire.
Les blocs sont validés par ce qu’on appelle les « mineurs ». Un mineur est une personne qui met son ordinateur à disposition sur le réseau informatique utilisé par la blockchain. Les différents ordinateurs disponibles vérifient que personne n’a essayé de frauder et que la transaction de cryptoactifs est bien valide.
Une fois que la transaction est validée, celle-ci est cryptée (traduite en langage informatique) et datée pour être intégrée dans la blockchain. Les mineurs, qu’on appelle aussi les « nœuds » du réseau sont rémunérés à chaque bloc « miné » (validé, crypté et intégré à la blockchain) par des cryptoactifs.