Crise du net zéro : la finance hésite, la science persiste

Article par les professeurs Yulia TITOVA & Hugues CHENET

Date

09/09/2025

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Au début de l’année 2025, le monde a vacillé face à des températures record, tandis que de grandes institutions financières américaines comme BlackRock ou J.P. Morgan se retiraient des alliances « net-zéro », sous la menace d’un virage anti-climat de Trump et de poursuites judiciaires qui en découleraient. D’autres acteurs ont suivi le mouvement, et certaines banques européennes ont commencé à réévaluer leur participation. Cela signe-t-il la mort du net zéro ? Rien n’est moins sûr. Des forces contraires demeurent : les régulations européennes qui soutiennent le net zéro, les avancées technologiques dans les énergies bas carbone à faible coût, et une prise de conscience croissante des risques liés au changement climatique au fur et à mesure qu’ils se matérialisent. Mais surtout le net zéro reste un impératif scientifique. Qu’on le veuille ou non, il faudra bien atteindre le seuil de zéro émission nette de gaz à effet de serre (GES) pour stabiliser la hausse des températures. La seule question est… : « quand ? »

Qu’est-ce que le net zéro ? Concept, histoire et avancées

L’inquiétude climatique institutionnelle remonte aux années 1970, avec la création du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP), puis de la UNEP Finance Initiative entre 1992 et 2003. Le concept du net zéro est, lui, bien plus récent.

Le lien entre le réchauffement climatique et les émissions cumulées de CO2 dans l’atmosphère a été scientifiquement établie à la fin des années 2000. En 2013, le cinquième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) tire une conclusion drastique : pour stabiliser la température mondiale, les émissions nettes de CO₂ d’origine humaine doivent tomber à zéro. Le net zéro suppose alors que chaque tonne résiduelle de CO₂ émise dans l’atmosphère soit compensée par une tonne retirée.

Cette idée structure l’Accord de Paris de 2015, dans lequel les États se sont engagés à contenir le réchauffement « bien en deçà de 2°C » par rapport à l’ère préindustrielle, et à poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5°C. En 2024, ce seuil symbolique des 1,5°C a été franchi. Mais le net zéro n’est pas une option parmi d’autres ; c’est une condition physique pour stabiliser le climat. À chaque cible de température correspond un objectif temporel pour atteindre net zéro.

Il est toujours possible de repousser l’échéance si nous sommes prêts à hypothéquer une partie de l’humanité et du vivant, et a minima quitter les conditions qui ont permis à nos civilisations de se développer depuis ~12,000 ans. Mais dans tous les cas, le net zéro reste une destination obligatoire.

Le graphique ci-dessous illustre le développement du concept de net zéro, avec en pierre angulaire l’Accord de Paris, qui a stimulé une vague d’objectifs net zéro à différentes échelles et plus de 5 000 lois et politiques climatiques. De son côté, le secteur financier s’est structuré autour de GFANZ (Glasgow Financial Alliance for Net Zero) et de ses alliances, comme NZBA (banques), NZIA (assureurs) ou NZAM (gestionnaires d’actifs).


Graphique. Histoire du net zéro.

Source : adapté et complété par les auteurs à partir des données de Net Zero Stocktake 2024 – Net Zero Climate.


Graphique. Etat des engagements net zéro selon le type d’acteur

Source : Calcul des auteurs à partir des données de Net Zero Tracker | Welcome.

Comment atteindre le net zéro ?

Atteindre le net zéro suppose de réduire massivement les émissions (flux) et de retirer de l’atmosphère la quantité de CO2 (stock) compensant les émissions inévitables (stock). Cette transition s’appuie ainsi sur des évolutions socioéconomiques et des progrès technologiques, tant du côté de la demande que de l’offre de biens et services.

Les avancées technologiques, y compris les solutions fondées sur la nature telles que la restauration des zones humides, l’agroforesterie ou la reforestation, ainsi que la hausse continue du prix du carbone , rendent les énergies propres plus compétitives sur le plan économique.

L’augmentation des financements des énergies propres a permis de renforcer leurs capacités et de faire chuter les coûts de technologies comme les panneaux solaires ou les batteries.

Mais les technologies ne suffiront pas. Même les scénarios les plus technoptimistes du GIEC exigent une sortie rapide des fossiles. La capture de CO₂ reste controversée, coûteuse, complexe et énergivore. Il faudra aussi transformer la demande, non seulement l’offre.

Enfin, l’accès aux minéraux critiques devient un enjeu central de la transition énergétique. La demande en cuivre, lithium, terres rares et cobalt devrait tripler d’ici 2030, et quadrupler d’ici 2040, ce qui ne va pas sans poser d’autres problèmes environnementaux. Des découvertes récentes, comme un gisement majeur de cuivre en Chine, pourraient contribuer à faire baisser les coûts d’énergies renouvelables… mais cela ne doit pas faire oublier l’essentiel du problème.

Un élan réglementaire, mais sans homogénéité régionale

Dans ce contexte, la régulation reste un levier essentiel. En Europe, bien que le cadre apparaisse aujourd’hui fragilisé par des pressions politiques et une volonté de dérégulation croissante (notamment à travers la directive Omnibus en cours de discussion), plusieurs textes structurants comme la CSRD, la taxonomie verte ou un indicateur climat mis au point par la Banque de France maintiennent une dynamique ambitieuse.

En Chine, malgré un manque de transparence, le gouvernement poursuit ses investissements massifs dans les énergies propres et maintient un cap affiché vers le net zéro avant 2060. Et face à l’aggravation des impacts climatiques, la pression ne fera que croître. Le NGFS (Network for Greening the Financial System ), réseau de banques centrales, rappelle que le coût de l’inaction sera bien plus élevé que celui de la transition.

Finance et climat : une relation compliquée

Pourquoi alors les institutions financières quittent-elles les alliances net zéro ?

Ce retrait met en lumière les difficultés d’intégration des objectifs climatiques dans les décisions financières.

Graphique. L’évolution du nombre de membre de NZBA (Net-Zero Banking Alliance) entre mai 2024 et mars 2025.

Source : Calcul des auteurs à partir des données de Net-Zero Banking Alliance – United Nations Environment – Finance Initiative

Les acteurs financiers doivent concilier leur devoir fiduciaire avec leurs engagements climatiques, dans un contexte où les actifs carbonés restent attractifs à court terme. Ce paradoxe fige l’investissement dans des secteurs émetteurs, renforçant la probabilité des risques futurs que ces mêmes acteurs cherchent à éviter. Or, une lecture à long terme du devoir fiduciaire devrait inciter à une sortie accélérée des fossiles. Si les contentieux juridiques et la crainte d’effets antitrust freinent les alliances net zéro, les enjeux climatiques restent indéniables.

Le changement climatique est une réalité, quelles que soient les opinions à son sujet. Il affecte déjà la valeur des actifs et pose un risque systémique croissant.Embrasser une trajectoire de transition vers le net zéro contribue à réduire les risques climatiques physiques futurs, mais aussi à anticiper les chocs liés à ces mêmes risques, physiques comme de transition, qui surgiront, probablement de manière abrupte.

S’engager dans la transition n’est pas un coût pur, mais aussi un investissement stratégique dans les opportunités économiques durables. Certaines banques, notamment françaises, amorcent déjà ce virage, en réduisant leur exposition au charbon ou au pétrole. Cela montre qu’avec un cadre clair, les institutions peuvent évoluer.

L’avenir du net zéro

Malgré les hésitations et les ralentissements, le net zéro n’est pas mort. Il se redéfinit, mais ne disparaît pas. Il doit devenir un plan crédible, soutenu par des financements adéquats, une volonté politique ferme, et une régulation ambitieuse.


Article par les professeurs Yulia TITOVA & Hugues CHENET


Catégorie(s)

Économie & FinanceRSE, Durabilité & Diversité


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Hugues CHENET

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