La taxe sur les transactions financières : un regard depuis les marchés boursiers

Date

24/04/2025

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Augmenter la taxe sur les transactions financières semble aller de soi. Mais gare aux effets de bord. Des solutions alternatives existent pour réguler sans produire de dysfonctionnement des marchés.


Depuis l’annonce du projet de loi de finances et la décision du Sénat de rehausser la taxe sur les transactions financières (TTF) de 0,3 % à 0,4 % qui sera mise en application le 1er avril 2025. Soit une augmentation nette de 33 %. Les articles et les prises de position dans la presse se multiplient depuis. Toutefois, ces analyses se concentrent souvent sur les gains fiscaux pour l’État et l’usage potentiel des recettes générées, occultant un aspect fondamental : l’impact de cette taxe sur les marchés financiers eux-mêmes.

Pour rappel, la TTF concerne les sociétés dont le siège social est en France et dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d’euros, soit 121 entreprises au 1er décembre 2024, un périmètre proche de l’indice SBF120. Pourtant, loin d’être un simple prélèvement fiscal, cette taxe modifie le comportement des investisseurs et, par extension, le fonctionnement des marchés.

Une taxe initialement conçue pour stabiliser les marchés

L’idée de taxer les transactions financières a été initialement proposée par l’économiste James Tobin en 1972, dans un contexte de forte volatilité des marchés des changes après l’abandon du système de Bretton Woods. Tobin souhaitait instaurer une taxe pour limiter la spéculation excessive sur les devises et stabiliser les fluctuations monétaires. Depuis, ce concept a été étendu à d’autres segments des marchés financiers, principalement sous un prisme fiscal. Cette idée a été implémentée dans plusieurs pays, dans le but premier de combler un déficit budgétaire croissant : en Suède (de 1984 à 1990), Italie (2013), Espagne (2021). La France a quant à elle débuté avec une taxe à 0,2 % en 2012 avant de la rehausser à 0,3 % en 2013.

Cependant, une approche focalisée uniquement sur les gains fiscaux occulte une réalité : une taxe sur les transactions financières influence directement le comportement des acteurs de marché, avec des effets parfois contre-productifs, malgré les stratégies existantes pour en atténuer l’impact (trading intra-journalier, recours aux produits dérivés, etc.).

Un impact inattendu sur la liquidité et l’efficience des marchés

Les marchés financiers reposent largement sur la capacité des acteurs à fournir de la liquidité, c’est-à-dire à assurer la présence constante d’acheteurs et de vendeurs. Introduire une TTF revient à taxer un mécanisme essentiel à la transparence, à la qualité et à l’efficience des marchés.

De nombreuses études académiques ont montré que, contrairement aux attentes initiales de Tobin, la taxe n’améliore pas la stabilité des marchés. Au contraire, elle réduit la liquidité et accroît la volatilité des prix, rendant les transactions plus coûteuses pour tous les investisseurs.

Les traders à haute fréquence (HFTs), bien qu’ils ne soient pas directement visés par la TTF, voient leurs incitations à fournir de la liquidité diminuer. Avec des volumes réduits, ils deviennent trop exposés et réalisent moins de transactions. Or, ces acteurs jouent un rôle clé en assurant un flux constant d’ordres, facilitant ainsi la formation des prix et la fluidité du marché. Leur retrait entraîne un élargissement des écarts de cotation (bid-ask spreads), ce qui signifie que les investisseurs doivent payer plus cher pour acheter un actif et en retirent moins lorsqu’ils le vendent. Par ailleurs, une réduction du nombre de transactions rend les prix plus erratiques, diminuant ainsi l’efficience du marché.

En outre, la taxation modifie le comportement des investisseurs, qui réduisent leur exposition aux marchés taxés. Cela entraîne une contraction des volumes d’échange et une augmentation de la volatilité, allant à l’encontre de l’objectif initial de la taxe. Une TTF peut même dissuader les investisseurs institutionnels, pourtant essentiels à la stabilisation des marchés en fournissant une liquidité stable et en limitant les variations extrêmes des prix.

Les effets pervers sur les investisseurs particuliers

Les traders individuels, qui représentent une part croissante des échanges financiers aux États-Unis et en France, sont particulièrement vulnérables aux effets d’une TTF. Contrairement aux investisseurs institutionnels, ils ne disposent pas des mêmes outils pour optimiser leurs stratégies et réduire leurs coûts de transaction. En augmentant le coût des transactions et la volatilité des prix, cette taxe pénalise directement les petits investisseurs, les exposant à des marchés moins prévisibles et plus coûteux.

Par ailleurs, certains acteurs du marché pourraient contourner la taxe en délocalisant leurs transactions vers des places boursières non soumises à la TTF. Ce phénomène a déjà été observé dans plusieurs juridictions où une taxation des transactions financières a entraîné une migration des volumes vers d’autres marchés. Par exemple, dans le cas de la Suède, 60 % du volume de transactions sur les 11 actions les plus négociées a été transféré vers Londres en 1986, juste après le passage de la TTF à 1 % et plus de la moitié des échanges boursiers suédois se faisaient hors du pays avant l’abolition de la taxe en 1990.

Un autre effet pervers concerne l’investissement passif. De nombreux particuliers investissent via des ETF (fonds indiciels cotés), qui reposent sur des volumes de transactions élevés pour suivre les indices de référence. Une augmentation de la TTF perturbe la gestion de ces fonds et réduit leur performance, répercutant presque automatiquement le montant de la perte vers les investisseurs. Au final, les épargnants, notamment ceux investissant pour leur retraite, en subissent à nouveau les conséquences à long terme.

Une TTF dynamique comme solution de rechange

Plutôt qu’une taxe rigide et uniforme, une solution de rechange pourrait consister à introduire une TTF variable, adaptée aux conditions du marché. Cette approche a été explorée par plusieurs chercheurs, dont, par exemple, Eduardo Dávila de Yale University. L’une des pistes envisageables, en se basant sur ces études, serait d’ajuster le niveau de la taxe en fonction de la liquidité : lorsque la liquidité est faible, une taxation plus importante pourrait dissuader les comportements spéculatifs nuisibles. À l’inverse, en période de forte liquidité, la taxe pourrait être allégée afin de ne pas pénaliser les échanges légitimes.

Ce modèle de taxation adaptative offrirait une solution plus équilibrée pour réguler les marchés financiers tout en permettant leur bon fonctionnement. Plutôt que d’appliquer une taxe fixe et uniforme à tous les acteurs du marché, cette approche flexible tiendrait compte des moments où les marchés deviennent particulièrement spéculatifs. En identifiant ces périodes de manière précise, on pourrait ajuster la taxation en fonction des besoins réels du marché, sans freiner les activités nécessaires et bénéfiques. Cette méthode permettrait donc de mieux encadrer les excès financiers tout en évitant de ralentir les échanges et les investissements qui sont essentiels à la croissance économique. En somme, une telle taxation flexible et surveillée de près serait plus efficace qu’une taxe standard qui ne prendrait pas en compte les fluctuations du marché.

L’instauration d’une taxe sur les transactions financières aura des effets secondaires sur les marchés et leurs divers participants. En réduisant la liquidité et en augmentant les coûts de transaction, la TTF risque de nuire à l’efficience des marchés et de pénaliser les investisseurs individuels.

Plutôt que d’imposer une taxe uniforme, une TTF ajustable en fonction des conditions du marché pourrait représenter une alternative plus équilibrée. En tenant compte des variations de liquidité et de la nature des acteurs de marché, un tel dispositif éviterait certains effets pervers observés avec les taxes fixes, tout en conservant un objectif de régulation efficace. Il s’agirait ainsi de repenser la taxation financière en s’adaptant aux dynamiques de marché, plutôt que d’appliquer une approche rigide aux conséquences potentiellement dommageables.


Paolo Mazza, LEM-CNRS 9221, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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Économie & Finance


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