Faire tourner la roue : les jeux peuvent-ils aider à reconquérir les clients mécontents ?

Imaginez qu’un restaurant se trompe complètement dans votre commande, mais qu’au lieu de recevoir une simple excuse, on vous propose de faire tourner une roue pour déterminer comment vous serez dédommagé pour cette erreur. Ce jeu pourrait-il vous aider à surmonter votre frustration et à améliorer votre expérience globale au restaurant, ou ne ferait-il qu’aggraver les choses ?

Date

17/04/2025

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C’est l’une des questions qu’une équipe de chercheurs – de l’IÉSEG et les Universités de Birmingham, Aalborg and Edinburgh –  s’est posée dans le cadre d’une récente étude sur l’utilisation d’activités ludiques pour « reconquérir » des clients mécontents. Leurs résultats montrent que le jeu peut être un outil de reconquête puissant, mais seulement s’il est utilisé de manière stratégique.

Des études précédentes ont estimé qu’un service de piètre qualité peut coûter des milliards aux entreprises en pertes de revenus. Beaucoup d’entre elles investissent donc massivement dans le processus de reconquête pour tenter de fidéliser leur clientèle.

Dans ce contexte, l’équipe de recherche a voulu étudier si l’utilisation d’activités ludiques (désormais souvent regroupées sous le terme de « gamification ») pouvait apaiser et reconquérir des clients en colère.

« La gamification est de plus en plus répandue dans les activités de marketing et de vente. Nous étions curieux de voir si elle pouvait aussi avoir un impact dans la gestion d’expériences négatives », explique Thomas LECLERCQ de l’IÉSEG, l’un des auteurs de l’étude.

Pour en savoir plus, les chercheurs ont mené quatre expériences client dans divers contextes réels (distribution – secteur des biens de grande consommation) et fictifs (restaurant, salle de sport et hôtel).

Dans l’expérience en point de vente, les chercheurs ont identifié et contacté un échantillon de plus de 200 clients ayant vécu une mauvaise expérience (par exemple, des erreurs de prix sur les articles ou des produits périmés). Ils leur ont proposé le choix entre une compensation financière classique ou la participation à un jeu pour déterminer leur dédommagement.

Ceux qui ont choisi la compensation classique ont reçu un bon de 5 euros, tandis que ceux qui ont préféré jouer ont été invités à faire tourner une roue sur une tablette. Ils pouvaient alors gagner soit un bon de 20 euros, un bon de 5 euros, ou rien. Les bons étaient attribués aléatoirement, et la roue était programmée pour offrir une compensation moyenne de 5 euros.

Des expériences similaires ; utilisant à la fois la roue et des formes classiques de compensation, ont été menées dans différents contextes fictifs afin de tester l’impact de plusieurs facteurs : le niveau de compensation proposé, la gravité du mauvais service, et la pression temporelle subie par les clients.

« Globalement, les résultats montrent que la gamification a un impact positif sur la satisfaction client, mais à trois conditions : les clients doivent avoir le sentiment de contrôler la situation, recevoir une compensation équitable, et ne pas être pressés par le temps », explique le professeur LECLERCQ.

Dans quels cas les jeux sont-ils efficaces ?

Proposer un choix aux clients permet de leur faire sentir qu’ils ont le contrôle sur le processus de reconquête. Dans l’étude terrain, près de la moitié des participants ont choisi l’option ludique, ce qui montre l’attrait de ce type de processus.

De plus, l’utilisation de jeux semble particulièrement efficace lorsque le mauvais service est considéré comme mineur (par exemple, un temps d’attente plus long que prévu, une réponse tardive, un personnel peu attentif). À l’inverse, après une défaillance grave (ex. : atteinte à la vie privée, problème de sécurité, panne totale de service), cette approche peut avoir un effet négatif, car elle peut donner l’impression que l’entreprise ne prend pas la situation au sérieux.

Autre point important pour les responsables : évaluer si les clients sont pressés. L’utilisation de jeux peut être efficace lorsque les clients ont du temps devant eux. Le personnel en contact direct doit donc jouer un rôle clé, en évaluant la situation à l’aide d’indices verbaux ou visuels, avant de proposer un jeu.

Par ailleurs, le montant de la compensation influence aussi l’efficacité de la gamification : offrir une compensation totale ou une surcompensation peut renforcer le sentiment de « gain » chez le client, tandis qu’une compensation partielle peut avoir l’effet inverse et générer un sentiment de perte.

Les auteurs soulignent également que leurs résultats offrent des pistes pour une application plus large de la gamification. Elle semble pertinente non seulement dans des contextes hédoniques (culture, tourisme, loisirs) où le plaisir est central, mais aussi dans des contextes utilitaires, comme le montre leur étude dans le secteur de la grande distribution.

« En résumé », conclut le professeur LECLERCQ, « la gamification peut être un outil de reconquête puissant, mais seulement si elle est utilisée de manière stratégique. »

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Nazifi, A., Roschk, H., Marder, B., & Leclercq, T. (2025). Spinning the Wheel: The Effectiveness of Gamification in Service Recovery. Journal of Service Research0(0). https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/10946705241307681


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