« Shrinkflation » : comment notre cerveau nous empêche-t-il de voir certaines hausses de prix ?

Date

12/03/2025

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En treize lettres : « Quand les paquets rétrécissent mais pas les prix… » Voilà qui pourrait être la définition de la « shrinkflation » (ou, « réduflation »). Derrière ce mot se trouvent différentes stratégies pour que les consommateurs ne le voient pas (trop). Pourquoi perçoit-on certaines réductions comme plus choquantes que d’autres ? Comment s’en prémunir ?


Ces dernières années, plusieurs produits du quotidien ont diminué en quantité sans pour autant voir leur prix baisser. En septembre 2023, plusieurs cas ont été révélés. Par exemple, le paquet de chips Lay’s passerait de 300 g à 250 g, tandis que son prix augmenterait, passant de 2,90 € à 3,20 €. De même, la bouteille de thé glacé Lipton passerait de 1,5 litre à 1,25 litre, avec une hausse de prix de 40 %. Cette pratique, connue sous le nom de « shrinkflation », ou « réduflation », consiste à réduire discrètement la quantité d’un produit sans ajuster son prix à la baisse, voire en l’augmentant.

Face à la multiplication de ces cas, le gouvernement français a instauré, à partir du 1er juillet 2024, une obligation pour les distributeurs d’informer les consommateurs des diminutions de quantité accompagnées d’une hausse du prix au litre ou au kilo, avec des amendes qui vont de 3 000 € à 15 000 € en cas de non-observation de la loi.

Bien que la pratique de shrinklation soit légale, 67 % des Français la jugent inacceptable, et elle suscite de nombreuses interrogations. Par exemple : pourquoi certaines réductions de quantité nous paraissent-elles plus significatives que d’autres, même si la différence en grammes ou en millilitres est identique ? Des recherches récentes menées avec Mario Pandelaere de l’Université Virginia Tech montrent que notre perception des réductions de quantité varie selon la structure des nombres, notamment l’effet du chiffre de gauche, la quantité initiale et nos repères de formats standards.

Un biais cognitif connu

Nos cerveaux ne traitent pas les nombres, de manière parfaitement rationnelle. L’effet du chiffre de gauche, un biais cognitif bien documenté en psychologie du consommateur, explique que nous prêtons une attention disproportionnée au premier chiffre d’un nombre. Ainsi, une réduction de 400 g à 395 g semble plus importante qu’une réduction de 450 g à 445 g, alors que dans les deux cas, la perte est de 5 grammes. Pourquoi ? Parce que, dans le premier cas, nous passons d’un nombre commençant par « 4 » à un nombre commençant par « 3 », ce qui donne l’impression d’un changement plus drastique.

Cet effet a déjà été observé dans d’autres domaines, notamment dans la perception des prix. Un produit affiché à 9,99 € semble bien moins cher qu’un produit à 10,00 €, alors que la différence est insignifiante. Appliqué à la shrinkflation, cet effet peut amplifier la réaction des consommateurs face à certaines réductions.

L’importance de la quantité initiale

Un autre facteur qui influence notre perception des réductions de quantité est la quantité initiale du produit. Les recherches montrent que plus la quantité de départ est élevée, moins la réduction semble marquante. Par exemple, une diminution de 50 ml sur une bouteille de 1 litre paraît bien moins importante qu’une diminution de 50 ml sur une bouteille de 250 ml, même si la perte absolue est identique.

Ce phénomène s’explique par le fait que nous jugeons souvent les changements en pourcentage plutôt qu’en valeur absolue. Une perte de 50 ml sur un litre représente seulement 5 %, alors que sur 250 ml, elle atteint 20 %. Cette différence d’échelle influence notre ressenti et peut expliquer pourquoi certaines actions de « shrinkflation » passe inaperçue tandis que d’autres suscitent une forte réaction des consommateurs.

Le rôle des formats standards

Nos habitudes de consommation nous amènent à associer certains formats à des références fixes. Un pot de yaourt de 125 g, une brique de lait d’1 litre, une bouteille d’eau de 500 ml : ces formats standards sont bien ancrés dans nos esprits. Lorsqu’un produit s’éloigne de ces références, nous avons tendance à percevoir plus fortement la modification.

Par exemple, si un jus de fruits passe de 990 ml à 960 ml, la réduction pourrait sembler moins marquante (car la quantité reste proche de 1 litre) que si ce même jus passait de 880 ml à 850 ml. Les recherches montrent que les consommateurs remarquent moins les changements lorsqu’ils restent proches d’un format standard, tandis que les réductions impliquant des valeurs non standards sont plus visibles.

Une contre-attaque est toujours possible

Ces différents biais cognitifs ont des implications concrètes pour les consommateurs. En comprenant comment nous percevons les réductions de quantité, nous pouvons adopter une approche plus objective et éviter certaines erreurs d’interprétation. Voici quelques conseils déduits des points précédents :

  • Se fier au prix au kilo ou au litre : plutôt que de se fier uniquement à la taille de l’emballage, mieux vaut comparer les prix unitaires affichés obligatoirement sur les étiquettes en magasin.
  • Vérifier les anciennes et nouvelles tailles : lorsqu’un produit semble plus petit, vérifiez si la quantité a changé en comparant avec des versions antérieures si cela est possible.
  • Ne pas se laisser tromper par les ajustements apparemment mineurs, surtout quand ils restent proches des formats standard, ou quand la quantité initiale est élevée. Un changement de quelques grammes peut sembler insignifiant, mais lorsqu’il est appliqué à de nombreux produits du quotidien, l’impact sur le budget peut être non négligeable.

Alors que la shrinkflation continue de faire débat, il est essentiel de comprendre non seulement pourquoi elle se produit, mais aussi comment nous la percevons. Loin d’être simplement une question de poids ou de volume, la manière dont les quantités sont affichées joue un rôle majeur dans notre perception des réductions. En étant plus conscients de ces biais, nous pouvons mieux appréhender les évolutions du marché et faire des choix plus avisés lors de nos achats quotidiens.


Bart Claus, Associate professor of marketing, IÉSEG School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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